En quoi les "gilets jaunes" sont-ils plutôt un bon signe en périurbain ?


De quoi les gilets jaunes sont-ils le signe ? 

La mobilisation d'hier des "gilets jaunes" est plutôt une réussite. Quels lendemains aura-t-elle ? Nul ne peut le dire. Malgré le concert assourdissant des réserves, des critiques et des condamnations, sans doute est-il utile de faire entendre une voix différente : j'approuve et soutiens ce mouvement. Sans cependant y participer, comme militant, car je respecte une volonté d'apolitisme, bien compréhensible et légitime face aux tentatives de récupérations (Rassemblement national, France insoumise) et les accusations de "fascisme" et/ou de "poujadisme" (mais qui sait encore ce que c'est ?). Quant à l'assimilation "fachés" = "fachos", elle est purement imbécile. Enfin, les "gilets jaunes" de 2018 n'ont pas grand-chose à voir avec les "bonnets rouges" de 2013 contre "l'écotaxe", ne serait-ce que par leur extension nationale, plus que seulement régionale en Bretagne seule.

Ce mouvement me paraît amplement justifié en réponse, à travers les taxes (sur le gazole, certes, mais aussi sur le fioul domestique, le gaz, l'électricité), et quels qu'en soient les prétextes et justifications, à une attaque massive du pouvoir d'achat des couches populaires les plus modestes, dans les territoires où elles ont été depuis longtemps relégués. La géographie du mouvement indique qu'il trouve principalement ses ressources et acteurs dans le périurbain, justement là où sont reléguées, en espace périphérique, une part importante des couches populaires et de la classe ouvrière.

Ce mouvement mérite mieux que l’incompréhension et le mépris dont il est généralement l'objet. Le même mépris que celui dont les élites instituées ou autoproclamées - mais toujours « sachantes » à la place des autres - ont déjà fait preuve en 2005 contre la majorité du Non au TCE, ou localement, à la consultation de 2016 sur le transfert de l'aéroport de NDDL.

C'est ce même mépris qui s'exerce également à l'égard des alertes pourtant répétées du géographe Christophe Guilly (Fractures françaises (2010); La France périphérique (comment on a sacrifié les classes populaires, 2014; Le crépuscule de la France d'en haut 2016, No society, la fin de la classe moyenne occidentale, 2018). Objet constant d'un tir de barrage de la part de l'élite universitaire qui ne consent à considérer le périurbain que du haut de sa centralité académique, mais sans se mettre en capacité de rien voir venir.

Vivant depuis quarante ans dans cette périphérie, ni rurale ni urbaine, j'ai pu observer in situ de bout en bout, sa profonde mutation du rural au périurbain. J'ai déjà eu l'occasion de souligner les « affres et mystères du périurbain nantais » (Place Publique #54, 2015). Aujourd'hui l'énigme se dénoue et les affres tournent à la souffrance. Comme militant politique et élu local - mais de plus en plus en marge de mon parti le PCF, qui n'a pas encore rompu avec ses vieux démons centralisateurs - j'ai tenté successivement de mobiliser localement, en ce milieu périurbain, et avec un succès mitigé : sur la desserte numérique du territoire (ADSL, 2003) ; sur les dérives des SPANC (services publics de l'assainissement non-collectif) depuis 2015 ; sur la répurgation des ordures ménagères (tri sélectif et redevance incitative, remplaçant la TEOM depuis 2014), aspects seulement les plus visibles d'une réglementation foisonnante, tatillonne et punitive, multipliant contrôles, obligations et nouvelles taxes. Sans doute sur la base d'un tel raisonnement : "on peut tout leur faire subir, puisqu'ils ont été mis dans l'incapacité de réagir".


Dans Presse Océan du dimanche 18 novembre 2018

J'en tire pour moi la leçon qu'il y a un haut niveau de mécontentement, d'exaspération multiforme, dans le périurbain. Mais que les possibilités de mobilisation dans la durée restent très difficiles pour de nombreuses raisons : isolement et individualisme, désaffiliation syndicale et dépolitisation, pertes des repères et pratiques de classes. Mais pour une fois qu'une mobilisation ne vient pas des centralités urbaines (comme "Nuits Debout"), et avant toute condamnation liminaire qui se voudrait définitive, le fait mériterait d'être mieux considéré et analysé, afin d'en tirer, pour l'avenir, de bien meilleures conséquences.


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