Soulignons ce paradoxe : alors que tout le monde ou presque
incrimine Houellebecq - sans même avoir lu son dernier roman
"Soumission" - comme quasiment complice des terroristes islamistes,
celui qui a été une de leurs victimes, Bernard Maris - chroniqueur économique
hétérodoxe à Charlie Hebdo - soulignait à l'inverse récemment son
"intelligence du monde contemporain". Cherchez l'erreur. En tout cas,
cela mérite mieux que jeu de mot ou caricature.
Ceux qui liront Houellebecq verront qu'il s'appuie sur
une fiction d'une logique exactement contraire à celles des attentats : la
prise de pouvoir par les urnes d'un leader islamiste modéré au second tour des
élections présidentielles de 2022 !
Certes son personnage central, le narrateur, n’est-il guère
sympathique : un maître de conférence spécialiste reconnu de J-K Huysmans
(1848-1907), uniquement préoccupé de sa carrière universitaires, des potins et
coucheries, des luttes académiques… N’en existerait-il donc pas ? Mais
sans grande illusion : « Cela faisait bien longtemps qu’un titre
universitaire en tant que tel ne suffisait plus à vous ouvrir l’accès aux
rubriques "tribune" et "points de vue" des médias
importants, et que celles-ci étaient devenues un espace strictement clos,
endogame ».
Il est pourtant, un observateur pertinent du monde dans
quelques années, digne prolongement de ce qu’il est d’ores et déjà aujourd’hui.
« Beaucoup d’hommes s’intéressent
à la politique et à la guerre, mais j’appréciais peu ces sources de
divertissement, je me sentais aussi politisé qu’une serviette de toilette, et
c’était sans doute dommage. Il est vrai que dans ma jeunesse [à notre époque
donc] les élections étaient aussi peu intéressantes que possible ; la
médiocrité de l’"offre politique" avait même de quoi surprendre. Un
candidat de centre-gauche était élu, pour un
ou deux mandats selon son charisme individuel, d’obscures raisons lui
interdisant d’en accomplir un troisième ; puis la population se lassait de
ce candidat et plus généralement du centre-gauche, on observait un phénomène d’alternance
démocratique, et les électeurs portaient au pouvoir un candidat de centre
droit, lui aussi pour un ou deux mandats, suivant sa nature propre.
Curieusement, les pays occidentaux étaient extrêmement fiers de ce système
électif qui n’était pourtant guère plus que le partage du pouvoir entre deux
gangs rivaux. Ils allaient même parfois jusqu’à déclencher des guerres afin de
l’imposer aux pays qui ne partageaient pas leur enthousiasme ». Est-ce si
mal vu ?
Autre exemple, qui prend plus de relief encore
aujourd’hui : « Que l’histoire politique puisse jouer un rôle dans ma
propre vie continuait à me déconcerter, à me répugner un peu. Je me rendais
bien compte pourtant, et depuis des années, que l’écart croissant, devenu
abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom, politiques et
journalistes, devrait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de
violent, d’imprévisible …Jusqu’à ces derniers jours j’étais encore persuadé que
les Français dans leur immense majorité restaient résignés et apathiques – sans
doute parce que j’étais moi-même résigné et apathique. Je m’étais
trompé ».
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Une de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 |
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Lire également sur ce blog :
- "Houellebecq economiste par Bernard Maris"
- "La carte et le territoire"
NB : J'ai personnellement aussi un faible pour ce roman, car pour l'essentiel la carte du territoire de son action se situe dans le Quartier latin de mes études : un quadrilatère incluant Sorbonne, la rue Mouffetard, la place Monge, les Arènes de Lutèce et la Grande Mosquée de Paris, Censier, place d'Italie, etc.
Lire à ce sujet :
RépondreSupprimerhttp://www.valeursactuelles.com/camille-pascal-faut-il-lire-houellebecq-50222
"L’intelligence de l’auteur, davantage encore que son talent, saute immédiatement aux yeux car, avec une subtilité qu’aucun de ses détracteurs n’est parvenu à déjouer, l’auteur trace un portrait triste et lucide de ce qu’est la France aujourd’hui. Un pays soumis, non pas à l’islam comme la fable s’amuse à le faire croire, mais à son confort matériel, sexuel et surtout spirituel. Un confort vide de sens et d’espoir mais auquel chacun tient aujourd’hui plus qu’à tout, y compris à sa propre liberté. La description impitoyable de l’Université française, dont le personnage principal est un pur produit, suffit à l’auteur pour décrire l’état de délabrement de nos élites recrutées non pas en fonction de leurs mérites mais de leur capacité à reproduire un système et à psalmodier les sourates de la culture officielle. Quant à sa description du monde politique où un parti musulman “modéré” fait alliance avec le Parti socialiste pour faire “barrage” au Front national, elle rappelle avec cruauté que le suffrage universel peut, un jour, comme dans l’Allemagne de 1933, voter contre la démocratie…"
Lire la chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun : "Michel Houellebecq, bonjour tristesse", dans l'Huma du 29 janvier 2015.
RépondreSupprimer"Par delà le goût avéré de l'auteur pour la provocation, i l faut lire son texte dans la continuité des œuvres précédentes : comme l'espace d'une réflexion n'épargnant rien ni personne, pas même celui qui raconte. Entre naturalisme et nihilisme, non sans un certain humour noir, il fait ainsi avancer son ténébreux récit. au risque de la controverse et de l'invective. Mais la dissonance, tel un acide, constitue le principe même de cette écriture".