Jean-Clément
Martin, ancien directeur de l'Institut d'histoire de la Révolution française, a
d'abord été professeur d'histoire contemporaine à l'université de Nantes.
Aujourd'hui, il est professeur émérite de l'université Paris 1-
Panthéon-Sorbonne, où il a succédé à Albert Soboul et Michel Vovelle à la
prestigieuse chaire d'histoire de la Révolution française. Juste avant cette
biographie de Robespierre, il vient
également de publier un Dictionnaire de la Contre-Révolution (2011, dir.) et
une Nouvelle histoire de la Révolution française (2012). Avec constance, il dénonce de longue date
"la machine à fantasmes" d'une certaine historiographie de la Guerre
de Vendée.
Le
parti pris de cette nouvelle biographie de Robespierre, qui fait son
originalité et son intérêt, est le refus annoncé de tout sensationnalisme et de
toute approche psychologisante ou affect. Chapitre après chapitre, nous voyons
ainsi évoluer l'homme parmi ses pairs et ses rivaux, dont beaucoup ont partagé
les mêmes expériences : une enfance difficile, une adolescence studieuse et une
réussite sociale, mondaine et littéraire précoce. Après son entrée en politique
à la veille de la révolution (1783-1789), J-C Martin décrit la mutation de
"Robertspierre" [sic] en "Incorruptible" de 1789 à 1791.
"Chef des Jacobins", il est le "guide incontesté" de la
révolution, avant d'en devenir le "meneur indécis" de septembre 1792
à juillet 1793. Soumis à
"l'épreuve du pouvoir", jusqu'en avril 1794, il en devient
"l'idole abattu" dans la deuxième partie de l'année 1794. Dans ce
parcours, "ni énigme, ni transcendance, ni abonimation démoniaque ;
simplement des jeux politiciens et des urgences politiques, des rivalités
d'hommes et les contraintes d'un Etat en guerre". Au passage, l'auteur met
en évidence "le lien inattendu et incompréhensible, en bonne
logique", établi entre Robespierre et Carrier à propos des massaccres de
Nantes et de la Guerre de Vendée. Robespierre est "toujours accusé, encore
en 2014, d'avoir été le bourreau de la Vendée", grâce au tour de force de
transformer Carrier, son ennemi personnel, en assassin robespierriste.
A
travers ses multiples et successives prises de position politiques, même
modestes, on comprend à la lecture que Robespierre s'exprime le plus souvent en
réponse ciblée aux Danton, Marat, Pétion, Saint-Just, Fabre d'Eglantine,
Camille Desmoulins, Hébert, Collot d'Herbois, dans un jeu de bascule permanent,
et pendant longtemps sans exercer une
magistrature suprême quelconque. Lorsqu'il paraît y accéder, il est
alors sans tarder mis hors la loi par ses collègues, le 9 thermidor An II (1794), une date considérée
comme terminale de la phase ascendante de la révolution.
On
le sait, à ce jour, aucune rue parisienne ne porte le nom de Robespierre, passé
à la postérité comme l'archétype du monstre. Sans l'absoudre de rien, sans
l'accabler non plus, Jean-Clément Martin démontre clairement que cette
réputation a été fabriquée de toutes pièces par les Thermidoriens eux-mêmes
qui, après l'avoir abattu, voulurent se dédouaner de leur propre recours massif
à la violence d'Etat. Les 10 et 11 thermidor, qui voient l'exécution de
Robespierre, de Couthon, de Saint-Just et de près de cent autres, servent en
réalité à stigmatiser "l'Incorruptible" comme étant seul responsable
de la "Terreur". L'accusation de "tyran" (Barère), père du
"système de la terreur" (Tallien),
réécrit par un tour de passe-passe l'histoire de la Révolution et a fini
par s'imposer jusqu'à nous.
L'auteur
le concède : "la difficulté est grande pour articuler ensemble toutes ces
facettes : l'homme secret et solitaire, "incorruptible" adulé des
foules, membre du puissant Comité de Salut Public et, enfin, tyran
décapité". Depuis Thermidor, il est le "monstre", parfait bouc
émissaire". Pourtant, en historien méticuleux et mesuré, Jean-Clément
Martin démonte la légende noire pour retrouver l'homme. Il ne veut pas
"accabler Robespierre comme seul responsable de la violence
révolutionnaire, parce que rien parmi les archives et les mémoires ne permet de
l'affirmer". Un ouvrage d'histoire experte - dans une édition très
soignée, avec index et bibliographie - qui tord le cou à bien des mythes.
Jean-Clément
Martin, Robespierre et la fabrication d'un monstre, Ed. Perrin, 2016, 300
pages, 22,50 €.
Robespierre continue de fasciner aujourd'hui. Il est aussi riche de personnalité et complexe que la période révolutionnaire
RépondreSupprimer