Ce bref essai de Françoise Choay, est un cri d’alarme à propos d’une question qui demeure à la pointe de l’actualité : quel avenir pour le territoire, alors que son aménagement n’est plus considéré comme le socle de nos sociétés ? Malgré son titre, ce n’est donc pas une énième déploration écolo-alarmiste. Avec "La terre qui meurt", l’historienne des théories et des formes urbaines et architecturales poursuit plutôt son combat contre les effets urbains menaçants de la mondialisation et la marchandisation du patrimoine en cours.
Dans une première partie – "Espacements" - elle reprend ses analyses sur l’évolution de l’espace urbain en France. Successivement espace de contact, dans le bourg médiéval, de spectacle, à l’époque régalienne classique, de circulation avec la révolution industrielle, puis de connexion aujourd’hui. F.Choay fait plus que décrire les évolutions et ruptures qui marquent l’histoire de l’espace urbain.
· Pour elle, le bourg médiéval était un espace de contact qui « sert l’information en se prêtant aux relations humaines, au rapport de bouche à oreille », où « tout et tous se touchent, dans la rue, d’un édifice à l’autre ». Il ne fait, pas encore, la part belle à la roue.
· A l’époque classique (XVIIe et XVIIIe siècles), on conçoit l’espace urbain "pour l’œil" seul et non plus pour le corps ni pour les autres sens. Les villes se scénarisent, se théâtralisent. Les "embellissements" sont confiés à des artistes. Le pouvoir politique régalien, veut y organiser des parades à la hauteur de sa puissance et de sa gloire. L’information devient éminemment politique et institutionnelle.
· Les XIXè et XXè siècles, plus proches de nous, aménagent l’urbain non plus en fonction du piéton, mais des moyens de transport. Avec, entre autres, l’œuvre du baron Haussmann de 1853 à 1870 à Paris. Ainsi s’établit un "système circulatoire général" qui perce de grandes voies de "liaison rapide" reliées entre elles par des carrefours de connexion. Œuvre circulatoire mais aussi hygiéniste avec promenades plantées, parcs et squares. La rue n’est plus le lieu de l’information, car confiée à des officines spécialisées ; bibliothèques, rédactions de journaux… Les habitations se dissocient et s’éloignent du lieu de travail, les centres villes s’effacent…
· Aujourd’hui, selon F.Choay, l’espace urbain serait une réalité lointaine qui s’effacerait devant l’impérieux besoin d’être et de rester "connectés", via les nouvelles technologies de l’information. D’où cette interrogation : « Une fois esquissé l’espace de connexion, qui devient le cadre de nos activités, la question se pose de l’ancien espace de contact. Appartient-il-il désormais au passé ? » Le contact humain étant restreint à des lieux spécifiques : entreprise, supermarché, club de sport, domicile familial… Caractéristiques d’une société qui s’individualise et se communautarise. « Ou bien, l’ancien espace de contact urbain, plus extérieur et moins instrumental, est-il irremplaçable pour un apprentissage, une information non plus du savoir ou des institutions, mais des relations interpersonnelles de base, celles qui contribuent à former la personne humaine ? Dans l’affirmative, il serait à réinventer selon des normes contemporaines. »
La seconde partie – "Patrimoine, quel enjeu de société ?" – est la plus neuve. Elle fait toucher du doigt notre façon de vivre et d’habiter notre patrimoine historique. Lieux de vie et de contacts, ou musées marchands ? A l’heure de la "révolution électro-télématique", elle en analyse les divers effets : disparition d’un lexique pertinent applicable aux établissements humains ; remplacement des anciennes disciplines d’aménagement par un urbanisme de branchement ; élimination des praticiens traditionnels, avec remplacement du dessin manuel par la CAO, conception assistée par ordinateur ; apparition des architectes/urbanistes vedettes plus portés vers l’espace de circulation que d’usage ; méconnaissance de la fonction symbolique de la "compétence d’édifier".
Elle évoque, pour conclure, le travail du Manifeste territorialiste, initié par Alberto Magnaghi avec son "Projet local". Pour elle, il porte les orientations suivantes : primauté du territoire et de l’échelle locale ; exclusion du tourisme au profit des habitants locaux ; exclusion de tout "communautarisme", « l’identité locale étant représentée par les individus et les familles qui habitent et travaillent sur les lieux » ; et participation directe de ces communautés locales à toutes les décisions et actions les concernant.
Difficile d’évoquer en si peu de pages tant de choses essentielles, avec autant de simplicité et de brio.
F.Choay, La terre qui meurt, Fayard, 2011, 104 p., 12 €
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