Huma Café avec Alain Croix, vendredi 19 avril 2024, au Lieu Unique
La soirée n’a pas levé toutes les ambiguïtés sur le qualificatif de « populaire » appliqué à l’histoire. Est-elle "populaire" parce qu’elle s’intéresse au peuple comme sujet ? Ou parce qu’elle attire l’intérêt, tout comme il y a des « chansons populaires » ?
L’histoire en quête du peuple
Pour Alain Croix il y a « un nouveau concept de
l'histoire populaire ». Elle est « lucide sur
elle-même, ouverte au présent ». Elle « répond à nos questions d'aujourd'hui », pour « une
science qui évolue ». La notion d’identité,
héritée de période Sarkozy, recule, alors que la notion
de classe est elle-même moins présente.
L’histoire populaire n’est sans doute « pas
un remède miracle » et reste encore « un terme fourre-tout ». Après
celle de Nantes (2017) et de la Bretagne (2019), il y a bien une « Histoire populaire du football » (2018), de Nice (dès 2016).
En bref, c’est « l’histoire du peuple, pour
le peuple, du point de vue du peuple ». L’historien discerne des précurseurs.
Pierre Goubert « Louis XIV et vingt
millions de Français » (cf. note); Jean
Guéhenno (Changer la vie, 1961) qui jugeait l’histoire populaire, « la plus
grande et la plus émouvante (…) l’histoire des hommes sans histoire, des hommes
sans papiers, impossible à écrire ».
Le peuple est une notion qui évolue. Elle est
sous-jacente dans « Le cheval
d'orgueil » de Pierre-Jaquez Hélias (1975). « Ses frontières sont larges ». C’est une « autre
histoire », et par exemple 1532, date si connue, c’est surtout l’année de
la plus terrible des famines à Nantes. A la veille de la Révolution, les Cahiers de doléances
ne sont écrits que par 3% de la population, ce qui donne la mesure de la marginalisation du peuple pré-révolutionnaire.
L’histoire populaire présente trois caractéristiques :
1 - Elle est l’histoire des oubliés : des
mendiants, les criminels de la misère, les voleurs, journaliers, tous « ces gens qui n'ont pas
d'histoire ».
Le Suffrage Universel de 1793 ne donne la voix qu’à
15% de votants. Coût de la vie ? La Loi du maximum (4 mai 1793, Convention nationale) n'a pas fonctionné. Alors que l’histoire économique de la
Révolution, passe pourtant par « l’histoire du prix du chou ».
Jean Jaurès, malgré le titre « Histoire socialiste
de la révolution française », n’écrit pas en 1908 une histoire « qui
soit celle du peuple » estime Croix ! Bien sûr, mais elle a plutôt une
vocation et une volonté d’éducation « populaire ».
2 - L’Histoire des inégalités et des injustices
3 - Celle d’un peuple qui pense et qui agit,
Elle est celle des « gestes et espoir
du militant », d’un « peuple acteur » ! Souvent plus dans la
révolte.
Mais, telle qu'ainsi définie, cette histoire débouche largement sur une galerie de
portraits sans grand lien entre eux, qui tombe alors dans l’anecdotique.
S’agissant de « crée le lien avec notre
histoire », il y en a des signes
« d'un mouvement de fond dans la société »,
avec le cinéma de Ken Loach et de Robert Guédiguian, ce dernier se concentrant sur
Marseille
L'enjeu commun serait ainsi : « l’affirmation
que "nous ne sommes pas rien ! »
L’histoire populaire en question
En médiéviste Alain Croix voit les principales sources dans les registres paroissiaux et les archives judiciaires. Et si « on peut ruser avec le silence des pauvres, c’est avec des limites ». L’historien ne cache pas ses « détestations », et ne retient généralement guère, à l’occasion, ses critiques.
D’après lui, « Marx, ce n’est pas de l’histoire
populaire ! ». Certes, mais Marx, excellent connaisseur de la
Révolution française, a été un historien méticuleux de la France du milieu du
XIXème siècle, de 1848 à 1870. Pour Marx, ce n’est pas le peuple - largement
aliéné, rendu étranger à lui-même - mais ce sont les masses qui font l’histoire.
La toute première phrase du Manifeste de 1848 le dit ainsi : "L'histoire de toute société
jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte de classes."
Pour A.Croix, « Soboul n'a pas fait de l’histoire populaire » (Soboul, Les Sans-culottes parisiens de l'An II, 1958) ! Car, « dans Paris seulement et avec un regard parisien », sur des Sans-culottes qui « n’étaient que Parisiens ». On s’étonne, car c’est faire bon marché des « sociétés populaires », justement, de 1789 à 1795, qui dans beaucoup de villes et de départements nouveaux de la France, ont été un puissant soutien populaire à cette révolution d’essence bourgeoise.
S’il faut donc « dire les choses, donner toute leur place au peuple » selon le conférencier, des exemples autres et collectifs, sont donnés par la salle. Ex : des Batignolles de Nantes, des dockers (CHT, 2023). Pour Alain Croix, le critère de leur validité est que pour ces histoires populaires, des professionnels soient largement associés aux recherches et publications, au risque de les écraser depuis leur surplomb universitaire.
« L’histoire populaire de Nantes » (co-écrite
en 2017), s’illustre par des choix formels : une langue sans un seul mot
difficile, trop technique. Pas de notes infrapaginales. Une
pagination limitée, et un prix abordable (15 €) allégé des droits d'auteur.
Des choix disruptifs par rapport aux canons académiques, mais qui ne constituent pas
des réponses sur le fond.
Quid des Historiens locaux amateurs ? Alain Croix estime qu’il y a « beaucoup trop d'exemples d'ouvrages très mauvais » ! Pour lui, on ne s’improvise pas historien, un beau jour, avec « une page blanche et un crayon ». Il rappelle, à bon escient, que « l'histoire c'est un métier », qui exige un « niveau professionnel » ! Il aurait pu alors évoquer Marc Bloch, éminent médiéviste, qui sous-titrait son « Apologie pour l’histoire » posthume, par « Métier d’historien », un livre dont « il faut repartir » (J. Le Goff), même aujourd’hui.
Si cette conférence a peut-être levé quelques ambiguïtés du « populaire » dans l’histoire, en revanche elle n’a pas été tout-à-fait au bout - paraphrasant ce qui se dit aussi de la démocratie – d’une démarche historienne du peuple, pour le peuple, PAR le peuple. Une utopie coopérative, à laquelle se sont confrontées aussi bien Nantes Histoire (à partir de1987), que l’AREMORS (dès 1979) pour la région nazairienne.
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