"Philosophie du déchet" par Claire Larroque


"Philosophie du déchet" pose les bases d'une réflexion approfondie sur notre rapport aux déchets. Claire Larroque, docteure en philosophie, nous invite dans son ouvrage paru récemment dans des éditions prestigieuses, à une réflexion profonde et inédite sur ce que nous considérons comme des rebuts. Publié en novembre dernier aux PUF, ce livre est appelé à devenir une véritable référence dans le domaine, offrant une analyse à la fois philosophique, sociologique et environnementale de la question. 

Hors et loin des radars de la presse et des médias, à bas-bruit, elle considère que "la question des déchets et de leur gestion s'est progressivement constituée comme un champ d'étude académique à part entière. La thématique a connu ces dernières années un certain engouement dans les sciences humaines et les perspectives de recherche se sont multipliées. Anthropologues, géographes, sociologues et historiens abordent cette question en adoptant différentes approches selon qu'ils s'attachent à analyser les représentations, la matérialité, l'espace ou les pratiques."(p.13).

Un paradoxe à résoudre philosophiquement 

Claire Larroque commence par souligner le caractère paradoxal de notre attitude envers les déchets : d'un côté, nous les rejetons comme des éléments indésirables, et de l'autre, ils révèlent beaucoup de nos modes de vie, de nos valeurs et de nos préoccupations. Alors que "le déchet est un produit inutile et donc dégradé, sa proximité tend à devenir dévalorisante", de sorte que "quiconque étudie de telles choses se voit considéré comme à peine moins inconvenant que celui qui fait réellement des choses inconvenantes."

Dès lors, "n'est-ce pas à la philosophie, irrévérencieuse et intempestive, qu'il incombe de penser ces objets inconvenants et de lever le voile sur ce qu'il paraît peu honorable d'étudier ?" (p.16)

Analyser conceptuellement les immondices, étudier notre rapport aux ordures et les réactions qu'ils suscitent - dégout, répulsion, dénigrement, évitement - nous apprend alors beaucoup sur nous-mêmes et sur le fonctionnement de nos sociétés, en mettant en évidence que les déchets ont une forte charge symbolique et sont intéressants, philosophiquement, pour ce qu'ils évoquent et représentent. (P.18)

Une approche philosophique pluridisciplinaire

L'auteure ne se contente pas d'une simple description des problèmes liés aux déchets. Elle nous propose une véritable exploration des enjeux sous-jacents, en s'appuyant sur une vaste documentation (bibliographie, p.431-436) et une réflexion philosophique rigoureuse. Dans un format éditorial grand public plus accessibles que les publications universitaires habituelles, articles et thèses, plutôt confidentielles, il donne un bon aperçu des recherches académiques en ce domaine. En philosophe, C. Larroque, dans les perspectives qui sont les siennes, entrecroise les approches de l'archéologie et de la géographie*, de la sociologie, de l'histoire et de l'anthropologie, pour offrir une vision globale et cohérente de la question.

Elle critique ensuite l'approche traditionnelle de la philosophie qui, selon elle, s'est trop souvent limitée à une analyse symbolique des déchets, en les considérant comme de simples reflets de notre société. Elle plaide pour une approche plus globale qui tienne compte à la fois des aspects philosophiques, techniques, sociaux, politiques de la question.

Un enjeu non seulement techno-économique, mais aussi social et citoyen

L'auteure met enfin en évidence le besoin d'une nouvelle approche qui ne sépare pas la réflexion sur les déchets de celle sur la production, la consommation et les modes de vie. Elle souligne que la gestion des déchets n'est pas qu'une question technique, confiées aux seuls experts éco-technocratiques - de l'ADEME et des collectivités en charge de cette "compétence" -, mais qu'elle est intimement liée à des enjeux éthiques, sociaux et territoriaux, qui devraient interpeller davantage les citoyens eux-mêmes.

Or, écrit-elle, "si les citoyens et les consommateurs participent à la gestion des déchets, ils se plient néanmoins aux normes imposées par l'industrie qui définit, du fait des techniques de traitement existantes, ce qui est déchet et ce qui ne l'est pas. On peut alors se demander si cette définition n'est pas largement confisquée par la dimension technico-économique empêchant toute réappropriation citoyenne." (p.26)

Non seulement, souligne-t-elle, les solutions techniques mises en place pour gérer les déchets issus des sociétés industrielles ne semblent pas en mesure de faire face à l'afflux de la masse détritique, mais la gestion des déchets soulève des interrogations sociales et politiques parce qu'elle transforme le monde social. Le partage entre, d'un côté, le traitement physique des ordures par les techniciens et, de l'autre, une approche des déchets centrée sur les rapports sociaux et les aspects symboliques ne tient donc plus. Réduire la gestion des déchets à une question technique, c'est occulter les problèmes sociaux environnementaux, éthiques et politiques liés à la gestion des déchets. 

"Philosophie du déchet" nous invite ainsi à repenser notre rapport aux déchets en les considérant non pas uniquement comme des problèmes techniques à résoudre, bien au-delà des poubelles, mais comme des objets de réflexion qui nous permettent de mieux comprendre notre société, jusqu'à rien moins que notre place dans ce monde !

*La géographie, pionnière en la matière, avec Jean Gouhier, inventeur de la "rudologie", Augustin Berque, David Harvey, etc.

Quatrième de couverture

Défraîchis, moisis, usés, cassés, abîmés, ébréchés, les déchets sont la face cachée de nos sociétés de (sur)consommation qui privilégient le neuf et le clinquant. Pourtant, étudier nos représentations des immondices et analyser les réactions qu'elles suscitent nous apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur le fonctionnement de nos sociétés. Dans un contexte de crise écologique, l'analyse philosophique des déchets dépasse l'approche symbolique pour mettre en lumière les aspects normatifs de la question du traitement physique des rebuts, habituellement circonscrite au seul domaine technique. En s'appuyant sur une documentation pluridisciplinaire, l'auteure soumet notre gestion des déchets à un examen approfondi portant sur ses enjeux éthiques, sociaux et politiques afin d'envisager des pratiques détritiques plus justes socialement et écologiquement, soucieuses de tisser de nouvelles alliances avec la nature.





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