Ce livre se présente sous la forme d’une enquête journalistique « dans une France qui se réinvente » en ses campagnes. Il se nourrit d’un ensemble de reportages, dans la Drôme, le Cantal, le massif vosgien, la Vendée et le Tarn (voir carte). Selon son auteur Vincent Grimault, journaliste à Alternatives économiques - où il "suit les dynamiques territoriales" - « ces expériences de terrain permettent d’illustrer la documentation universitaire, les données chiffrées et des rencontres directes avec une quinzaine de chercheurs. Il s’agit de prendre le meilleur de ces mondes : le reportage et les rencontres pour entrer dans le sujet, les données économiques et géographiques pour le cadrer, la recherche universitaire pour le comprendre, l’analyser et l’expliquer » (p.93). Il s’agirait donc là d’une sorte de "voyage en terre inconnue", abandonnant le surplomb du regard médiatique, de la recherche académique et des données statistiques, mais avec un "cherry picking" (sélection des données) assumé qui n’en retient donc - c’est dit - que "le meilleur". A quel titre, et au nom de quoi ?
Première surprise, le titre : 30 ans plus tard, il reprend celui du sociologue Bernard Kayser en 1990 sur "La Renaissance rurale" (A.Colin, 1990). Comme si, depuis trois décennies, le destin des campagnes était resté en suspens et la marée périurbaine n’avait pas eu lieu entre-temps. Esquivant, à cause d’une cacophonie statistique extrême dans le chiffrage même du périurbain, l’auteur l’écarte presque totalement une bonne fois pour toute (p.22).
Avec, au passage, le coup de griffe médiatico-académique attendu contre C.Guilluy ("La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires ?", 2014), selon une argumentation devenue un réflexe pavlovien, mais réfutable cependant point par point. Et pourtant, force est de l’admettre par l’auteur, un réel malaise persiste. Citant la géographe Lucile Mettetal : « ni rural, ni urbain, le périurbain est traditionnellement en creux comme un débordement incontrôlé de la ville – le fameux "étalement urbain" qu’on veut, en vain, contenir - davantage que par ses caractéristiques propres ». De plus, Éric Charmes le rappelle dans "La revanche des villages" : « près des deux tiers des exploitations agricoles françaises se trouvent dans le périurbain ». Mais, s’il n’est qu’à moité rural, le périurbain ne mériterait-il cependant pas de figurer dans les campagnes, alors même qu’un certain nombre des lieux enquêtés dans le livre sont clairement périurbains.
Partant donc aujourd’hui « à la recherche de la France rurale », au-delà d’ "un impensé négatif" l’auteur en souligne l’irréductible "grande variété". Car, en dépit de « frontières de moins en moins nettes » avec l’urbain, « le rural existe quand même » (chapitre 1). Mais pas de là à minorer le périurbain lui-même.
Cela étant dit la suite montre éloquemment certaines fragilités peu contestables de l'ensemble des campagnes, périurbain compris : les difficultés du recrutement, du fait du départ des jeunes ; des services publics en recul (desserte ferroviaire, offre de santé et d’éducation), une couverture numérique à la traîne avec, finalement, l’ "isolement" à la clé.
Dans ce contexte, l’auteur s’interroge, au passage, sur les gilets jaunes en tant que "mouvement rural" ? Pointant leur « dépendance au pétrole », et la « bataille des 80 km/h », il suggère lui-même plutôt, mais sans le dire, l’hypothèse d’un soulèvement périurbain. Pourtant, « face au spectre des métropoles », l’espoir doit-il renaître avant tout d’une « agriculture relancée » et d’une « écologie en pointe ». Cela suffit-il, pour autant, à sonner le glas des villes et annoncer la grande revanche des campagnes ? « Dans cet ouvrage, nous avons découvert des campagnes en crise, des campagnes heureuses, des campagnes à la fois en difficulté et en renaissance, des campagnes en même temps rurales et urbaines ». Amalgame problématique tout de même, surtout si c’est pour affirmer, tout de go, qu’en général, « les campagnes ont le vent en poupe » ! (Cf. l’entretien dans Capital.fr) Les habitants du "rural profond" des départements et des régions, comme ceux de la "diagonale du vide" nationale apprécieront.
Ce pari rural illustre une posture militante résumée par la quatrième de couverture (ci-contre) : écolo, bobo et décroissante. Elle se déploie page après page . Mais il y a cependant trop de trous dans la raquette pour ce voyage en campagne(s).
La liste des personnes ressources « interrogées dans le cadre de cet ouvrage » (p.307-310) en témoigne également à sa façon. Le gratin des chercheurs académiques sur le thème - une quinzaine de géographes et d’économistes (nettement moins de sociologues ou de politistes) - est surtout conviée par des citations issues d’entretiens, plus que par le recours à leurs ouvrages et articles dûment référencés. Quant aux personnalités locales interrogées, on rencontre des agriculteurs, éleveurs, boulangers et coopérateurs bio, des entrepreneurs dans l’énergie et l’isolation thermique ; et des élus, avant tout des présidents d’intercommunalités (Saint-Flour, Val-de-Drôme, Pays des Herbiers, Albigeois). Au total, un panel consensuel d’où toute tension et contradiction est soigneusement écartée. Conséquence : les problèmes de démocratie et de "gouvernance" sont largement passés sous silence. Sauf s’il s’agit de la seule la gouvernance entrepreneuriale et de la technocratie écoligarchique intercommunale (voir mon livre : Paysages, pouvoir et colères…, Petit-Pavé, 2020)
Sa conclusion : « les villes sont un symbole du monde pressé dans lequel nous vivons, "accéléré" (Hartmut Rosa, 2010), hyperconcurrentiel, où tout bouge vite. En miroir, les campagnes apparaissent comme un refuge, où l’on peut prendre son temps, réduire la place du travail, consommer moins mais mieux, se rapprocher de la terre et du rythme des saisons. Une forme de sobriété heureuse, de décroissance volontaire (…) Dans cette perspective, les campagnes sont en train de devenir, aux yeux des classes aisées [c'est moi qui souligne] les espaces les plus modernes, volant aux villes l’image positive qu’elles avaient captée pendant cent cinquante ans ». Les campagnes auraient-elles vocation à devenir l’exutoire tout trouvé au "mal à la ville" des métropolitains aisés, par une rétro-gentrification rurale inattendue ? Doit-elle faire oublier la mixité sociale bien réelle qui y règne avec un delta+ (en % des CSP) pour les couches populaires, employées et ouvrières, vivier naturel des Gilets jaunes des ronds-points périurbains.
Ce livre, qui ambitionne de décrire « la renaissance des campagnes », dissout le périurbain dans des ruralités pourtant très diverses, et choisit dans ce but les lieux et interlocuteurs selon un sceptre déterminé par avance (un "cherry picking" champêtre) en soutien d’une thèse préétablie. Pas sûr, dans ces conditions, qu’il aidera vraiment à appréhender les conséquences à venir de l’épidémie de la Covid 19 dans des milieux certes potentiellement « résilients », mais cependant tout particulièrement fragilisés dans les perspectives économiques, sociales et politiques dévastatrices qui s’annoncent pour ces espaces pour la plupart désormais plus clairement périurbains qu’intrinséquement ruraux.
Vincent Grimault, La renaissance des campagnes, enquête dans une France qui se réinvente, Seuil, 2020, 312 pages, 21€.
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