Le château de Therbé à Savenay : histoire et postérité

Chronique déconfinante n° 8 :

Le château de Therbé à Savenay : histoire et postérité
par Nathan Guigand (1) et Jean-Yves Martin (7)

Le château de Therbé fut construit dans la seconde moitié du XIXème siècle, sur la commune de Savenay et sur les terres du domaine (château) de la Touchelais. Surplombant la Vallée de la Loire et son estuaire, il est situé dans un espace boisé près de l'hippodrome, à environ deux kilomètres au nord-est du centre ville de Savenay.

Situation et construction 

Mais avant cela, d’autres bâtiments existaient à la place du château, probablement une grande ferme. Le nom « Terbé » est déjà existant, mais sans le « h ». On peut visualiser sa configuration cartographique grâce au cadastre Napoléonien de 1827 :

Extraits du cadastre de 1827
Recherche et présentation Nathan Guigand

C’est le Chevalier Denis Espivent de Perran (1806-1891) et sa femme Caroline de Douville (1822-1894) qui ont très probablement fait bâtir le château. Lui était un bâtisseur, royaliste et fervent défenseur de l’indépendance bretonne, vivant à l’Escurays en Prinquiau courant du XIXème siècle, il s’est investi dans la commune de Prinquiau, comme toute sa dynastie familiale (François, Henri... de 1814 à 1888), parfois lui-même en tant que Maire (en 1851 et 1871) mais sporadiquement. Il possédait une grande fortune acquise par la société familiale de « commerce triangulaire » basée à Nantes depuis le XVIIème siècle. Il se marie le 30 juillet 1849 avec Caroline Marie Perrine de Douville, d'une noble famille de Guérande qui est en relation depuis longtemps avec les Espivent. Sa femme et lui bâtissent le château de Therbé, vraisemblablement dans les années 1880.

Architecture

Il est typique du "Néo-Gothique", très appliqué au XIXème siècle pour les gentilhommières. Il possède trois tours, l’une se situe au Nord et de forme demi-hexagonale qui abrite l’escalier principal. Les deux autres se situent sur la façade Sud mais sont visibles, celles de l’Est et de l’Ouest sont parfaitement cylindriques. Ce château est d’un style très "breton". On peut le remarquer grâce à la rosace celtique présente au–dessus de la porte d’entrée principale. Toutes les pierres de taille utilisées pour la construction du château sont de calcaire à Astéries de Bordeaux. Pour ce qui est des fondations du château, il dispose d’un sous-sol semi-enterré et certainement de piliers s’enfonçant dans le sol. La partie basse du château (le sous-sol) est constituée de granit pour toutes les pierres de taille. De plus, il se trouve en haut du Sillon de Bretagne, où le sol est rocheux à faible profondeur.

Comparaison de photos aériennes de 1948 et 1976
(Source IGN, réalisation Nathan Guigand)

Le bâtiment proprement dit est composé de cinq niveaux :
- Le sous-sol servait à l’origine aux cuisines, salle à manger du personnel, stockage, etc…
- Le niveau principal, surélevé (très courant dans les châteaux, maisons bourgeoises, hôtels particuliers) contenait les pièces d’apparat, de réception (salons), mais aussi les bureaux des propriétaires. Ces pièces étaient alors les plus belles, elles étaient décorées de hautes cheminées, parquets, boiseries, grandes ouvertures, etc…
- Le 1er étage contenait les chambres des « maîtres », de belles et grandes chambres de luxe.
- Le 2ème étage contenait des chambres d’enfants généralement mais aussi les chambres du personnel de service.
- Les combles, contenant la charpente, la base de la charpente étant également en partie visible depuis le 2ème étage.

Les Espivent utilisaient à l’origine ce château comme résidence secondaire, certainement comme relais de chasse. Leur venue devait être plus régulière en hiver. Bien plus petit que celui de l'Escurays à Prinquiau, et élevé en hauteur, ne s’étendant pas sur la propriété, cela le rendait donc très facile à chauffer, d’autant plus qu’il comportait de nombreuses cheminées. Mais la prospérité sera de courte durée puisque Yvonne Espivent prend la décision de revendre cette propriété dès 1912 pour rembourser une partie des dettes contractées.

La Première guerre mondiale

Le château est donc racheté en 1912 par Emile Desmas. Entre 1917 et 1919, il met son château à la disposition des officiers Américains qui intervenaient ou étaient soignés sur l’immense site hospitalier américain de Savenay  (2). Le château était un haut-lieu de cet hôpital, il servait de terrain de repos pour les officiers. Il était alors un des seuls lieux de Savenay équipé d’un cour de tennis en son parc. Les salons étaient par ailleurs équipés d’une salle de billard, salle de jeux, etc… Cela en faisait un lieu très fréquenté par les militaires.

Américains à Therbé en 1918Une photo prise au pied du château avec 2 officiers qui entourent une infirmière américaine,
 probablement gradée.
 

Yannick Boucaud, président de l'AHLS, nous fait parvenir le complément suivant sur Therbé entre 1912 et 1945 :



« De 1912 à 1945 Therbé appartint à Émile Desmas un homme hors du commun commerçant et inventeur. Entre 1917 et 1919 on peut dire que Therbé fut un "mess savenaisien" d'officiers américains triés sur le volet. On connaît le menu d'un repas pantagruélique servit à Therbé huit jours après l'armistice de 1918,  le 20 novembre, pour fêter la fin de la guerre. Au dos de ce menu on retrouve la signature de Charles Palmer et peut-être d'un autre officier américain. On dispose également de deux cartes postales recto verso en provenance de Chicago d'un certain Herman Ritow qui a fréquenté Therbé et les demoiselles du château avec lesquelles il faisait de la musique. 

Menu du repas du 20 novembre 1918 à Therbé pour fêter l'Armistice
Au cours des années 20 Émile Desmas qui tenait boutique place de la mairie (actuelle agence immobilière) et c'est chez lui qu'étaient vendues, entre autres choses, les belles broderies faites par les brodeuses locales et vendues aux soldats US. Il se rendait régulièrement à Paris pour ses affaires. Il avait inventé un appareil de publicité par machine parlante adaptable aussi sur une bicyclette qu'il avait dénommée l'Africaine et surtout un maillot de bain insubmersible, l'ancêtre du gilet de sauvetage. »

Emile Desmas et l'une de ses nombreuses inventions,
"l'Insubmersible" brévetée SGDG (sous garantie du gouvernement)
et domiciliée au Château de Therbé à Savenay.

Coll. Yannick Boucaud


Seconde Guerre mondiale

Selon les sources de Yannick Boucaud, "à l'arrivée des Allemands à Savenay Émile Desmas était à Paris lorsqu'il revint à Therbé ce fut pour constater l'occupation de son château." Durant cette période de la guerre les Allemands pillèrent en partie le mobilier de Therbé et à la Libération ce fut au tour de quelques vainqueurs indélicats du secteur.

Allemands à Therbé en 1941
Coll. Y.Boucaud

Lors de la construction du nouveau collège de Savenay en 2014, des fouilles archéologiques ont mis à jour d'anciens fours à pain et des fondations de bâtiments de la seconde Guerre Mondiale. Ce terrain se trouvant relativement proche du château et faisant partie du domaine de Therbé, un rapport entre le château (relais gastronomique) et ces constructions existait sans doute. … Cependant, on pense qu’il s’agit plutôt des traces d’un ancien hôpital allemand construit en 1940 et démoli en 1950.

D’après le CREBESC (Centre de Recherche et d’étude de la Boulangerie et de ses Compagnons) : « On y a trouvé de la vaisselle et beaucoup de faïences, puis quelques vestiges. Cependant, rien en termes de vie quotidienne », explique Antoine Le Boulaire. L’hôpital qui devait mesurer une centaine de mètres de long était divisé en deux parties, une aile nord et une aile sud. Au bout de cet hôpital, existait un bassin de 12 mètres par 12 et d’un mètre de profondeur. « Peut-être une réserve d’eau. Certains diraient une piscine, mais je n’en suis pas sûr. »

Paul Guibert, membre des Amis de l'Histoire de Savenay et de l'AHLS - qui s’intéressent beaucoup à l’histoire de Savenay et à ces périodes - raconte : « Il y a des choses que l’on sait, certaines que l’on suppose et d’autres inconnues. L’hôpital allemand a servi à des prisonniers français. Il y avait aussi pas mal de troupes coloniales, indigènes. En 1941, les Français ont été dirigés vers l’Allemagne et les indigènes sont restés ». Pour Antoine Le Boulaire, aucune trace de ces derniers n’a été retrouvée. « Très certainement, les troupes prisonnières ont-elles été séparées par religion, avec par exemple la présence d’une mosquée. En 1945, à la libération de la Poche, les rôles ont alors été inversés. Ce sont les Allemands qui ont été fait prisonniers dans le même hôpital ». Plus surprenant encore, il a été mis à jour une ligne de cinq fours, situés à l’arrière de l’hôpital représentant une structure de cuisson. Des photos ont été réalisées par les archéologues.

Les fours découverts en 2014 par des fouilles archéologiques
à l'emplacement de l'actuel collège Mona Ozouf
(cliché Nathan Guigand)

« Une étude est en cours, des prélèvements vont être effectués pour en connaître mieux leurs fonctions », explique encore Antoine Le Boulaire. Les archives municipales de Savenay montrent que des soldats prisonniers allemands ont été présents en 1946 et 1947 pour exécuter des travaux de réparation, de nettoyage, de déminage.

Postérité du Relais de Therbé (1940-1960)

De 1940 à 1960, le Relais de Therbé, connu sous l'étiquette du "Club des Sans-Club", avait, paraît-il, grande réputation. Il existe un livre d'or, « hommage à l'hôtesse du relais de Therbé, composé de compliments, dessins et articles signés de gastronomes nantais » (3). Les annotations s'étendent de 1940 à 1966 et remplissent une soixantaine de pages. Pendant l'occupation, on trouve une dédicace d'un « ex-chargé de mission du Maréchal P. Pétain, chef de l’État ». Après-guerre s'y arrêtent des personnalités « des arts et du spectacle de variété » : le clown Achille Zavatta, en 1954, y dessine son auto-caricature ; plus tard, Jacques Brel apparaît lui aussi, et Edith Piaf dit-on. 

Jean-Pierre Rémon (1928-)
Aquarelle, sans date.
On y trouve également un joli dessin d'une chaumière de Brière, au fusain et en couleurs, signé de Jean-Pierre Rémon (1928-...) (4), avec un texte de compliment, daté de janvier 1959 : « Pour monsieur et madame Linn, cette petite maison de Brière, bien éloignée de votre magnifique relais de Therbé, bien éloignée par les formes, mais bien proche par le goût et la merveilleuse atmosphère !..." ; le signent également des personnalités politiques locales, comme le conseiller général de Saint-Etienne-de-Montluc, maire de Vigneux-de-Bretagne, Guillaume Hersart de la Villemarqué, au début des années 60. Mais, cependant, soixante pages seulement pour vingt-six ans d'activité, ça ne fait jamais qu'une moyenne de deux pages et demi par an à peine, ce qui paraît finalement assez peu et ne plaide pas dans le sens d'un afflux massif de clients.

D'autant que l'écrivain-géographe Julien Gracq, de Saint-Florent-le-Vieil, qui y déjeune à l'été 1950, en dresse une description un peu moins flatteuse dans sa nouvelle « La Presqu'île », publiée vingt ans plus tard. Par divers indices dans son texte, on peut situer assez précisément l'épisode vers 1950 (5), même si la nouvelle n'est publiée que vingt ans après.



Le « Relais de Pen-Bé » [Therbé] en 1950 par Julien Gracq

La presqu'île (1970) et Julien Gracq vers 1950

Paru en 1970, La Presqu'ile - longue nouvelle d'une centaine de pages (6) - offre un panorama des divers paysages de la presqu'île guérandaise, à partir d'une intrigue assez mince : durant un après-midi complet, un homme, prénommé Simon, va revoir les endroits qu'il connaît bien, ceux de ses vacances enfantines sur la Côte d'Amour, dans l'attente de la femme qu'il aime - Irmgard - mais qui, après un rendez-vous manqué à midi, n'arrivera à la gare de Savenay qu'au train du soir, à 19h.53. L'homme entame donc, en milieu de journée, un périple qui commence par Savenay, rebaptisée Brévenay pour l'occasion (7). Avant d'entamer son périple guérandais il fait une halte le midi au relais de Therbé - renommé Pen-Bé - pour y déjeuner.

« Tout en roulant assez lentement, il cherchait à repérer, sur sa droite, au-dessus de la haie,, la pancarte du Relais de Pen-Bé, qu'il se souvenait d'avoir aperçue le matin en arrivant : il avait cru deviner à la hauteur de la pancarte, silhouetté au milieu de sa pelouse contre un rideau de chênes, un petit château, et l'embuscade des gentilhommières du grand chemin trouvait toujours en lui un gibier complaisant : peu lui importait de déjeuner mal, pourvu qu'il déjeunât devant les arbres d'un parc. Il tourna à droite dans le chemin sablé (…) Il roulait à petit bruit entre les pelouses défleuries qui s'étendaient sur sa droite jusqu'au rebord du mouvement de terrain ; le dôme du clocher de Brévenay [Savenay], en contrebas, pointait seul au ras des herbes. Très loin, au bas d'un ciel de fumées grises, l’œil devinait la coulée de brumes du fleuve.

Carte postale Gaby en 1950

Le relais de Pen-Bé [Therbé] était un faux petit château Louis XIII bâti en bordure d'un boqueteau de chênes et de sapins ; un perron de quelques marches donnait accès à la porte d'ogive qui s'ouvrait en pan coupé à l'arrière de la maison. Quand Simon eut poussé la porte de ce castel sommeillant, il resta incertain de s'être fourvoyé : le salon aux boiseries sombres où on l'avait fait entrer était si coi et si reclus qu'il n'attendait visiblement personne. Des magazines fripés, un jeu de tric-trac étaient posés sur la table – près de la fenêtre, une vieille dame aux cheveux blancs et ondés, en robe de plage ( la grand'mère bien tenue des pensions de famille, pensa Simon) assise auprès d'une tasse de café, tricotait pour la petite éternité de l'heure de la sieste. Un rayon de soleil touchait la pendule de la cheminée dont on entendait le tic-tac ; par la fenêtre, au fond d'une vaste pièce de choux, on voyait sur la route de Bretagne les dos noirs de scarabées des voitures qui glissaient au ras de la haie d'un train enragé, sans aucun bruit (…) La salle à manger était déjà vide, les rares pensionnaires du Relais déjeûnaient de bonne heure ; le service était rapide et silencieux. Simon s'était installé près de la fenêtre ouverte ; de ce côté il avait devant lui une cour ombragée de marronniers dont les grosses feuilles palmées commençaient à roussir et à tomber (...) Contre le mur d'une resserre, un chien noir dormait le museau entre les pattes. »


Les noces de Thérèse Vaton  à Therbé en 1954
Coll. Yannick Boucaud

Notes :

1 Nathan Guigand, "Le château de Therbé, dossier historique", 21 pages, 2020. Pour tout renseignement contacter : nathan@guigand.com.
2 Lire : Amis de l'Histoire de Savenay et AHLS, L'hôpital américain de Savenay 1917-1919, 2017.
3 Source : Descriptif du vendeur actuel au prix de 395 € ! Livre d'or du château de Therbé - 1940 à 1966 - format In-4, 28,5 x 23 cm - Couverture velours "Or" - 60 pages avec quelques dessins originaux.
4 Jean Pierre Rémon (1928) : Artiste peintre et écrivain, illustrateur de nombreux ouvrages, personnalité de l'année en 1990 dans la catégorie Beaux-arts. Né le 9 novembre 1928 à Paris, dans le XIVe arrondissement, troisième d'une fratrie de sept. Son père était ingénieur en chef à l’Électricité de France; sa mère tout en veillant à la famille, avait un talent de pianiste et écrivait "Des Histoires presque vraies". Son entourage familial le sensibilise à la littérature et au théâtre. Un de ses oncles était en effet administrateur de la Comédie française et le dimanche après-midi la famille Rémon assistait aux représentations des classiques. Un autre oncle, Maurice Rémon, était professeur de français au Lycée Carnot et traducteur littéraire; il aura pour élève Paul Morand dont Jean-Pierre Rémon illustrera en 1969 l'ouvrage "Altitudes et profondeurs".
5 Julien GracqLa Presqu'île, 1970, p. 30-31.
6 Idem, p.46-50
7 Lire « Julien Gracq à Brevenay », in J-Y. Martin : « Paysages, pouvoir et colères du Sillon à l'Estuaire... », Le Petit Pavé, 2020, p.29-33.

Commentaires

  1. TRèS interessant et j'ignorais tout du lien qui existait entre l'Escurays et Therbe. Quand on parle d Y donne Espivent s'agit il de la Contesse de Maistre que j'ai connu étant enfant.
    Merci pour cette excellente publication.
    Georges Olivier

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    1. Nathan Guigand8 mai 2020 à 08:46

      Bonjour Monsieur,
      Je suis bénévole à L'Escurays. Votre témoignage de la comtesse Yvonne concerne certainement Odette de Rochechouart, mère de Raymond de Maistre.
      Pouvez-vous me contacter a : nathan@guigand.com ?
      Ce témoignage nous serait certainement très utile.
      Bien à vous.
      Nathan Guigand

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  2. Quel plaisir de retrouver " Therbé " !! J'y ai travaillé de 1960 à 1969 pour payer mes études, de 12 ans (pour la vaisselle) à 20 ans (pour le service à table).J'ai connu l'époque du "livre d'or"(dernière signature: Anne-Marie Carrière) puis la décadence progressive après le décès de M.Linn .L'hôtel-restaurant avait alors une toute autre fonction !

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