"Reconstruire une vraie gauche, sur des bases de classe" par Arnaud Spire Philosophe

Source : http://www.humanite.fr/sur-les-luttes-et-les-alternatives-comment-construire-un-rassemblement-gauche-545239

Publié aujourd'hui dans l'Huma du 23 juin 2013

En partageant largement le fond et les termes, je m'en fais ici simplement le relais (J-Y Martin).

Ancien journaliste à Alger Républicain, Arnaud Spire est membre du directoire de l’association « Espaces Marx » et conseiller de la Fondation Gabriel Péri. Auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs avec Jean-Paul Jouary, sa pensée s’inscrit dans le sillage du marxisme et s’inspire notamment des travaux d’Edgar Morin. Il s’est intéressé à la pensée d’Ilya Prigogine à laquelle il consacre un ouvrage en 1999 (La pensée-Prigogine). Il collabore à de nombreux autres périodiques dont Multitudes, les Cahiers Jaurès, Regards.

J’ai tendance, depuis 2009, à considérer le Front de gauche comme un piège tendu au ­« communisme à la française ». Pierre ­Laurent lui-même y a fait plusieurs fois allusion et a judicieusement mis le Parti communiste français au service de notre peuple lorsque celui-ci, dans sa grande masse, exprimera le désir de faire sien notre idéal. J’approuve cette démarche qui me semble profondément marxiste et qui n’a rien à voir avec je ne sais quel attentisme. Dans la pratique, Marx a toujours proposé une ouverture qui ne soit pas « électoraliste », mais révolutionnaire et ouverte. Or, tel n’est pas le but du Front de gauche, qui est apparu progressivement, avec le résultat des élections européennes, la propriété exclusive de Jean-Luc Mélenchon et de son Parti de gauche, avec leurs larmes post-électorales ! Pierre ­Laurent, plus dynamique et constructif, a réaffirmé que nous étions au service de notre peuple dès que celui-ci aurait, dans sa grande masse, conscience de ce besoin pour s’émanciper. Et que, pour l’instant, il s’agissait d’abord de reconstruire une nouvelle gauche avec notre parti. Le Front de gauche, il faut le reconnaître, n’a attiré que quelques centaines de nouveaux électeurs par rapport à 2009. L’audience du Front de gauche, en réalité, se rétrécit.
Les résultats obtenus aux élections européennes montrent que dans les grandes nations modernes il n’y a que deux partis gouvernant en alternance. La gestion des affaires publiques donne le choix entre « plus de marché » ou plus de « négociations sociales » et, dans les deux cas, plus de place au « tout privé ». Il n’y a que deux plateaux sur la balance d’un pouvoir désormais enchaîné au seul principe de monarchie présidentielle. Cela s’inscrit pour les « deux partis » dominants dans un jeu sans fin de subdivisions circonstancielles. Deux puissances politiques s’affrontent ou s’arrangent, selon les périodes.
À droite, les privilégiés du pouvoir rêvent de vampiriser le Front national (FN), afin de s’inscrire plus étroitement dans la mondialisation néolibérale. Le danger est immense. Le FN n’est pas un parti d’alternance. Dans la forme de masse qu’il a prise aux dernières élections européennes, on s’accorde à reconnaître celle d’un mouvement ­protestataire instrumentalisé qui, en fait, conforte une droite extrêmisée dans ses pires tentations idéologiques autoritaires. Le FN conforte le machisme et fournit à la droite des armes idéologiques pour diviser la population entre nationaux et supposés étrangers, travailleurs et assistés. Les droites captent ainsi les voix et les cœurs de tous ceux qui ont de bonnes raisons de se rebeller. C’est une réalité européenne. L’Europe est devenue d’extrême droite grâce à l’appui des médias élitistes qui, jour après jour, l’ont poussée sur la scène avec horreur et délectation, jouant et rejouant le match entre eux-mêmes et cette créature maléfique, au point de la consacrer, à longueur de bulletins d’informations, en star absolue. S’ajoute à cela, l’idée que le Front de gauche n’est rien d’autre qu’« un des deux extrêmes », la réputation d’un Front de gauche marqué uniquement par ses querelles et ses divisions, et non par ses convergences.
Dans le même temps, deux courants traversent le Front de gauche, celui d’une force gauchiste impatiente et autoritaire et celui de la construction précaire d’un large rassemblement populaire. En fait, ce piège « mou » et invisible vise à faire disparaître le Parti communiste français (PCF) de la vie politique française, alors qu’il faisait, je le rappelle, 28 % des voix au lendemain de la Libération. De plus, tandis qu’ils érigent le FN en troisième force sociale, les médias dissimulent et discréditent le PCF, qui, seul, a la spécificité d’avoir toujours lutté pour la mise en place et la défense d’institutions nationales : économie, santé, éducation, recherche, droit social, ouvrant des perspectives de « promotion collective » dans le cadre des services publics financés par nos impôts. Nous savons, nous, qu’en matière d’acquis des luttes, tout est toujours à reconquérir, surtout les services publics.
Je me réjouirais si cette idée était partagée au Front de gauche aujourd’hui confisqué par Jean-Luc Mélenchon et son parti. L’avenir du Front de gauche, selon moi, ne peut consister que dans la reconstruction d’une vraie gauche, c’est-à-dire sur des bases de classe. Ceux qui en bas sont animés depuis longtemps par cette exigence savent qu’il faut nécessairement l’adapter à la situation politique pour élaborer un soutien autonome, constructif et unitaire et non pas faire une fusion pragmatique entre des contraintes. Un front est un front. Le problème, pour nous communistes, est de nourrir notre idéal, même si celui-ci apparaît actuellement utopique et non pas de disparaître dans le Front de gauche.

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