Marx écologiste ? L’opinion courante est que Marx et le marxisme se situent du côté d’une modernité prométhéenne, anthropocentrée, qui ne considère la nature que pour mieux la dominer et l’exploiter, selon une logique productiviste qui fut celle tant du capitalisme que du socialisme historique. L’écologie, comme discipline scientifique et comme politique, aurait ainsi à se construire en rupture avec l’héritage marxiste ou, du moins, au mieux, en amendant considérablement celui-ci pour qu’il soit possible de lui adjoindre des préoccupations qui lui étaient fondamentalement étrangères.
Dans ce livre - traduction des chapitres 8 à 11 de The Ecological Revolution. Making Peace with the Planet de John Bellamy Foster (New York, The Monthly Review Press, 2009) - l'auteur fait, textes, références et citations à l'appui, la démonstration, dans le contexte d'une reconstruction systématique de la théorie marxienne de la rupture métabolique, que Marx n'était pas, comme on le prétend, aveugle aux problèmes écologiques. Il démontre que Marx a proposé une lecture puissante de la principale crise écologique de son époque, à savoir le problème de la fertilité des sols dans l'agriculture capitaliste, et qu'il a formulé des analyses sur les autres crises écologiques majeures de son temps, comme la disparition des forêts , la pollution des villes et le spectre malthusien de la surpopulation. « Ce faisant, il soulevait les problèmes fondamentaux concernant l'antagonisme entre la ville et la campagne, la nécessité de la soutenabilité écologique et ce qu'il appelait la relation « métabolique » entre les êtres humains et la nature », écrit-il (p.47).
De sorte qu'à l'issue de la lecture du livre, les six aveuglements attribués à Marx en matière d'écologie – à savoir son incapacité à percevoir 1) l'exploitation de la nature ; 2) le rôle de la nature dans la création de la richesse ; 3) l'existence des limites naturelles ; 4) le caractère variable de la nature ; 5) le rôle de la technologie dans la dégradation environnementale et 6) l'incapacité de la simple abondance économique à résoudre les problèmes environnementaux – lui sont attribués à tort. Pour l'auteur « il ne s'agit bien sûr pas de prétendre que Marx a apporté des solutions définitives à tous ces problèmes, mais plutôt de montrer qu'il en était suffisamment conscient pour éviter les pièges principaux et pour intégrer la notion fondamentale de « métabolisme humain avec la nature » à son cadre théorique général » (p.84). Par conséquent, son travail peut même constituer un point de départ pour une sociologie de l'environnement.
Dans le contexte actuel en pleine mutation, il n'est pas surprenant que cette manière dont Marx appréhende la question des conditions naturelles qui sous-tendent la société humaine – avec son insistance sur la soutenabilité, sur la connexion entre l'exploitation de la terre et les autres formes d'exploitation, ainsi que sur le caractère "métabolique" et interdépendant de l'interaction homme/nature – soit devenue l'objet d'un nouvel intérêt. « Pour toutes ces raisons, Marx était sur bien des points en avance sur la pensée environnementale contemporaine », estime finalement J.B. Foster (p.132).
Marx et Engels (notamment dans le Manifeste et la « Dialectique de la nature ») avaient cependant tendance à considérer que les les problèmes écologiques se poseraient avec plus d'acuité à la future société communiste qu'à la société capitaliste, « ce qui explique pourquoi, dans le Manifeste (1848) les considérations écologiques trouvent leur place non dans l'évaluation des conditions qui mèneront à l'effondrement du système capitaliste, mais dans leur programme communiste ».
Aujourd'hui, il est plus qu'évident qu'une telle approche est inadéquate. « Les contradictions écologiques du capitalisme se sont développées à un tel point qu'elles joueront inévitablement un rôle dans l'effondrement du système – l'écologie constituant aujourd'hui, selon J.B Foster, l'une des sources principales de résistance anti-systémique au capitalisme ». Et, « c'est toute notre conception de la révolte contre le système capitaliste qui doit être aujourd'hui repensée à cette aune. La conception marxienne d'une société durable, dans laquelle la terre serait léguée « améliorée » en boni patres familia dans le cadre d'un ordre social reconstitué autour de la réalisation collective des besoins humains, est peut-être la vision la plus convaincante d'une utopie réalisable – jugée en termes écologiques et sociaux – qui ait été développée à ce jour. C'est donc chez Marx que l'on peut trouver le point de départ essentiel de toute articulation d'une écologie sociale réellement révolutionnaire », conclut-il.
John Bellamy Foster : Marx écologiste, 2011, Ed. Amsterdam, 144 p., 12 €
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