Ce court essai est la transcription d’une conférence donnée
par Alain Badiou, philosophe, le 23 novembre 2015, soit 10 jours seulement
après les tueries de Paris, dans l’urgence de les "penser".
Résumé : le monde est "zoné" par le capitalisme mondialisé. Il génère des "subjectivités réactives", et appelle une "nouvelle politique d’émancipation" associant le "prolétariat nomade", les jeunes et les intellectuels progressistes.
Résumé : le monde est "zoné" par le capitalisme mondialisé. Il génère des "subjectivités réactives", et appelle une "nouvelle politique d’émancipation" associant le "prolétariat nomade", les jeunes et les intellectuels progressistes.
Alain Badiou se propose donc de partir de la situation d’ensemble
du monde tel qu’il le voit, telle qu’il croit qu’on peut la penser
synthétiquement, pour aller aux crimes de masse et à la guerre qui, du côté de
l’Etat, a été prononcée ou déclarée. Pour ensuite, « remonter vers la situation
d’ensemble, non plus telle qu’elle est, mais telle qu’il faut désirer qu’elle
devienne, vouloir et agir pour que de semblables symptômes
disparaissent », dit-il.
Un monde fragmenté et zoné par le capitalisme mondialisé
Concernant la situation du monde, il souligne que nous avons
une structure du monde contemporain dominé par le triomphe du capitalisme
mondialisé. Avec un affaiblissement stratégique des Etats, voire même un
processus de dépérissement capitaliste des Etats.
Les nouvelles pratiques impériales non seulement tolèrent, mais encouragent, selon les circonstances, un dépérissement des Etats confinant à leur anéantissement. Exemples : la Libye, l’Irak, le Mali et la Centrafrique, mais avant, la Yougoslavie, prenant la forme d’une fragmentation en "zonages", d’affrontement des religions et des bandes armées.
Les nouvelles pratiques impériales non seulement tolèrent, mais encouragent, selon les circonstances, un dépérissement des Etats confinant à leur anéantissement. Exemples : la Libye, l’Irak, le Mali et la Centrafrique, mais avant, la Yougoslavie, prenant la forme d’une fragmentation en "zonages", d’affrontement des religions et des bandes armées.
Les effets sur les populations sont désastreux. Alain Badiou rappellent ces chiffres
de base :
-
1 % de la population mondiale possède 46% des ressources
disponibles, par loin de la moitié.
-
10% de la population mondiale possède 86% de ces ressources.
-
Et 50% de la population mondiale ne possèdent rien.
Trois "subjectivités réactives"
Face à un tel Etat du Monde, il existe selon lui "trois
subjectivités réactives".
1) La subjectivité occidentale, celle de ceux
qui se partagent les 14% laissés par l’oligarchie dominante, « c’est la
subjectivité de la classe moyenne largement concentrée dans les pays les plus
développés ».
2 ) La subjectivité du désir d’occident, l’envie de posséder, de partager ce qui est représenté comme « l’aisance occidentale ».
Et 3) la subjectivité du "nihilisme" fascisant, de vengeance et de destruction.
Ces deux dernières subjectivités « forment un couple
qui gravite ; version positive et version négative, autour de la
fascination exercée par la domination occidentale ».
Pour Badiou, « en se fascisant, le déçu du désir
d’Occident devient l’ennemi de l’Occident, parce qu’en réalité son désir
d’Occident n’est pas satisfait. Ce fascisme organise une pulsion agressive,
négative et destructrice, parce qu’il se constitue à partir d’une répression
intime et négative du désir d’Occident ». Les tueurs d’aujourd’hui sont
typiques à cet égard : « Ils s’imaginent être portés par la
passion anti-occidentale, mais ils ne sont qu’un des symptômes nihilistes de la
vacuité aveugle du capitalisme mondialisé, de son impéritie, de son incapacité
à compter tout le monde dans le monde tel qu’il le façonne ».
Car les limites structurales du capitalisme apparaissent
dans sa mondialisation, qui est « à la fois une expansion et la révélation
de son incapacité à valoriser l’ensemble de la force de travail
disponible » à l’échelle mondiale.
Quel retour vers une politique d’émancipation ?
Pour Badiou, ce dont nous souffrons, « c’est de
l’absence à l’échelle mondiale d’une politique qui serait disjointe de toute
intériorité du capitalisme ».
Selon lui, nous pouvons dire que « notre mal vient de plus loin que l’immigration, que l’islam, que le Moyen-Orient dévasté, que l’Afrique soumise au pillage… » Notre mal vient de l’échec historique du communisme. Par là, il entend simplement le nom historique qui a été donné à une pensée stratégique disjointe de la structure du capitalisme hégémonique »
L’idée qui animait jusque dans les années 1970 dans le monde
entier des millions de révoltés politiques était celle du communisme. Mais
cette idée, qui porte ce nom générique depuis le XIXe siècle de « communisme » est aujourd’hui « tellement malade qu’on a honte
seulement de la nommer ». « Enfin, pas moi », précise Badiou,
mais dans l’ensemble elle est "criminalisée". Cependant le but des
tenants de la mondialisation capitaliste n’est aucunement éthique, de
condamnation morale (ils sont mal placés pour ça) : « ils ont pour
but le déracinement, si possible définitif, de l’idée d’une alternative
globale, mondiale, systémique, au capitalisme ».
Et, où en sommes-nous aujourd’hui ? Il n’y a pas rien,
il existe des convictions, des expériences locales, toute une série de choses
qui doivent être irriguées par une pensée neuve. Il y a un prolétariat relégué et/ou nomade, venant des zones
les plus dévastées ou délaissées. Il est déjà très fortement internationalisé, sur la terre
entière. « Cet énorme prolétariat nomade constitue une avant-garde virtuelle de la masse gigantesque des gens dont l’existence, dans le monde tel qu’il est,
n’est pas prise en compte ».
Quant aux intellectuels, ils devraient davantage "se lier au
prolétariat nomade, aller le voir, le consulter, parler avec lui". Il
faut que les intellectuels et les différentes composantes de la jeunesse soient
davantage liés, à travers des expériences locales ou plus générales, « qu’ils fassent un geste, un trajet, un pas
vers le prolétariat mondial ». Mais le temps presse, conclut Badiou qui veut, malgré tout, rester optimiste.
Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin, penser les
tueries du 13 novembre, Fayard, 2016, 64 p., 5€
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