Christophe Guilluy : nouvelles fractures géographiques françaises

CHRISTOPHE GUILLUY, né en 1964, est géographe. Chercheur auprès de collectivités locales et d’organismes publics, il est également le coauteur, avec Christophe Noyé, d’un ouvrage de référence, L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France (Autrement, 2004). Il vient de publier "Fractures françaises" chez Bourin éditeur (2011).

L'auteur nous montre une France paupérisée, dont la classe moyenne est en train de sombrer. Il s'intéresse à ce peuple qu'on ne voit pas à la télévision et rappelle que 85% des ménages pauvres vivent non pas dans les quartiers "sensibles" mais dans les petites villes de province ou en zone rurale.



La crise actuelle n’est pas que financière et écologique. La fragmentation de la société a aussi de fortes dimensions territoriales. Les nouvelles « fractures françaises » sont également géographiques. L’effacement culturel et politiques des couches populaires est une conséquence de la relégation spatiale qu’elles subissent depuis plusieurs décennies. L’ancien exode rural vers les villes a cédé la place à un contre exode urbain d’une majorité des ouvriers, des employés, des ménages modestes vers les territoires périurbains et ruraux, à l’écart des lieux de pouvoirs économiques, culturels et politiques. Cette géographie sociale nouvelle, observable dans tous les pays développés, demeure trop méconnue.

La fragmentation de la société est ainsi associée à une recomposition sociale des territoires qui a entraîné  un déplacement du centre vers les périphéries des catégories populaires.

Cette fragmentation sociologique redéfinit non seulement le statut socio-spatial des catégories sociales, mais donne également la mesure de leur plus ou moins bonne intégration dans l’économie-monde capitaliste. Les espaces situés à l’écart des métropoles rassemblent aujourd’hui l’essentiel de ceux qui subissent le plus les effets de la mondialisation capitaliste.

Pourtant, le modèle métropolitain est plébiscité par les élites et plus largement par les catégories sociales qui bénéficient le plus de la mondialisation.

Les grandes métropoles, laboratoires sociologiques et idéologiques, développent sous couvert de « bonne gouvernance » leur capacité à gérer une société de plus en plus inégalitaire en substituant l’approche ethnoculturelle à la question sociale. Cette dernière étant délocalisée dans les espaces périurbains et ruraux où se concentrent désormais la majorité des ouvriers et des employés, le champ politique des métropoles s’avère particulièrement apaisé. Les débats politiques peuvent alors s’y focaliser sur les sujets de société et les majorités socialiste et verte, formées dans la plupart des métropoles, affirment le choix d’une « gestion sociétale » de la ville inégalitaire.

« Les métropoles sont ainsi devenues des centres prescripteurs pour l’ensemble des territoires. Cette domination culturelle et politique des centres fait ressortir davantage encore l’invisibilité culturelle et politique des périphéries urbaines et rurales. Cette France invisible concentre l’essentiel des couches populaires perdues de vue par la classe dirigeante, alors que leur poids démographique ne cesse de se renforcer. Mais ce nouveau monde, celui des métropoles inégalitaires, n’a pas encore fait disparaître l’essentiel d’une France populaire et égalitaire. »

Conclusion : Le retour vital du "conflit" et du peuple (Extrait)


« La "guerre civile" n’est pas l’horizon le plus probable, en revanche le retour du "conflit" paraît, lui assuré. Les illusions autoproclamées de la classe dominante n’empêchent pas le développement de profonds antagonismes sociaux et culturels, ceux-là mêmes que révèle la nouvelle géographie sociale des territoires ; elle permet déjà de dessiner les lignes de ces nouveaux conflits […]. Les conflits sociaux, culturels et idéologiques doivent dorénavant s’exprimer dans le débat politique. Pour cela il faut que la bulle du consensus politique explose, enfin […] Les solutions et une attitude politique existent : la fin du faux débat droite gauche et des disputes byzantines sur des sujets mineurs est aujourd’hui envisageable […] Les débats de replâtrage dissimulent de moins en moins les fractures françaises.


Pourtant, immanquablement les effets de la mondialisation libérale et du multiculturalisme seront demain au centre du débat politique. Ces problèmes contribueront non seulement à une recomposition politique à l’intérieur même des familles politiques, mais aussi à un retour des couches populaires. 
En effet, les questions de la mondialisation, de la métropolisation et du multiculturalisme sont les plus socialement clivantes, leur seule évocation contribue mécaniquement à la résurgence d’une France populaire que tout oppose aux choix des élites. Ce retour ne sera pas le fruit d’un messianisme révolutionnaire, mais d’abord la conséquence d’une instabilité sociale et culturelle que le système ne peut plus occulter sous peine d’un ébranlement de la société tout entière. Or, l’attachement des couches populaires françaises ou immigrées à une forme d’autochtonie, source de liens sociaux, sans oublier une défense viscérale du principe d’égalité sociale, souligne, ô combien, une contestation radicale du processus de mondialisation. C’est pourquoi, "qu’on le veuille ou non, le peuple détient les clés de l’avenir ».

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