Intercommunalité : comment les maires ont confisqué le pouvoir local à travers l'intercommunalité ? Selon Fabien Desage


Avec l'intercommunalité, les maires ont confisqué le pouvoir local. Une analyse édifiante à partir des travaux du sociologue - politiste Fabien Desage*. Plus que jamais d'actualité, notamment dans l'intercommunalité d'Estuaire et Sillon où les travers se retrouvent trait pour trait. Utile à rappeler à l'approche des élections municipales et communautaires de mars 2026.

Ces dernières décennies, les communes françaises ont appris à travailler ensemble. À travers les intercommunalités – communautés de communes, d’agglomération, métropoles – l’idée était simple : mieux gérer les services, mutualiser les moyens, planifier les grands projets. Bref, faire ensemble ce que chaque commune ne peut faire seule.

Mais cette belle promesse s’est heurtée à une réalité plus complexe. Selon le politiste Fabien Desage, spécialiste des institutions locales, "l’intercommunalité a surtout permis aux maires de renforcer leur pouvoir", souvent en dehors de tout contrôle démocratique. Explications.

Des maires plus puissants que jamais

Les organes de décision des intercommunalités sont en grande majorité composés… d’élus municipaux, et en particulier des "maires eux-mêmes". Résultat : ce sont toujours eux qui tiennent les rênes, même lorsque les décisions concernent un territoire plus vaste que leur propre commune.

Dans de nombreux cas, les maires forment un "entre-soi discret", où l’on évite les conflits, où l’on négocie les projets dans l’ombre, parfois "sans réelle délibération publique". Desage parle ainsi d’un pouvoir « confisqué », au sens où il est monopolisé par une poignée d’acteurs locaux bien installés.

Une démocratie locale affaiblie

Le problème, c’est que les citoyens n’ont quasiment aucun regard sur ces décisions intercommunales. Les conseils communautaires sont peu connus, les débats peu médiatisés, et l’élection directe des conseillers communautaires reste marginale et peu lisible.

Pire encore : même les conseillers municipaux "de base", qui ne siègent pas à l’intercommunalité, sont souvent mis à l’écart. L’information circule peu, les choix se font entre initiés. Autrement dit : les décisions publiques se prennent, mais sans véritable public.

Un pouvoir technocratique et opaque

Autre phénomène analysé par Desage : la montée en puissance des "techniciens", "bureaucrates locaux" et "experts" dans le fonctionnement intercommunal. Ce sont eux qui conçoivent les projets, gèrent les dossiers complexes, rédigent les appels d’offres.

Ce recours constant à l’expertise renforce l’idée que l’intercommunalité est **une affaire de spécialistes**, pas de citoyens. Une décision peut concerner des milliers d’habitants… sans qu’aucun d’eux ne puisse réellement comprendre qui l’a prise, ni pourquoi.

Ce que cela change pour nous

Cette concentration de pouvoir local entre les mains des maires – et parfois des techniciens – **affaiblit profondément la démocratie locale**. Elle produit :

  • Un sentiment de distance entre les habitants et les institutions,
  • Une perte de confiance dans la capacité à agir ou à être entendu,
  • Et une invisibilisation des conflits ou des choix politiques.

Pour Fabien Desage, cette évolution n’est pas anodine. Elle traduit une transformation profonde du pouvoir local, où "l’efficacité gestionnaire" a souvent été préférée à "l’expression démocratique".

Conclusion

L’intercommunalité aurait pu être un levier pour une gestion plus solidaire et participative des territoires. Mais dans bien des cas, "elle est devenue un outil de recentralisation du pouvoir local au profit des maires", sans contre-pouvoirs clairs ni transparence.

Rendre à nouveau visible et compréhensible le fonctionnement de ces structures est un enjeu central si l’on veut redonner du sens à la démocratie de proximité.

*Fabien Desage 2012 Maître de conférences en sciences politiques, université de Lille 2

Pour aller plus loin :

Fabien Desage & David Guéranger, La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions intercommunales, Éditions du Croquant, 2011.

Sur ce blog, ma recension du livre à sa parution, en 2011 : https://jym44.blogspot.com/2011/02/intercommunalite-la-politique.html

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BONUS : Fabien Desage au séminaire : INTERCOMMUNALITÉS, MÉTROPOLES, PÔLES MÉTROPOLITAINS… OÙ EN SONT LES TERRITOIRES ? Jeudi 29 mars 2012 INSET d’Angers

Extraits : 

Le fonctionnement des instances des EPCI s’apparente à un ensemble de tamis successifs, dans lesquels on va expurger les différends et surtout, éviter qu’ils ne deviennent publics et n’arrivent jusqu’au niveau du conseil communautaire. C’est non seulement le travail d’identification des différends dans les commissions mais c’est aussi le rôle, bien plus central que celui du conseil, du bureau, qui, dans les intercommunalités, est l’instance des maires et dans lequel on neutralise les différends.

La contrainte du huis clos est donc extrêmement forte. Dans les structures intercommunales, les élus locaux se trouvent entre eux. Ce sont des structures à huis clos dans lesquelles les logiques de la convivialité et de la proximité prévalent sur celles de l’affrontement et des différends.

Un effet de cette confiscation, est la faible publicité des échanges intercommunaux.

L'hypothèse de la confiscation devient nécessaire pour comprendre le succès en trompe-l’œil de l’intercommunalité et le report récurrent du suffrage universel direct. Il n’y a pas de paradoxe au fait qu’aujourd’hui, l’intercommunalité renforce ses compétences et son rôle. Les budgets sont croissants par rapport aux communes, il y en a quantité d’exemples. Et il n’y a pas de démocratisation concomitante.



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