Edgar Morin, sociologue et philosophe, publie un nouvel ouvrage - juste après "Pour et contre Marx"- intitulé "Ma gauche", qui rassemble une série de textes - certains déjà publiés dans la presse (Le Monde, Libération), mais la plupart inédits, écrits dans les années 1990 ou 2000 – édités ici en deux parties intitulées, l’une "Pensée", l’autre "Mondialisation". Ces textes traduisent un travail de longue haleine, « un effort de repensée », déjà marqué - dans le seul champ politique - par son « Introduction à une politique de l’Homme » (1965), et « Pour une politique de civilisation » (1997 et 2002). Complémentaires, mais parfois répétitifs, ces deux douzaines de textes forment une vaste synthèse de la réflexion politique de l’auteur sur l’état de la gauche en 2010.
L’avant-propos - « Ressourçons-nous » - en synthétise le projet général. Pour E.Morin la gauche est une notion trop complexe pour en parler au singulier, « le terme comporte en lui unités, concurrences et antagonismes ». Ses sources, « activées par la pensée humaniste, par les idées de la Révolution française et par la tradition républicaine, ont irrigué au XIXe siècle la pensée socialiste, la pensée communiste, la pensée libertaire ». Mais, chacun de ces courants de pensée « n’a appréhendé qu’une portion, qu’un fragment de la réalité humaine » .
Aujourd’hui, la tâche indispensable est énorme : « tout est à repenser, à refonder, à réformer ». A l’ère planétaire de la globalisation, « le vaisseau spatial Terre est propulsé à une vitesse vertigineuse par les quatre moteurs incontrôlés science-technique-économie-profit". Une polycrise planétaire, « crise de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à l’humanité ». Comme toute crise, « elle est porteuse de régressions destructrices, comme de possibilités d’inventions salvatrices ». Mais la composante invisible de cette polycrise est celle de la pensée. « On croit bénéficier des vertus de la "société de la connaissance", alors que c’est en fait une société des connaissances dispersées et cloisonnées. La pensée dominante dans sa logique binaire, est incapable de considérer l’ambivalence des antagonismes de notre temps ».
Ainsi, la mondialisation est, par exemple, tout à la fois, la pire et la meilleure des choses. De cette ambivalence radicale il découle deux impératifs contradictoires et complémentaires : mondialiser et démondialiser. D’une part, « favoriser les coopérations économiques, sociales et culturelles qui vont dans le sens de l’unité solidaire de l’humanité ». D’autre part, « favoriser les vitalités locales, régionales, nationales, entre autres : alimentation, commerce et artisanat, moyennes et petites exploitations fermières et bios, restauration des campagnes désertifiées, services médicaux et scolaires de proximité ».
Alors que « le capitalisme de l’ère de la globalisation est déchaîné », il faut certes lui imposer règles et contrôles, mais surtout « développer une économie plurielle, sociale et solidaire, qui réduira progressivement l’aire capitaliste ». Ce qu’il faut concevoir, ce n’est donc pas un programme-catalogue, mais une « Voie globale de la mondialisation/démondialisation », qui serait celle d’une « politique de l’humanité, subordonnant le quantitatif au qualitatif, le bien bien-être matériel au bien-vivre ».
Or, « bien que tout soit à réformer et à transformer, rien n’est apparemment commencé. Mais dans tous lieux, pays et continents, y compris en France, il y a multiplicité d’initiatives de tous ordres, économiques, écologiques, sociales, politiques, pédagogiques, urbaines, rurales, qui surmontent les obstacles, trouvent des solutions à des problèmes vitaux, sont porteuses d’avenir. Elles sont éparses, séparées, compartimentées, s’ignorant les unes les autres.. Elles sont ignorées des partis, des administrations, des médias. Elles méritent d’être connues, recensées, rassemblées de façon que leur conjonction permette d’entrevoir les grandes voies réformatrices dont a besoin l’humanité en crise ».
La démocratie parlementaire, « si nécessaire soit-elle, est insuffisante ». Il faut « concevoir et proposer les modes d’une démocratie participative notamment aux échelles locales », pour « favoriser le réveil citoyen », et une « régénération de la pensée politique ». Nous sommes « dans une phase régressive de notre histoire ». Le « collapse du communisme », qui fut « une religion de salut terrestre, a été suivi par le retour irruptif des religions de salut céleste ». E.Morin souligne plus généralement, en ces termes, « l’incapacité des partis censés représenter le monde populaire, d’élaborer une politique qui réponde à ces défis. Le parti communiste est devenu une étoile naine durcie, les mouvements trotskistes, en dépit d’une juste dénonciation du capitalisme, se sont enfermés dans l’incapacité de l’énonciation d’une alternative. L’un d’entre ces partis s’est dénommé anticapitaliste, par incapacité de formuler la moindre finalité positive. Le parti socialiste ne cesse d’osciller entre une rhétorique s’adressant aux masses populaires décomposées et une "modernisation" censée l’adapter au réel. Alors que la modernité est en crise ».
Mais, « plus grave encore que la disparition d’une pensée de gauche est la disparition du peuple de gauche ». Formé par la tradition issue de la Révolution française, réactualisé par la IIIe République, il a été « cultivé aux idées humanistes par les instituteurs et les enseignants du secondaire, par les écoles de formation du parti socialiste, puis celles du parti communiste, lequel enseignait non seulement le culte de Staline, mais aussi la fraternité internationaliste et l’aspiration à une monde meilleur ».
Aujourd’hui, « reste la gauche bobo et la gauche caviar », avec au pouvoir une France réactionnaire, héritière de Vichy, « racornie, chauvine, souverainiste ».
Devant cette grande régression en cours, « il est temps de sortir du somnambulisme. La situation exige une résistance qui préparerait une renaissance. Une régénération de la pensée, et singulièrement de la pensée politique, pourrait préparer le futur », Non pas par un programme-catalogue, ni par la conception d’une "modèle de société", voire "par la recherche d’une bouffée d’oxygène dans l’idée d’utopie ».
Les textes de ce livre « proposent des éléments pour la repensée ainsi que pour montrer la nécessité et la possibilité de changer de voie ».
Avec cette invitation : « Ressourçons-nous en reliant de façon complémentaire les trois sources : la source centrée sur l’individu (anarchisme), la source centrée sur la communauté (communisme), la source centrée sur la société (socialisme), et ajoutons-y la source écologique en une tétralogie (…) Retournons aux sources de la gauche, qui sont à la fois révolte et aspiration. Révolte contre tout ce qui dégrade l’homme par l’homme, contre les asservissements, les mépris, les humiliations. Aspiration, non pas au meilleur des mondes, mais à un monde meilleur ».
Il faut donc lire l’ensemble de ces textes dont on mesure tout l’intérêt. On pourra certes, en discuter, ici et là, telle formulation ou tel jugement. Toujours est-il qu’il s’y trouve beaucoup de "grain à moudre" pour tous ceux qui veulent réellement contribuer à reconstruire et à rassembler la gauche.
Edgar Morin, « Ma gauche », Ed. Francois Bourin, 2010, 278 p., 22 €
L’avant-propos - « Ressourçons-nous » - en synthétise le projet général. Pour E.Morin la gauche est une notion trop complexe pour en parler au singulier, « le terme comporte en lui unités, concurrences et antagonismes ». Ses sources, « activées par la pensée humaniste, par les idées de la Révolution française et par la tradition républicaine, ont irrigué au XIXe siècle la pensée socialiste, la pensée communiste, la pensée libertaire ». Mais, chacun de ces courants de pensée « n’a appréhendé qu’une portion, qu’un fragment de la réalité humaine » .
Aujourd’hui, la tâche indispensable est énorme : « tout est à repenser, à refonder, à réformer ». A l’ère planétaire de la globalisation, « le vaisseau spatial Terre est propulsé à une vitesse vertigineuse par les quatre moteurs incontrôlés science-technique-économie-profit". Une polycrise planétaire, « crise de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à l’humanité ». Comme toute crise, « elle est porteuse de régressions destructrices, comme de possibilités d’inventions salvatrices ». Mais la composante invisible de cette polycrise est celle de la pensée. « On croit bénéficier des vertus de la "société de la connaissance", alors que c’est en fait une société des connaissances dispersées et cloisonnées. La pensée dominante dans sa logique binaire, est incapable de considérer l’ambivalence des antagonismes de notre temps ».
Ainsi, la mondialisation est, par exemple, tout à la fois, la pire et la meilleure des choses. De cette ambivalence radicale il découle deux impératifs contradictoires et complémentaires : mondialiser et démondialiser. D’une part, « favoriser les coopérations économiques, sociales et culturelles qui vont dans le sens de l’unité solidaire de l’humanité ». D’autre part, « favoriser les vitalités locales, régionales, nationales, entre autres : alimentation, commerce et artisanat, moyennes et petites exploitations fermières et bios, restauration des campagnes désertifiées, services médicaux et scolaires de proximité ».
Alors que « le capitalisme de l’ère de la globalisation est déchaîné », il faut certes lui imposer règles et contrôles, mais surtout « développer une économie plurielle, sociale et solidaire, qui réduira progressivement l’aire capitaliste ». Ce qu’il faut concevoir, ce n’est donc pas un programme-catalogue, mais une « Voie globale de la mondialisation/démondialisation », qui serait celle d’une « politique de l’humanité, subordonnant le quantitatif au qualitatif, le bien bien-être matériel au bien-vivre ».
Or, « bien que tout soit à réformer et à transformer, rien n’est apparemment commencé. Mais dans tous lieux, pays et continents, y compris en France, il y a multiplicité d’initiatives de tous ordres, économiques, écologiques, sociales, politiques, pédagogiques, urbaines, rurales, qui surmontent les obstacles, trouvent des solutions à des problèmes vitaux, sont porteuses d’avenir. Elles sont éparses, séparées, compartimentées, s’ignorant les unes les autres.. Elles sont ignorées des partis, des administrations, des médias. Elles méritent d’être connues, recensées, rassemblées de façon que leur conjonction permette d’entrevoir les grandes voies réformatrices dont a besoin l’humanité en crise ».
La démocratie parlementaire, « si nécessaire soit-elle, est insuffisante ». Il faut « concevoir et proposer les modes d’une démocratie participative notamment aux échelles locales », pour « favoriser le réveil citoyen », et une « régénération de la pensée politique ». Nous sommes « dans une phase régressive de notre histoire ». Le « collapse du communisme », qui fut « une religion de salut terrestre, a été suivi par le retour irruptif des religions de salut céleste ». E.Morin souligne plus généralement, en ces termes, « l’incapacité des partis censés représenter le monde populaire, d’élaborer une politique qui réponde à ces défis. Le parti communiste est devenu une étoile naine durcie, les mouvements trotskistes, en dépit d’une juste dénonciation du capitalisme, se sont enfermés dans l’incapacité de l’énonciation d’une alternative. L’un d’entre ces partis s’est dénommé anticapitaliste, par incapacité de formuler la moindre finalité positive. Le parti socialiste ne cesse d’osciller entre une rhétorique s’adressant aux masses populaires décomposées et une "modernisation" censée l’adapter au réel. Alors que la modernité est en crise ».
Mais, « plus grave encore que la disparition d’une pensée de gauche est la disparition du peuple de gauche ». Formé par la tradition issue de la Révolution française, réactualisé par la IIIe République, il a été « cultivé aux idées humanistes par les instituteurs et les enseignants du secondaire, par les écoles de formation du parti socialiste, puis celles du parti communiste, lequel enseignait non seulement le culte de Staline, mais aussi la fraternité internationaliste et l’aspiration à une monde meilleur ».
Aujourd’hui, « reste la gauche bobo et la gauche caviar », avec au pouvoir une France réactionnaire, héritière de Vichy, « racornie, chauvine, souverainiste ».
Devant cette grande régression en cours, « il est temps de sortir du somnambulisme. La situation exige une résistance qui préparerait une renaissance. Une régénération de la pensée, et singulièrement de la pensée politique, pourrait préparer le futur », Non pas par un programme-catalogue, ni par la conception d’une "modèle de société", voire "par la recherche d’une bouffée d’oxygène dans l’idée d’utopie ».
Les textes de ce livre « proposent des éléments pour la repensée ainsi que pour montrer la nécessité et la possibilité de changer de voie ».
Avec cette invitation : « Ressourçons-nous en reliant de façon complémentaire les trois sources : la source centrée sur l’individu (anarchisme), la source centrée sur la communauté (communisme), la source centrée sur la société (socialisme), et ajoutons-y la source écologique en une tétralogie (…) Retournons aux sources de la gauche, qui sont à la fois révolte et aspiration. Révolte contre tout ce qui dégrade l’homme par l’homme, contre les asservissements, les mépris, les humiliations. Aspiration, non pas au meilleur des mondes, mais à un monde meilleur ».
Il faut donc lire l’ensemble de ces textes dont on mesure tout l’intérêt. On pourra certes, en discuter, ici et là, telle formulation ou tel jugement. Toujours est-il qu’il s’y trouve beaucoup de "grain à moudre" pour tous ceux qui veulent réellement contribuer à reconstruire et à rassembler la gauche.
Edgar Morin, « Ma gauche », Ed. Francois Bourin, 2010, 278 p., 22 €
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