Avec un nouvel essai frondeur, Le crépuscule de la France
d’en haut, le géographe Christophe Guilluy, poursuit sa réflexion sur la
fracture hexagonale entre métropoles et territoires périphériques que la
représentation politique méconnaît. Au risque d’un "marronnage" post-colonial massif et de jacqueries new age.
Les classes populaires hors de la moyennisation
Dans un entretien à Philosophie Magazine de novembre
2016, il part du constat d’un "fait central : les classes modestes –
ouvriers, employés salariés de la petite fonction publique, tous ceux qui
gagnent en dessous du revenu médian et qui sont majoritaires – ne vivent plus
là où se crée la richesse." Il appelle France périphérique, celle des
petites villes, des villes moyennes et des territoires ruraux et périurbains où
vivent désormais 60% de la population. Mais "ce modèle économique qui
marche" - plus ou moins bien - "ne fait plus société et défait le
tissu des territoires". Ce modèle a comme effet un désaffiliation
politique massive, pour cette raison très simple : "la réalité vécue
par ces populations est ignorée ou rendue invisible par un discours politique
daté sur l’intégration des classes moyennes et la diversité" (mixité sociale). Selon
lui, nous sommes plutôt "à un moment historique de sortie de la classe
moyenne ! Il serait grand temps que les politiques s’en rendent compte".
Un au delà du vote FN
Suite à ses premiers essais (Fractures françaises, La
France périphérique) on a reproché à C.Guilluy – par un bashing médiatique [Le Monde] et académique intense - de
faire la part trop belle aux replis identitaires, comme terreau du vote FN.
Pour lui, face à "la fragilisation de leur existence, les
catégories populaires cherchent à préserver l’essentiel, un capital social et
culturel protecteur". Il fait ainsi la différence entre les
"quartiers" des banlieues où l’Islam structure ce capital culturel,
et le reste de la France périphérique, où cela passe non sans ambiguïtés par l’attachement au
"village", au territoire et s’exprime de plus
en plus largement par le vote Front national. Pour autant, "si les classes
populaires désertent les partis, s’abstiennent aux élections ou votent
FN, il ne s’agit pas là d’une contestation idéologique du
système".
Dans le même temps ce sont les élites, nationale ou locale, qui tiennent
un discours condescendant, voire méprisant sur la France d’en bas qui "se
replierait sur elle-même par peur de l’autre".
Marronnage et jacqueries
Au-delà du vote FN , C.Guilluy voit venir une révolte
politique qui nomme "marronnage", en référence à la fuite des esclaves
noirs des plantations, aux Antilles et ailleurs (Brésil).
Il veut traduire là "la véritable fuite hors des
partis traditionnels, de gauche comme de droite , des classes populaires". Mais
le FN n’en capte qu’une partie, c’est plutôt l’abstention qui l’emporte car "la classe politique n’a plus de prise sur ces catégories populaires qui
n’attendent plus rien des politiques".
La démocratie ne pourra regagner les territoires perdus que
"si les partis démocratiques se décident enfin à prendre en charge la
réalité de ces populations, et d’abord à la nommer, à la représenter",
pas au sens électoral, mais dans les catégories de la pensée.
Pour C.Guilluy, "si la démocratie, c’est donner du
pouvoir à ceux qui n’en ont pas, la vraie révolution serait d’aller vers ces
territoires qui ne créent pas la richesse". Soit on va vers eux, soit ils
saisiront tous les leviers possibles : populisme, extrême droite,
radicalisation islamique. S’appuyant sur l’exemple du soulèvement des Bonnets
rouges contre l’écotaxe en 2013, il alerte : "il faut entendre la
colère qui sourd des territoires. Sinon, aux citadelles médiévales répondront
les jacqueries".
Sources :
-
Christophe Guilluy, Le crépuscule de la France d’en haut,
Flammarion, 2016
-
Philosophie Magazine, Quand la France périphérique se rebiffe,
novembre 2016, p.60-61.
Lire également : http://www.breizh-info.com/2017/01/06/57432/guilluy-crepuscule-bobocratie-france-en-haut#disqus_thread
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