Pour illustrer un aspect de la « gouvernance » intercommunale, prenons comme exemple la question banale, souvent méconnue, des poubelles, de leur ramassage et de la facturation de ce service, à partir du cas particulier d'Estuaire et Sillon. En retrait des actualités dominantes, ce sujet des poubelles, source d'un mécontentement latent à bas-bruit, connaît une extension nationale et recèle un fort potentiel de conflictualité.
Un vécu quotidien banal en périurbain nantais.
Dans l’intercommunalité d’Estuaire et Sillon, faisant lien entre Nantes et Saint-Nazaire, les élus communautaires, se prévalant d'une gestion « de bons pères de famille » [sic], en sont arrivés à adopter, d'une année (2021) sur l'autre (2022), à la quasi-unanimité de leur conseil communautaire, des augmentations de tarifs de ramassage des ordures ménagères (abonnement et levées) atteignant, dans certains cas, jusqu'à 100 %. Avec une « moyenne » ou une « valeur médiane » – chaque cas d'usager restant spécifique et particulier – d'environ 50 %, selon la taille des bacs alloués aux foyers en fonction de leur composition familiale. L’année précédente, au 1er janvier 2021, la fréquence de passage des camions-bennes de ramassage avait pourtant été diminuée de moitié, passant d’une semaine à une fois par quinzaine, grâce à une dérogation préfectorale de fin 2020. Une division du service de ramassage par deux faisant espérer une baisse, mais pas un doublement des factures. De quoi irriter sérieusement les usagers.
C’est que, depuis une dizaine d’années les élus, la plupart « sans étiquette » et « apolitiques », privatisent subrepticement, pan par pan, un service public vital de proximité. Les tarifs, suivant en cela les indications du réseau national de lobbying d'élus, collectivités et entreprises Amorce (1), seront indexés sur un panier d'indices, tous en forte hausse actuellement, dont le carburant et la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), au risque d’enclencher une hausse exponentielle des factures. Ceci, à partir de l'année même (2021) d'une dégradation quantitative (réduction de la fréquence du ramassage) et qualitative (nombreux dysfonctionnements), d'un service moindre mais plus cher payé. De plus en plus d'usagers ne comprennent pas.
Car, en fait d’incitation, c’est devenu tout le contraire : « Plus on trie, plus on paye ! », disent-ils fréquemment, répondant en mai dernier, chiffres à l'appui, à un audit associatif citoyen indépendant.
La répurgation des ordures ménagères est du ressort des communes. 10, mais elle est passée aux intercommunalités depuis leur formation dans les années 2000. Et il existe toujours deux principaux régimes pour le ramassage et le traitement des déchets : la Taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et la Redevance incitative (RI).
- La première finance un service public général payé par l'impôt, établi à partir de la valeur locative de l'habitation, au montant fixé par un taux, stable ou en hausse annuelle généralement modérée. Votée par la collectivité, elle est perçue avec les impôts fonciers, ce qui la maintient dans l’ombre et la rend plus ou moins indolore.
- La Redevance incitative, elle, est une prestation individualisée et personnalisée, facturée au « redevable » en fonction de son utilisation du service. Avec une part fixe (abonnement annuel) et une « part variable » (suivant le nombre de présentations du bac-poubelle à la levée par la benne). Initialement, au nom du principe « pollueur-payeur », il s'agissait d'« éco-responsabiliser » les citoyens, en promouvant compostage, recyclage et démarche « zéro déchet ». Avec la ferme conviction que l’ensemble de ces petits gestes vertueux du quotidien pourraient, s'ils en venaient à se généraliser, contenir et maîtriser le problème de la croissance des déchets. D'où ce slogan leitmotiv alors en vogue : « Le meilleur déchet, c'est celui que l'on ne produit pas ».
Pour autant, aujourd'hui, plus d’une décennie plus tard, la répartition départementale TEOM/RI, en poids respectif de population, reste cependant très déséquilibrée. La Taxe d'enlèvement des ordures ménagères concerne à ce jour les trois quarts de la population départementale, alors que la Redevance incitative n'en touche que le quart restant.
Le principe de sa territorialisation départementale est très simple : toutes les communautés d'agglomération (Nantes Métropole, Carene, Cap Atlantique) et les collectivités littorales (Pornic agglo, Pays de Retz) sont restées à la TEOM, même si, pour certaines, c’est avec une dose limitée d’incitation (TEOMI). Alors que, dans les années 2010, ce sont donc surtout les intercommunalités proches et autour de Nantes qui ont adopté d'enthousiasme, l’une après l’autre, une Redevance incitative intégrale. À tel point qu'on pourrait même y voir là un bon critère de la délimitation du périurbain nantais, défini comme l'ensemble des collectivités en redevance incitative autour de Nantes.
Mais, au tournant des années 2020, l’affaire se corse. Les hausses des tarifs se succèdent et s'envolent. Pour comparaison, en cette année 2022 la hausse de la TEOM dans les vingt-quatre communes de Nantes-Métropole n'est « que » de 6 %, alors que dans les onze communes d'Estuaire et Sillon celle de la Redevance incitative est de l'ordre d'au moins 60 % pour les usagers-abonnés, tout comme en masse financière cumulée dans le budget annexe déchet de la collectivité (2) Précisons que le « budget primitif » déchets, qui doit être voté « à l’équilibre », est le seul sans perspective de transfert du budget général, impératif qui sert de justification aux plus fortes augmentations. Mais « c’est pour sauver la planète ! », argue l’élu en charge du dossier. Mais les usagers « redevables » ne font plus le lien entre la fin du monde et leurs fins de mois.
C’est pour des raisons similaires mais souvent diverses, à l'échelle de la France, que plus d'une trentaine de collectifs et d'associations s'insurgent contre les modalités de ramassage et les hausses excessives des tarifs de la Redevance incitative. Notamment en Dordogne avec l'Association des usagers mécontents de la collecte de déchets dans le département de la Dordogne (AMCODD), où le syndicat départemental SMD3 veut passer à la RI en 2023, tout en ayant déjà supprimé le ramassage des ordures ménagères au « porte à porte à domicile », pour le remplacer par des « points d’apport volontaire » payants.
En Loire-Atlantique, des oppositions s’expriment, dans diverses configurations et avec des objectifs particuliers : dans l'intercommunalité d'Erdre et Gesvre depuis 2013 ; en Estuaire et Sillon depuis 2016 et dans des communes de Clisson Agglo Sèvre et Maine, depuis 2022. Personne n’oublie qu’en 2019 le mouvement des Gilets jaunes a démarré par la seule perspective d’une « taxe carbone » sur les carburants, dont le gazole des véhicules diesel. Son sceptre hante toujours les ronds-points périurbains. Il questionne toujours la vie politique et la pensée critique, sur la « condition périurbaine » (3) en ce temps de crise devenue protéiforme : pandémie, guerre, inflation, inégalités criantes, et famines annoncées…
Notes :
1 - Voir le site https://amorce.asso.fr.
2 - Exactement +64 % en 2022, chiffre interne de la communauté de communes Estuaire et Sillon et ses services, mais non-avoué ni franchement divulgué au public et aux usagers.
3 - Michel Lussault, Des ronds-points et de la condition périurbaine, AOC, 2019
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