Hors des villes regagner les campagnes perdues


Un livre intéressant et facile à lire, mais dont titre et sous-titre annoncent déjà pas mal de ses ambiguïtés : "Loin des villes, loin du cœur. La gauche veut-elle regagner les campagnes ?" Jeu de mot obscur entre campagnes électorales, et ordre (non éternel) des champs.

Certes le bilan de cet élu provincial de terrain est-il  lucide (Voir la quatrième de couverture et l'extrait cité de l'introduction). Force est de constater, selon l'auteur, que la gauche est devenue le "camp du bazar" (p.17), "des bobos des métropoles" (p.19), "des donneurs de leçons et d'interdits" (p.22), et celui "de la paresse" face à la valeur travail (p.26). Résultat, selon lui : "Si nous collons à la plupart des aspirations des habitants du coeur des métropoles et des quartiers populaires, on est complètement à côté de la plaque du côté de la ruralité et de la France dite "Périphérique"" (p.76).

Extrait :
"Je ne dis évidemment pas que le vote de gauche a disparu dans les territoires ruraux, mais j'observe que lors des scrutins nationaux, il ne séduit qu'une frange de plus en plus réduite souvent jeune, très politisée de son électorat. Pour le reste, la gauche suscite spontanément une hostilité de plus en plus vive, y compris chez les habitants relativement éloignés des débats politiques. Autrefois protectrice, la gauche est devenue à leurs yeux au mieux indifférente, au pire agressive, jusqu'à représenter une menace pour leur mode de vie si elle arrivait au pouvoir ; des donneurs de leçons qui depuis les métropoles sont en train de leur expliquer comment il faut manger, s'habiller, se loger ou se déplacer. Une élite qui saurait tout mieux que les autres, qui se considère d'autorité comme un modèle de vie à suivre. Nous défendons - et  heureusement ! la planète - les peuples opprimés et les minorités victimes de discrimination. Mais nous sommes devenus comme étrangers, insensibles au quotidien de toute une partie de notre propre pays, y compris nos électeurs, ou disons-le honnêtement, nos anciens électeurs." (p.11) 

Pour autant, les pistes de reconquète des campagnes par "la gauche" sont moins convaincantes : une "utopie nouvelle" de "repeuplement des campagnes" (p.79) avec un "exode urbain souhaité",  à "rendre possible" (p.95). Sur la base d'un pari d'une "renaissance rurale" (p.75) plutôt passée de mode depuis qu'elle était déjà obervée par Bernard Kayser à la fin des années 80, quand bien même relookée récemment en "revanche des villages" par certains.

Seconde faiblesse : l'assimilation récurrente entre gauche et PS. Sous l'égide de la fondation Jean Jaurès et édité par les éditions de L'aube, "éditeur engagé", on voit d'emblée de quelle gauche il peut s'agir : celle du seul PS. Chassez le naturel, il revient au galop  Assurément le temps de la "gauche plurielle" est-il passé, et  sans doute aussi celui de la NUPES. Mais de là à fantasmer sur celui d'un retour à l'hégémonie PS sur la gauche, comme une réincarnation de toute la gauche, n'a rien d'évident ni de très crédible.

Troisième faiblesse : la confusion permanente entre rural ou campagne(s), comme antithèse de la ville, souvent ciblée comme l'urbain métropolitain. Mode actuelle de la "ruralité" censée contrebalancer les villes métropolitaines. Dans l'ignorance presque totale des réalités périurbaines, comme extension du domaine de la ville dans les campagnes.

Enfin, quatrième manque, celui de la prise en compte des effets délétères de l'intercommunalisation (communes, agglos, métropoles) sur la démocratie depuis les années 2000, tout spécialement dans la France périphérique. Plus périurbaine que campagnarde, sauf dans le rural profond de la "diagonale du vide" d'où parle l'auteur. Pourtant les symptômes sont-ils évoqués au cas par cas, mais sans en déceler l'origine commune : dépolitisation (p.45 et 49), abstention, déconnexion des problèmes du quotidien (p.47-49), complexification du mille-feuilles des collectivités territoriales (p.58). Etc.


Bref un livre qui passionne sur ses constats, mais pèche et déçoit en revanche sur les pistes de rebond qu'il suggère pour la gauche, dans toutes ses composantes.


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