Périphéries, reproduction sociale de crise et urbanité sans salaire au Brésil

Ce nouveau livre du géographe brésilien Thiago Canettieri - après "La condition périphérique" (2020) et "Brésil catastrophe" (2024) -  propose une  approche nouvelle des périphéries urbaines en les considérant comme des espaces révélateurs des inégalités sociales produites par le capitalisme actuel. Il veut "contribuer à l'élaboration théorique sur les espaces périphériques à partir d'une approche inspirée par l'enseignement d'Henri Lefebvre (1974) qui comprenait la production de l'espace sous le capitalisme comme un processus tel qu'il aboutit à l'homogénéité, la fragmentation et la hiérarchisation. 

Ajoutons-y, dans le même sens, "la survie du capitalisme" (la re-production des rapports de production, 1976), dans lequel Lefebvre écrivait déjà, à l'époque : "si les centres capitalistes sont solides, puissants, logiques et destinés à croître, d'où peut venir une contre-offensive ? Ou bien elle n'aura pas lieu, ou bien elle viendra des périphéries !" (Lefebvre, 1976, p.160). 


L'auteur s'appuie sur des recherches de terrain menées avec un groupe d'étudiants à Belo Horizonte (MG, Brésil) pour illustrer ses propos et souligner l'importance des stratégies de survie qu'on y observe. De cette "enquête anthropologique", il ressort que les périphéries sont des espaces contradictoires. Le terme "périphérie" est lui-même complexe et recouvre de nombreuses réalités. L'auteur insiste sur leur diversité et leur caractère hétérogène. Les périphéries sont vues comme des lieux où se matérialisent les inégalités sociales, fruit des contradictions inhérentes à l'urbanisation capitaliste. Elles sont un espace de reproduction sociale critique, au sens d'en crise permanente. Dans un contexte de crise du travail, les habitants des périphéries développent des stratégies de survie originales, hors du salariat traditionnel.

Elles sont elles-mêmes diverses : micro-entrepreneuriat, assistanat de crise, endettement, rentiérisme, activités illégales... Toutes ces stratégies se combinent pour assurer, tant bien que mal, la reproduction de la vie quotidienne. La caractéristique principale de ces stratégies est qu'elles se développent en dehors du circuit économique formel, c'est-à-dire sans un emploi salarié stable. Les habitants des périphéries vivent ainsi une "urbanité sans salaire", où la reproduction sociale se fait en dehors des normes et circuits établis.

Cartographie : une typologie des périphéries à Belo Horizonte

Les périphéries sont intégrées au système capitaliste de manière paradoxale : elles sont à la fois dépendantes de ce système et en sont exclues. Cette "intégration négative" les place dans une situation de précarité structurelle. Loin d'être des vestiges hérités du passé, les périphéries sont intrinsèquement liées au développement du capitalisme moderne. Elles constituent une partie nécessaire du système, absorbant les contradictions et les externalités négatives du capitalisme central.

Thiago Canettieri nous offre un regard original sur les périphéries urbaines, en les positionnant comme des espaces de résistance et d'innovation face aux inégalités sociales. Son travail invite à repenser les notions de travail, de salaire et de reproduction sociale dans le contexte mondial actuel de bouleversements économiques, sociales et environnemental.

Qu'on ne s'y trompe pas ! Canettieri ne nous parle évidemment pas que des périphéries brésiliennes à propos de celles de Belo Horizonte. Sa réflexion rejoint nécessairement celle que nous devons avoir aussi sur les périphéries dans les pays centraux, en tant qu'"extension du domaine du capital" (J-C Michéa,2023).  A certains égards, dans des conditions et selon une trajectoire historique certes différentes, il fait cependant écho à la "brésilianisation" en cours de la France, résultat des phénomènes de métropolisation et de périphérisation produits par et pour le mode de production hégémonique autant qu'excluant. D'une certaine manière, il réalise la prophétie de Stefan Zweig en 1941, dans "Brésil terre d'avenir". Sauf qu'il s'agit du nôtre !


Son livre, critique de l'urbanisation capitaliste, propose ainsi une nouvelle perspective sur l'urbanisation et ses périphéries. En mettant au premier plan les réalités de la vie des habitants des périphéries, il ouvre de nombreuses pistes de réflexion sur les questions de justice sociale, d'inclusion et de développement durable. Il invite à s'interroger sur les politiques publiques à mettre en œuvre et les mobilisations à développer pour améliorer les conditions de vie dans les périphéries et construire des sociétés plus justes et équitables.

Page 4 de couverture

Mots-clés : périphéries brésiliennes, reproduction sociale, crise, inégalités, précarité, intégration négative, capitalisme.


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