Jean
Rolland (21 mai 1907 - 2 octobre 1991) fut une "figure
familière" savenaisienne de l'après-guerre à Savenay, un
peu oubliée aujourd'hui : la BnF/Gallica et les sites-libraires
se trompent de 20 ans sur sa date de naissance (1927, pour 1907) et
ignorent celle de son décès (1991). Personnage fantasque, son œuvre d'érudit local, elle-même méconnue, traduit cependant un moment particulier de la culture et de l'histoire locales. Son ouvrage le plus marquant « Histoire illustrée de Savenay » (1976), primé par l'Académie française en 1978, paru un siècle après celui de François Ledoux (1875) et un quart de siècle avant ceux de Camille Hussenot-Plaisance (2001), pose néanmoins la question légitime de la distinction entre érudition, histoire et ethnographie à l'échelle locale.
Une « figure familière »
Dans
ses souvenirs d' « Enfances Savenaisiennes, 1950-1964 »,
publiés récemment, Annie Héral-Vieau dresse un portrait
pittoresque de Jean Rolland, un ami de sa famille, « une
grande figure familière », dit-elle :
« Ami de mon père et
de mon oncle de longue date, il vivait seul à la Goupillière, dans
une maison avec vue sur la Loire. Dans son jardin il avait planté
une improbable statue de Saint-Hubert chasseur, qu'il avait façonnée
en plâtre. L'intérieur était un capharnaüm étonnant. Jean
Rolland n'était pas seulement ce paysan convaincu, écolo avant
l'heure, nourri de bouillie de céréales Floraline. C'était un
poète reconnu, il avait publié quelques poèmes primés et quelques
fables du Sillon, ainsi qu'une "Histoire
de Savenay" assez
estimée. Meilleur écrivain que musicien, il jouait du violon aussi
et faisait grincer les dents de mon oncle professeur de piano. Le
"Sieur Rolland",
comme il se nommait lui-même, s'illustrait aussi dans la sculpture
sur bois et la peinture, d'un style entre pompier et naïf. Il avait
l'accent de la campagne, un peu rocailleux, et une articulation
rapide, saccadée et approximative. Mais il était drôle, racontait
des histoires désopilantes comme personne, avec des mots du terroir,
et ne se prenait pas au sérieux ». (p.17).
Annie Héral-Vieau, Le goût
des pêches de vigne,
Enfances Savenaisiennes,
1950-1964, Malville, 2017.
Une œuvre méconnue
L’œuvre publiée par ce
curieux touche-à-tout est composite et évolutive. Dans
l'après-guerre, elle commence par des romans autour du personnage
féminin de Nanon, « Fille du Sillon » en 1946,
suivi de « Pour Nanon, amours au Sillon de Bretagne »
en 1957, qui atteint le tirage notable de 41.000 exemplaires.
Ensuite, dans le courant des années 1970, il s'oriente vers le conte
(« Le moulin de Bol-Haye, Aventures et Amours de Toussaint
Cadoret », 1979) , la poésie (« Tambours
voilés », 1986) ainsi que des discours (« Valeurs
de destins », 1970) et études philosophiques (« Dieu,
l'évolution et nous », sans date), ou religieuses ("Le Maître de l'Espérance, une vie de Jésus", Œuvres Vives), sans cependant conserver,
semble-t-il, la même audience.
![]() |
Pages titres des principaux ouvrages de Jean Rolland |
Mais
son ouvrage principal, le plus connu, reste bien sûr son « Histoire
illustrée de Savenay, suivie d'une monographie de la commune »,
publiée une première fois en 1976, et qui sera rééditée deux
fois, la dernière en 1983. Ce livre reçoit, en 1978, un prix
triennal de la Fondation Toutain (1.500 F.) de l'Académie française,
« décerné de préférence à une œuvre d'histoire
locale ». Dans sa préface Pierre Suet, le maire de
l'époque, de 1972 à 1977, dit de ce livre : « nous
l'attendions depuis longtemps et chaque famille se doit de le
posséder ». Il fait donc alors figure d'érudit local
reconnu, sinon officiel, et le contenu de son livre l'explique
parfaitement.
![]() |
Les voies romaines à Savenay selon Jean Rolland, à proximité de son hameau de la Goupillière |
Historien
de Savenay ou ethnographe local ?
Jean Rolland ne nie pas lui-même
sa dette à l'égard de son prédécesseur en histoire de Savenay,
François Ledoux : « magistrat, ancien maire de Savenay
[1850-1860], il en
écrivit l’histoire jusqu'en 1848. C'était un érudit, membres de
plusieurs sociétés savantes. Son histoire de Savenay est écrite
avec beaucoup d'impartialité et nous a été très utile pour la
rédaction du présent ouvrage » (p.144). C'est peu de le
dire : une relecture en parallèle des deux le confirme, car les
76 premières pages s'en inspirent étroitement. Rolland ne peut
guère, par exemple, s'écarter du récit de l'insurrection de mars
1793 fait par Ledoux, « qui a interviewé des survivants de
cette équipée » admet-il.
Concernant la période
révolutionnaire et la bataille de Savenay, cadré par Ledoux, il se
distingue un peu de son ami nazairien Fernand Guériff, quant à lui
beaucoup plus radicalement anti-révolutionnaire.1
Quand Rolland écrit, dans un curieux amalgame anachronique, loin de
Savenay : « on le sait, toute révolution commence dans
la modération, puis il y a toujours quelqu'un qui, à son profit,
lui donne une tournure redoutable. En France, il y eut Robespierre,
en Allemagne Hitler, en Russie Lénine et Staline, en Angleterre
Cromwell. », Fernand Guériff, qui lui co-dédie son
propre livre : « La Bataille de Savenay dans la
Révolution » (1988), dénonce vertement « l’aveuglement
stupide des historiens patentés devant le phénomène
révolutionnaire » qui « élucubrent des
âneries », et n'y voit finalement, avec Aulard et Mathiez,
que le fruit d'un « complot franc-maçonnique ». Au-delà
de petites nuances, l'un et l'autre ignorent superbement ce qu'est
devenue l'historiographie de la Révolution française à la veille
de son bicentenaire, dans les années 1980 - avec Albert Soboul,
Michel Vovelle et Claude Mazauric, pour ne citer qu'eux - sans doute
insupportablement "marxiste" à leurs yeux.
Certes Jean Rolland fait-il
aussi, comme Guériff, dans ses « ouvrages consultés »,
état des archives : départementales, municipales et
paroissiales. Mais, à l'inverse de Ledoux, il n'en donne ensuite
aucune référence quelconque dans les rares notes infrapaginales de
son livre. Il apparaît ainsi plus comme un collectionneur de faits
et raconteurs d'anecdotes, que comme un historien, chercheur
rigoureux en archives et critique de ses sources. Quant à la
Bataille de Savenay (22-23 décembre 1793), s'appuyant sur les
mémoires des jeunes officiers républicains (Marceau, Kléber,
Westerman...), il en fait – cartes trop limpides de Berthomé à
l'appui - un récit par « phases », digne des prochaines
grandes batailles napoléoniennes. Mais Savenay n'est pas
Austerlitz !
Pour la suite de sa chronique
locale, au XIXe siècle, il doit alors voler de ses
propres ailes. Ne pouvant plus s'inspirer étroitement de Ledoux
après 1848, il s'appuie désormais sur les compte-rendus des
associations ou sociétés savantes, quand elles se tiennent ou
s'intéressent à Savenay. Pourtant, en dépit d'une méthode
imparfaite, il n'ignore ou ne néglige rien d'essentiel, comme le
transfert de la sous-préfecture à Saint-Nazaire ; la présence
américaine à Savenay à la fin de la Grande guerre ; les camps
de la défaite de 1940 (la Berthelais et la Touchelais, le
frontstalag 182, où il fut prisonnier) ou la Poche de Saint-Nazaire
et sa reddition en mai 1945.
Dans la « monographie sur
la commune » qui suit, il fait ici moins œuvre de géographe
que d'ethnographe du présent, avec, par exemple, un trombinoscope
choisi de certaines des notabilités locales : chanoines, curés,
élus, maires et adjoints, jusqu'à un ténor lyrique et, même, un
« président national des chauves », qui se trouve
être... coiffeur à Savenay ! En plus d'un chapitre sur les
« us, coutumes et légendes » du lieu, l'ouvrage
propose un riche glossaire du vocabulaire autochtone, d'environ 250
entrées, précédé de cette précision qu'on subodorait un peu :
« en règle générale, les sons oi font ouère. Ex. croire
= crouère, boire = bouère ». Selon l'auteur, « ce
patois a une grande analogie avec celui de Vendée et du Poitou ».
Alors :
érudit c'est vrai, historien ça l'est un peu moins ; mais
ethnographe amateur, parfois truculent, de Savenay au milieu du XXe
siècle, c'est plutôt évident. C'est ce positionnement "grand
public" singulier qui
explique sans doute son audience et les rééditions de son ouvrage
qui va ainsi faire date pendant un quart de siècle et, à ce jour,
malgré son « épuisement » éditorial, continue de
figurer - comme celui de Ledoux, mais pas pour les mêmes raisons -,
bien au-delà de Savenay, sur les sites de vente de livres rares.
Les ouvrages
de Jean Rolland * :
* Merci à Jean-Pierre Criaud qui a contribué à l’établissement de cette liste et de sa chronologie.
* Merci à Jean-Pierre Criaud qui a contribué à l’établissement de cette liste et de sa chronologie.
-
"Nanon, fille du Sillon", Maison de la bonne presse,
1946. (Rédigé quand il était prisonnier en Allemagne).
-
"Pour Nanon, Amours au Sillon de Bretagne", Roman.
Dessin de Hervé Viau, Éditions Debresse, Paris VII,1957 (41e
mille).
- "Les Tambours voilés", poésie, Les Provinciales, 1966.
- "Valeurs de destins, discours philosophiques", 1970.
- "Valeurs de destins, discours philosophiques", 1970.
-
"Histoire illustrée de Savenay, suivie d'une monographie de
la commune", Éditions Veritas, 1976, 3ème édition en
1983.
-
"Le moulin de Bol-Haye, Aventures et Amours de Toussaint
Cadoret", Éditions Pierre Gauthier, 1979.
- "Le maître de l'espérance, Œuvres Vives, 1986.
- "Dieu, l'évolution et nous, Études philosophiques", sd
- "Le maître de l'espérance, Œuvres Vives, 1986.
- "Dieu, l'évolution et nous, Études philosophiques", sd
*
1 Fernand
Guériff est un érudit nazairien, musicologue reconnu : la
plus grande salle du conservatoire de musique de Saint-Nazaire porte
son nom. Il a également publié nombre d'ouvrages, dont l'un intitulé « Historique de Saint-Nazaire » (2 tomes, 1960),
et cet autre sur « La bataille de Savenay dans la
Révolution », 1988, ouvertement pro-chouan et
anti-révolutionnaire. Il y écrit, notamment : « La
Révolution, organisée par et pour les bourgeois, fut en même
temps, malgré les apparences, dirigée contre la nation française
dans ce qu'elle avait de traditionnel et d'immuable »
(p.30). Étonnant, pour un ex-instituteur laïc, ancien élève de l’École
normale de Savenay !
L'acte de décès de Jean Rolland : 2 octobre 1991
Commentaires
Enregistrer un commentaire