Les transformations actuelles du champ journalistique
("crise" de la presse écrite, recul des chaînes de télévision généralistes,
poids croissant d’Internet, etc.) focalisent les débats sur les évolutions des
médias, renvoyant au second plan les réflexions sur le rôle politique des
journalistes. C’est à cette question qu’est consacrée cette nouvelle livraison de la revue Savoir/agir
(N°28, juin 2014, Éditions du Croquant), en l’interrogeant sous
l’angle de la "dépolitisation".
Ce dossier souligne d’abord L’autonomisation du champ journalistique par rapport au champ
politique. Alors qu’une partie du champ journalistique français est
née de la création de journaux dans les entreprises politiques au dix-neuvième
siècle, cette situation est aujourd’hui marginale. Les transformations qu’a
connues ce champ au cours des dernières décennies (mouvement de concentration économique ; spécialisation et concurrence
croissantes des titres et des chaînes ; renforcement de son pôle commercial)
ont, en effet, fortement affaibli son pôle politique. Cette mutation s’observe
notamment dans les métamorphoses du journalisme politique, qui se distancie de
plus en plus du jeu politique, en adoptant, selon Nicolas Kaciaf, "une posture d’expertise
critique".
Dans le contexte français d’une puissante dépolitisation de
la presse - au sens où les entreprises de presse ne sont plus liées à des partis
ou des hommes politiques - les relations entre le champ journalistique et le champ politique prennent les formes nouvelles d’une
fuite en avant de la communication politique. Pour réussir à passer dans des
médias qu’ils ne possèdent plus, les agents politiques accroissent les
ressources (humaines, financières, expertes) accordées aux stratégies d’accès
aux médias. Comme le souligne Jérémie Nollet, les activités politiques sont
alors en partie transformées du fait qu’elles cherchent à se conformer aux
formats médiatiques et à la vision déconflictualisée du monde social qui y est dominante.
Le dossier souligne ensuite la neutralisation médiatique des problèmes sociaux. L’autonomisation
du champ journalistique n’est pas sans effet sur les contenus produits par les
journalistes, et, plus largement, sur la "dépolitisation" des problèmes sociaux,
entendue comme (re)qualification d’enjeux anciennement (ou potentiellement)
définis comme politiques en enjeux ne relevant plus (ou pas) de ce registre.
C’est, dés lors, une vision individualisée des questions de société qui domine
les représentations journalistiques, comme le montre Jean-Baptiste Comby dans
le cas des problèmes environnementaux dont les causes structurelles sont
soigneusement occultées.
La production d’un cadrage dépolitisant peut prendre différentes formes : désidéologisation, déconflictualisation; naturalisation,
focalisation sur les agents plutôt que sur les structures; personnalisation des
institutions et des idées, absence de mise en perspective historique; recherche
de responsables plutôt que d’explications plus structurales, etc. Ce qui s’explique moins par une intention délibérée des journalistes que par leur mode
de recrutement, leurs conditions de travail - précarisation d’une partie de la
profession ; exigences de rentabilité des rédactions, etc. - et leurs
contraintes professionnelles. Avec une urgence exacerbée qui engendre une forte
dépendance aux sources d’information officielles et une difficulté à mener des
enquêtes autonomes dans la durée ; légitimation des sujets "vendeurs", tels
que les faits divers ou le people…
Au final, en débouchant sur une faible différenciation des
contenus journalistiques par rapport au discours de communication des agents et
institutions dominants, les pratiques journalistiques contribuent à la
(re)production de l’idéologie dominante.
Ces éléments sur la production de grilles de lecture
dépolitisées dans et par le champ journalistique, ne doivent pourtant pas
susciter de conclusions hâtives quant à leurs effets. Et il reste hasardeux de
prêter des effets politiques aux médias sans s’appuyer sur une étude empirique
de leur réception par les différentes catégories de public.
Ce dossier invite donc finalement à faire preuve de prudence quand on s’interroge sur les effets de politisation des médias entendue cette fois ci comme l’"attention aux événements politiques" de la part des divers publics. Leroux et Riutort soulignent ainsi que la vigilance s’impose notamment dans les débats actuels qui attribuent une force politisante à des émissions télévisées à faible contenu politique, telles que les émissions de divertissement.
Ce dossier invite donc finalement à faire preuve de prudence quand on s’interroge sur les effets de politisation des médias entendue cette fois ci comme l’"attention aux événements politiques" de la part des divers publics. Leroux et Riutort soulignent ainsi que la vigilance s’impose notamment dans les débats actuels qui attribuent une force politisante à des émissions télévisées à faible contenu politique, telles que les émissions de divertissement.
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