Réenchanter le risque pour l’avenir de la planète des humains

L’auteur, Gérald Bronner, professeur de sociologie à l'université de Paris - Diderot, s’attache dans ce nouveau livre, à décrypter un certain imaginaire, obsédant, au point qu’il est devenu la grande idéologie de notre temps. Il montre que cet imaginaire apocalyptique, qui trouve sa vitalité en se hasardant à décrire la manière dont notre monde pourrait finir, est avant tout une idéologie d’intimidation. A travers une brève histoire de la fin des temps – citant films et séries télévisées, notamment la subculture particulièrement à la mode des zombies, de la Nuit des morts vivants à Walking Dead – il montre que depuis la fin des années 1990, notre imaginaire a été finalement envahi par une nouvelle terreur : celle de l’apocalypse écologique.

Auparavant, les coupables idéaux étaient plutôt les déviants ou les minorités, c’est-à-dire les autres, désormais, de nouveaux acteurs apparaissent sur la scène de la détestation qui ,pourraient bien être d’autres nous-mêmes, avec l’émergence d’une véritable haine de soi, d’une crainte et d’une haine de l’action humaine, qui se transforme facilement en une auto-détestation qu’il nomme anthropophobie. Il montre que le "principe responsabilité" du philosophe allemand Hans Jonas - source du "principe de précaution" - a nourri surtout une « heuristique de la peur » porteuse d’un impératif in dubio pro malo, en cas de doute, envisage le pire !

Cette couverture de la revue La Décroissance
suggère que tous les partis politiques sont au service
d'une technologie mortifère présentée sous ls
forme du robot apocalyptique Terminator  
Les craintes contemporaines bénéficient de la nouvelle structuration du marché de l’information, qui se caractérise par une concurrence accrue entre les diffuseurs. « Parce qu’il constitue en réalité un marché de l’information dérégulé, le Web donne à certaines croyances et aux propositions les plus démagogiques une audience de plus en plus grande (Voir : "La démocratie des crédules", Bronner 2013, où il montre combien les croyants, pourtant minoritaires sur bien des sujets, réussissent à créer des formes de majorités illusoires). 

Les récits qui attireront l’attention du public sur les coûts plutôt que sur les bénéfices d’un phénomène ou qui proposeront une narration fondée sur l’heuristique de la peur, pourront bénéficier de notre inaptitude partagée à concevoir raisonnablement le risque ». Le succès notamment de "l’effet papillon" (Edward Lorenz), ou de "l’hypothèse Gaïa" (James Lovelock) a contribué à l’hypothèse du pire et la rhétorique de l’intimidation.

Mais le story-telling du pire dominant, n’a pas seulement pour conséquence de désespérer le présent, elle prend aussi le risque de corrompre le futur.  Avec une emprise telle que certains sont prêts « à enserrer le moindre de nos actes dans un appareil de contraintes et de recommandations ». Une "gangue verte" qui conduit à une "politique de la tétanie".

Cette autre couverture de La Décroissance
suggère que nous sommes rendus esclaves
par la consommation et que nous
pourrions être plus heureux si seulement nous
acceptions d'être pauvres.
Si "l’inquiétant principe de précaution" a été inscrit dans la Constitution c’est surtout parce que « les précautionnistes ont astucieusement contraint le débat à de telles perspectives de temps et d’espace que, par l’incertitude à laquelle elles nous confrontent, elles constituent une intimidation prévisionnelle ». Certaines interdictions prises en son nom – notamment dans la recherche sur les OGM – sont donc inconséquentes « non seulement parce qu’elles portent souvent sur des risques infondés ou mis en scène d’une telle façon qu’ils sont surestimés, mais encore parce qu’elles éradiquent certains possibles porteurs d’espoirs ».

Pourtant, si la survie de l’espèce humaine est bien l’alpha et l’oméga de toute considération éthique, alors il faut, selon l’auteur, prendre en compte absolument et définitivement cette idée : « s’il est vrai que dans certains mondes possibles l’humanité disparaît en raison de son action technologique inconséquente, il est plus vrai encore qu’elle disparaît de tous les mondes possibles dans un milliard d’années sans solution technologique pour sa survie ».

Avec cette question : "qui peut dire laquelle des explorations scientifiques d’aujourd’hui sera le lointain marchepied de la sauvegarde technologique de demain, d’après demain ? Dans ce domaine, bâillonner le présent, c’est désespérer le futur ».

Un ouvrage salutaire et courageux, solidement argumenté et rendu abordable par de nombreux exemples et illustrations.

Gérald Bronner, La planète des hommes, réenchanter le risque, PUF, 2014, 140 p., 13 €. 

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