Les enjeux intercommunaux au cœur d'une succession

 

L'annonce faite en Mairie

A l’usage de celui
qui aspire à devenir calife
à la place du calife 

L'annonce par Ouest-France, le 13 juin 2025, Edition Nantes-Nord, du non-renouvellement de la candidature de Rémy Nicoleau aux élections municipales de mars 2026 à Saint-Étienne-de-Montluc est un événement majeur dont les répercussions s'étendent bien au-delà des frontières communales, impactant directement la Communauté de Communes Estuaire et Sillon (CCES). En tant que Maire de Saint-Étienne-de-Montluc et Président de la CCES depuis le 7 juillet 2020 1, R. Nicoleau a incarné un double leadership qui, par son retrait, met en lumière les défis structurels et politiques toujours actuels de cette intercommunalité. Au-delà d’un bilan personnel autosatisfait (“le job a été fait”, estime-t-il !), ce qui compte c’est l’état des lieux des enjeux à l’heure d’un changement de leader pour l'intercommunalité..
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I. Un leadership intercommunal à redéfinir : l’'héritage d'une fusion inaboutie

La décision de R. Nicoleau intervient dans un contexte où les conseils communautaires, peinant à réunir le quorum pour délibérer, comme le 5 juin dernier à Lavau-sur-Loire, fleuraient la fin d'un règne, manifestant une lassitude, le signe aussi d'un défaut de dynamisme au sein de la CCES. Son départ précipité peut aussi être interprété comme une manière de se soustraire au "droit d'inventaire" citoyen du bilan de l'exécutif communautaire depuis 2017. Année de la fusion contrainte de deux intercommunalités distinctes, "Cœur d’Estuaire" et "Loire et Sillon", imposée par la loi NOTRe5, cette fusion, qualifiée d'"inachevée" par la Chambre Régionale des Comptes (CRC) dans son rapport d'octobre 2022 6, a engendré des défis persistants en matière de d'intégration et de gouvernance.

Le rapport de la CRC a souligné la lenteur de la CCES à finaliser des outils stratégiques cruciaux tels que le projet de territoire, le pacte fiscal et financier, et le projet de services.5 Ces retards révèlent un manque de consensus ou une réticence des communes membres à s'aligner pleinement sur une vision intercommunale unifiée, préférant souvent la priorisation des intérêts locaux. Une critique implicite que R. Nicoleau lui-même exprime un peu tard au moment de son retrait. La dispersion des services de la CCES sur six sites différents dans deux communes (Savenay et Saint-Étienne-de-Montluc) symbolise, selon la CRC, cette intégration physique et opérationnelle inaboutie, servant aujourd’hui de justification pour la construction d'un siège intercommunal unique à 10 M. d'€, au bas mot, dite Maison de l’intercommunalité,  dont les travaux ont commencé à Savenay.5

Le départ de R. Nicoleau accentue l'urgence de trouver un leadership fédérateur capable de surmonter ces fragmentations. Le prochain président de la CCES, élu parmi les 36 futurs conseillers communautaires 4, devra être une figure unificatrice, capable de dépasser les clivages communaux et de promouvoir une vision intercommunale forte. Le Bureau Communautaire actuel, composé de 11 Vice-Présidents, tous maires de communes membres et en charge de commissions thématiques clés 4, constituerait, en principe, un vivier potentiel pour cette succession, même si d’autres ont déjà annoncé leur retrait comme Claire Tramier. Des figures comme Michel Mézard (1er VP, Maire de Savenay, en charge du Développement Économique) ou Jean-Louis Thauvin (2ème VP, Maire de Campbon, en charge des Finances) apparaissent des acteurs clés dans cette perspective, sous réserve évidemment de leur candidature et de leur réélection.4

II. Les enjeux intercommunaux au cœur de la campagne de 2026

La campagne électorale de 2026 sera inévitablement structurée par la tension entre l'héritage communal et la projection intercommunale. Ces débats, qui ont assez peu eu lieu jusqu'à présent, devront désormais aborder de front les enjeux de gouvernance intercommunale, notamment la mobilité, les déchets, l'urbanisme et le développement économique.

A. Vulnérabilités financières et enjeux économiques

La situation financière de la CCES, bien que comptablement saine, est menacée à court et moyen terme par des pertes fiscales majeures. La fermeture de la centrale thermique EDF de Cordemais et celle de l'usine CANDIA (troisième plus grand contributeur à la CFE) entraîneront rapidement des baisses significatives de recettes fiscales et impactent déjà l'emploi local.5


Extrait du rapport de la Chambre des Comptes de Nantes (octobre 2022)


Malgré les compensations étatiques, leur nature non dynamique signifie une régression des recettes à moyen terme, limitant la capacité d'investissement future de la CCES.5 Le développement économique, actuellement sous la responsabilité de Michel Mézard 4, devient une compétence primordiale pour diversifier les sources de revenus et créer de nouveaux emplois, avec des projets comme l'installation de BTLec à Malville.7 La capacité du futur exécutif à articuler une stratégie économique résiliente post- centrale EDF de Cordemais  sera un facteur majeur d’évolution pour la suite.


B. La gestion des déchets : un point de friction en commun

La gestion des déchets est un dossier particulièrement sensible et visible pour les habitants, cristallisant les tensions autour de la fiscalité ou de la redevance incitative.

La politique de collecte des ordures ménagères tous les 15 jours est au cœur des préoccupations. Une étrange "consultation des usagers", lancée par la CCES courant juin 2025, vise à évaluer la validité de ce dispositif.14 Elle répond à une exigence du préfet consécutive à sa dérogation temporaire du 24 décembre 2020. Le report de la publication de ses résultats après mars, à l'été 2026 - annoncé ainsi en séance par le président sortant - est une pirouette politique grossière pour éviter que le mécontentement diffus à ce sujet  n'influence les prochaines élections. Le nouvel exécutif héritera de cette question délicate, qui impacte directement le quotidien des ménages en termes de commodité et d'efficience perçue du service.16

La redevance incitative (RI), qui a remplacé depuis 2014 la Taxe d'Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM) 8, est une autre source de tensions. Bien qu'elle vise à encourager la réduction des déchets en liant les coûts à l'utilisation du service 8, les dépenses du budget des déchets augmentent plus rapidement que les recettes en raison, selon la collectivité, de facteurs strictement externes comme la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) et l'inflation.17 Elle fait silence sur la responsabilité de ses propres errements et gabegies dans les conséquences subies par les usagers. Cela crée une dissonance pour les citoyens qui perçoivent largement une augmentation des coûts pour un service potentiellement réduit (collecte bi-hebdomadaire), même s'ils réduisent d’eux-mêmes de longue date, avant même l'instauration de la RI, leur “production” individuelle de déchets.17

Ces tensions sont documentées à travers l'action de l'association Libérez nos poubelles en Estuaire et Sillon (LNP), qui exerce une veille citoyenne sur la gouvernance intercommunale des déchets (collecte, facturation, traitement) . LNP a notamment déposé un Télérecours citoyen auprès du Conseil d'État, transmis au Tribunal administratif de Nantes, soulignant l'importance de cette contestation juridique et citoyenne dans le débat public local. La nouvelle direction de la CCES devra faire preuve de transparence et de pédagogie pour relancer la “redevance incitative” - désormais appelée, plus prosaïquement, redevance déchets - et potentiellement réviser sa structure, sa transparence et sa communication pour apaiser ces tensions. Pour l’instant, là encore, un statu quo est adopté jusqu’après mars 2026. Il reviendra aux nouveaux (ré)élus de clarifier le dossier. Nouvel exemple que le mot d'ordre n'est pas "nous faisons place nette pour nos successeurs" (J-L Thauvin), mais plutôt : après nous le déluge.

C. Urbanisme, mobilité et cohésion territoriale

Au-delà des déchets, les compétences intercommunales en matière d'urbanisme, de mobilité et de développement économique sont surtout essentielles pour la cohésion du territoire.4 L'adoption du Plan Locaux d'Urbanisme intercommunal (PLUi) se heurte à des oppoisitions, comme à Campbon. Le pilotage des aménagement autour des gares de Savenay et Saint-Étienne-de-Montluc restent des conditions majeures pour un développement maîtrisé.10 La mobilité, avec la gestion des transports scolaires et à la demande, est cruciale compte tenu de la forte proportion d'actifs de la CCES travaillant dans les agglomérations de Nantes et Saint-Nazaire.11 Le départ de R. Nicoleau, qui était également 3ème Vice-Président du Pôle Métropolitain Nantes-Saint-Nazaire 3, soulève la question du maintien d'une connexion forte et d'une coopération stratégique avec cette entité régionale, essentielle pour le développement du territoire12, dans le respect des complémentarités territoriales, et sans domination métropolitaine.

III. Perspectives pour un territoire en quête d’identité

Le renoncement de Rémy Nicoleau ouvre sans conteste une période de transition où la CCES devra impérativement achever sa fusion et affirmer son rôle central. Les élections de 2026 ne seront donc pas seulement un choix de personnes, mais un test électoral sur la capacité du territoire à transcender les rivalités de clocher qui persistent au profit de l'intérêt collectif. Pour assurer la stabilité et l'efficacité de la gouvernance intercommunale, le prochain exécutif devrait ainsi :

  • Finaliser les outils stratégiques (le Pacte de gouvernance , un Projet de territoire qui sonne creux, le pacte fiscal et financier inabouti) pour doter la CCES d'une feuille de route claire et partagée.5

  • Gérer avec transparence et dans la démocratie les dossiers sensibles, notamment la redevance incitative et la collecte des déchets, en écoutant et intégrant les préoccupations citoyennes exprimées par l’association LNP.14

  • Développer une stratégie économique proactive pour compenser les pertes fiscales et d'emplois liées aux fermetures industrielles.5

  • Renforcer la cohésion interne en achevant l'intégration des services et en promouvant une véritable culture intercommunale qui aille au-delà d’un marketing territorial fourre-tout.

  • Maintenir et consolider les partenariats régionaux avec Nantes Métropole pour assurer le positionnement stratégique d'Estuaire et Sillon qui reste à affirmer..12

La période à venir sera décisive pour la Communauté de Communes Estuaire et Sillon, qui devra démontrer sa capacité à se réinventer et à construire un avenir commun solide, partagé et cohérent.



Sources : 

  1. www.estuaire-sillon.fr, consulté le 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/la-communaute-de-communes/conseil-communautaire-513.html#:~:text=Le%20Pr%C3%A9sident,de%20la%20Communaut%C3%A9%20de%20Communes.

  2. Communauté de communes Estuaire et Sillon - Wikipédia, consulté le juin 13 juin 2025, https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_de_communes_Estuaire_et_Sillon

  3. Saint-Étienne-de-Montluc - Wikipédia, consulté le 13 juin 2025, https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-%C3%89tienne-de-Montluc

  4. Conseil Communautaire - Communauté de Communes Estuaire et Sillon, consulté le 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/la-communaute-de-communes/conseil-communautaire-513.html

  5. communauté de communes estuaire et sillon - Cour des comptes, consulté le 13 juin 2025, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/ROD-2022-238-CC-Estuaire-Sillon.pdf

  6. Communauté de communes Estuaire et Sillon (Loire-Atlantique ..., consulté le 13 juin 2025, https://www.ccomptes.fr/fr/publications/communaute-de-communes-estuaire-et-sillon-loire-atlantique

  7. Les compétences - Grand Dax, consulté le 13 juin 2025, https://www.grand-dax.fr/connaitre-lagglo/linstitution/les-competences/

  8. Régler votre Redevance Déchets - Ecocito - Communauté de Communes Estuaire et Sillon, consulté le juin 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/gestion-des-dechets/mes-demarches-en-ligne/regler-votre-redevance-dechets-ecocito-419.html

  9. Régler votre Redevance Déchets - Communauté de Communes Estuaire et Sillon, consulté le 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/gestion-des-dechets/les-professionnels/regler-votre-redevance-dechets-403.html

  10. Communauté de Communes Estuaire et Sillon - Mairie CORDEMAIS, consulté le juin 13 juin 2025, https://www.cordemais.fr/contacts/communaute-de-communes-estuaire-et-sillon/

  11. Estuaire & Sillon l'identité rurale du territoire - Coordination nationale des Conseils de développement, consulté le 13 juin 2025, https://conseils-de-developpement.fr/wp-content/uploads/2021/02/avis-identite-rurale-du-territoire-cd-estuaire.pdf

  12. Pôle Métropolitain Nantes Saint-Nazaire - Communauté de Communes Estuaire et Sillon, consulté le 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/actions-et-projets/un-territoire-de-cohesion-et-de-cooperation/pole-metropolitain-nantes-saint-nazaire-535.html

  13. Nantes Métropole, un territoire de coopération, consulté le 13 juin 2025, https://metropole.nantes.fr/ma-ville-ma-metropole/ma-metropole-et-ses-24-communes/fonctionnement/nantes-metropole-un-territoire-de-cooperation

  14. Collectes des ordures ménagères tous les 15 jours: êtes-vous satisfaits?, consulté le 13 juin 2025, https://www.estuaire-sillon.fr/actualites-109/collectes-des-ordures-menageres-tous-les-15-jours-etes-vous-satisfaits-13328.html?cHash=51a235623cffcd65205aeaf6f967d76d

  15. Libérez nos poubelles en Estuaire et Sillon | HelloAsso, consulté le 13 juin 2025, https://www.helloasso.com/associations/liberez-nos-poubelles-en-estuaire-et-sillon

  16. Moins 30% d'ordures ménagères avec la mise en place d'une tarification incitative, consulté le 13 juin 2025, 2025, https://www.zerowastefrance.org/reduction-ordures-menageres-tarification-incitative/

  17. La redevance incitative - Communauté de communes Sèvre & Loire, consulté le 13 juin 2025, https://www.cc-sevreloire.fr/la-redevance-incitative/

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