Dans cet essai philosophique, Badiou interroge l'idée de nature, souvent utilisée comme référence incontestable dans les débats écologiques. Il montre que la nature n’est jamais simplement donnée : elle est toujours médiatisée par l’histoire, la science et les rapports sociaux.
Selon Badiou, invoquer la nature comme norme morale ou comme limite absolue pour justifier l’action écologique relève d’une idéologie qui dépolitise la question. La crise écologique n’est pas un phénomène naturel autonome, mais le résultat de choix sociaux, économiques et politiques précis.
Ce livre invite à penser l’écologie de manière radicalement politique : pour agir sur l’environnement, il faut transformer les structures sociales et les rapports de production, plutôt que de s’en remettre à une idée abstraite de la nature ou à la culpabilisation individuelle.
Une lecture stimulante pour tous ceux qui veulent penser l’écologie au-delà du simple moralisme, en lien avec les enjeux politiques et sociaux de notre époque.
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| Incipit |
Extrait : la nature mise en réserve par l'écologie politique (p.198-199)
"Dans la politique, la nature sert de référent écologique : il existe une identification collective politique, sociale, de la nature, qui est dans la rétroaction de la technique. Est nature ce qui mérite d'être protégé de la technique. La nature est définie comme une réserve. On met la nature en réserve, dans des réserves. Dans les réserves naturelles ou dans les parcs, elle est artificielle, elle relève d'un décret de mise en réserve de ce qui est à protéger rétroactivement de l'excès technique. Nature devient un protocole de limitation de l'entreprise technicienne, industrielle, financière...
La conséquence en philosophie du fait que la nature est définie comme l'espace de la réserve – au sens de ce qui peut et qui doit être préservé de la rétroaction technicienne : il faut une clause de réserve dans le déchaînement des possibilités de la puissance technique. C'est un principe de limitation, ou de restriction de l'entreprise technicienne universelle.
Je conclurai en disant qu'il y a dans le monde contemporain une négation du concept de nature :
- absentement scientifique : c'est une des formes du déliement ininterrompu entre science et philosophie. Nature servait un peu de catégorie tampon entre science et philosophie, mais au fur et à mesure que le déliement s'accentue, la catégorie ne fait plus tampon. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de catégories tampons, mais en tout cas il n'y a plus de jonction avec la nature quand le déliement s'organise et se poursuit ;
- et mise en réserve par l'écologie politique."
D'après Alain Badiou, la « mise en réserve » de la nature par l'écologie politique peut donc se résumer ainsi :
- Une définition par la négative : La nature n'est plus définie par ce qu'elle est (une puissance propre ou une exaltation), mais par ce qu'elle subit. Elle devient ce qui doit être protégé des excès de la technique, de l'industrie et de la finance.
- Un rôle de limite : Le concept de nature sert désormais de « protocole de limitation ». C'est une clause de réserve que l'on oppose au déchaînement technique pour tenter de restreindre son emprise universelle.
- Le paradoxe de l'artifice : En étant placée dans des « réserves » ou des parcs, la nature devient paradoxalement artificielle. Elle ne subsiste que par un « décret » politique et social, faisant d'elle un espace délimité et protégé rétroactivement.
- Une injonction éthique : Cette mise en réserve mobilise une « horreur éthique » (comme dans le cas de la reproduction humaine ou du clonage), où la nature est utilisée comme un rempart moral pour désigner ce qu'il ne faut pas toucher.
Selon le philosophe, l'écologie transforme par conséquent la nature en une entité passive et protégée, marquant ainsi l'une des formes de sa disparition (ou « négation ») en tant que concept philosophique autonome.
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| Quatrième de couverture |
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