Recension de l’ouvrage : Haro sur les Jacobins (PUF, 2024)

 

Les auteurs, Guillaume Roubaud-Quashie et Côme Simien, marchent dans les pas de Claude Mazauric (Jacobinisme et Révolution, 1984) et de Michel Vovelle (Les Jacobins, de Robespierre à Chevènement, 1997). Deux jalons majeurs qui ont marqué les grandes étapes du renouvellement de l’historiographie révolutionnaire. Leur livre pourrait bien, à son tour, constituer un nouveau moment-clé dans cette histoire intellectuelle.*

Ils nous offrent en réalité trois livres en un :

  • D’abord, un récit détaillé de l’histoire du Club des Jacobins, de sa fondation à sa dissolution (chapitres 1 à 4) ;
  • Ensuite, une déconstruction méthodique des mythes qui se sont progressivement tissés autour du jacobinisme (chapitres 5 à 7) ;
  • Enfin, une ample traversée de plus de deux siècles de mémoire et d’historiographie jacobine, jusqu’à nos jours (chapitres 8 à 10).

Disons-le sans détour : il y avait longtemps que je n’avais pas lu un livre aussi riche, stimulant et savant. Une lecture passionnante, certes exigeante — il faut connaître les grandes dates et les principaux acteurs de la Révolution pour en suivre pleinement la trame —, mais rendue agréable par un style clair et alerte. L’érudition, toujours présente, reste discrète : elle s’exprime surtout dans les notes, ou dans la brève bibliographie indicative (p. 341-344), qui témoigne de la solidité du travail sans jamais alourdir la lecture.

Le Club des Jacobins

Quelques résonances personnelles

À la lecture de ce livre, me reviennent immanquablement plusieurs souvenirs.

  • Sorbonne, 1967-1968 : le dernier cours du professeur Marcel Reinhard, avant sa retraite, intitulé La vie quotidienne à Paris sous la Révolution. Ce cours avait lieu dans le grand amphithéâtre Richelieu, seul à pouvoir accueillir la foule de jeunes étudiants de première année d’histoire et de géographie (on disait alors « propédeutique »).

Jeune provincial fraîchement arrivé du cœur des Mauges — à Cholet, en pays chouan —, j’entendais un tout autre son de cloche. Ma lecture assidue était celle d’Albert Soboul : Les Sans-Culottes de l’An II et son Histoire de la Révolution française (coll. « Idées » Gallimard, 2 tomes, 1962).

Albert Soboul, 1962

  • 1969, mes premières armes d’enseignant, comme maître auxiliaire en banlieue sud, au lycée G. Budé. Un jour, la directrice me convoque :

— « Monsieur Martin, savez-vous que des parents vous reprochent votre cours sur la Révolution, jugé trop marxiste ? »

Ce souvenir m'amuse encore.

Les auteurs notent d’ailleurs avec justesse qu’aujourd’hui, l’histoire de la Révolution française n’est plus du tout enseignée dans les collèges et les lycées — un constat aussi désolant qu’inquiétant.

  • 1988, veille du Bicentenaire. L’AREMORS, association d’histoire sociale de Saint-Nazaire, dont les publications en étaient alors à leur troisième tome, décide de déroger à son sujet habituel pour publier un hors-série : La Révolution à Saint-Nazaire et dans sa région, 1789-1794. Après des recherches collectives aux archives départementales, Jean Aubin, professeur au lycée Aristide Briand, y signe un remarquable chapitre sur les sociétés populaires et les comités de surveillance dans ce territoire (p. 175-194).

Le hors-Série de l'AREMORS, 1988

L’ouvrage de Roubaud-Quashie et Simien revient précisément sur ces grandes inflexions historiographiques, notamment sur l’impact des thèses de François Furet (Penser la Révolution française, 1978), qui ont durablement déplacé le regard porté sur l’événement. C’est d’ailleurs dans ce sillage, et non loin d’ici, qu’un auteur originaire de Campbon introduisit la notion controversée de « génocide franco-français » (1986).

À la lecture de ce nouveau livre, on mesure à quel point, depuis le tournant du XXIᵉ siècle, une mémoire biaisée a souvent enseveli l’histoire sous des monceaux de mythes. Mais ce qui rend l’ouvrage profondément revigorant, c’est qu’il témoigne d’une recherche académique en plein renouveau, ouverte, exigeante, débarrassée des dogmes comme des caricatures.

Une historiographie nouvelle, en somme, qui redonne à la Révolution française toute son actualité, non plus comme mythe fondateur figé, mais comme champ vivant de débats, d’interprétations et d’expériences humaines.

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* Guillaume Roubaud-Quashie et Côme Simien, Haro sur les Jacobins, essai sur un mythe politique français, XVIIe-XXIe siècle, PUF, Coll. Questions Républicaines, 350 p., 19 €

Claude Mazauric, 1984. 



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