L’heure n’est pas à « l’illusion du consensus ».

Un utile rappel en cette fin d’une longue séquence électorale en France qui se solde par la pseudo victoire d’une politique illusoirement consensuelle. Pour la philosophe Chantal Mouffe, figure de la démocratie radicale et plurielle - présentée, avec Ernesto Laclau, comme l’inspiratrice du mouvement Podemos, voire de la gauche radicale tout entière - le conflit est constitutif de la politique. Nous vivons un moment décisif : à l’euphorie des années 1990, marquées par le triomphe de la démocratie libérale et la célébration d’un « nouvel ordre mondial »,  a succédé l’illusion d’une démocratie sans frontière, sans ennemis, sans partis. Une démocratie cosmopolite qui apporterait enfin paix et prospérité aux peuples du monde. Mais la montée des populismes de droite en Europe et la menace que représente aujourd’hui le terrorisme international ont révélé à quel point ce rêve était superficiel. Et les mots censés l’illustrer – « dialogue », « consensus », « délibération » –  impuissants. 

Pour Chantal Mouffe, les concepts aujourd’hui très en vogue de « démocratie non partisane », de « démocratie dialogique », de « démocratie post-politique », de « bonne gouvernance », de « société civile mondiale », de « souveraineté cosmopolitique », voire de « démocratie absolue », "ont en commun une même vision antipolitique qui nie la dimension antagonistique du politique. Quand les luttes politiques perdent de leur signification, ce n’est pas la paix sociale qui s’impose, mais des antagonismes violents, irréductibles, susceptibles de remettre en cause les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques ".

Sa démonstration consiste à examiner les conséquences de la négation de l’antagonisme, dans différents champs,  aussi bien théoriques que politiques. Elle soutient « le fait de concevoir le but d’une politique démocratique en termes de consensus et de réconciliation n’est pas seulement erroné conceptuellement mais dangereux politiquement. L’aspiration à un monde qui aurait dépassé la différenciation entre un "nous" et un "eux" se fonde sur des prémisses fallacieuses, et ceux qui adhèrent à ce projet ne peuvent que manquer la tâche véritable qui incombe à une politique démocratique ».

Mais les références de Chantal Mouffe ne remontent pas assez loin dans le temps pour renouer avec des pionniers - pré-1990 - de la conflictualité, tels Lefebvre et Foucault, sans remonter jusqu’à Mao Zédong. Et son raisonnement théorique bienvenu ne s’appuie cependant pas suffisamment sur des bases empiriques et factuelles assez précises pour éclairer le sens et les formes d’une radicalité contemporaine œuvrant, au-delà des discours et des postures, à une authentique politique de l’émancipation. 

Ce qui ne nous empêche cependant pas de souscrire à sa conclusion : « il y aura toujours des conflits dans un monde multipolaire, mais ces conflits sont moins susceptibles de prendre une forme antagonistique que dans un monde unipolaire. Il n’est pas en notre pouvoir d’éliminer les conflits ni d’échapper à notre condition humaine, mais il est en notre pouvoir de créer les pratiques, les discours et les institutions qui permettront à ces conflits de prendre une forme agonistique. C’est la raison pour laquelle la défense et l’approfondissement du projet démocratique exigent de reconnaître la dimension antagonistique du politique et de renoncer au rêve d’un monde réconcilié qui aurait dépassé le pouvoir, la souveraineté et l’hégémonie ».


Chantal Mouffe, L’illusion du consensus, Albin Michel, 2016, 198 pages, 17,50 €.

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