« Lutter pour humaniser la ville et en finir avec la
ségrégation spatiale » , par Robert Spizzichino, ingénieur
urbaniste
Une TRIBUNE dans l'Huma du 24 septembre.
Début septembre, à Naples, sous la houlette du programme des Nations unies
pour l’habitat, près de 10 000 personnes venant de tous les pays se sont
réunies pour évoquer les grands défis mondiaux liés à l’urbanisation et les
solutions à y apporter. En parallèle, dans des conditions hélas précaires, se
tenait le forum social urbain organisé par des associations d’habitants, de
professionnels militants et de chercheurs. D’un côté une grande messe
traditionnelle avec ses contradictions, ses lobbies politiques et économiques
et ses bla-bla sur la gouvernance, de l’autre une effervescence combative de
remise en question des mécanismes capitalistes et marchands.
Quelle synthèse hyper-raccourcie tirer de ces quatre jours de débats ?
D’abord, les nouvelles ne sont pas bonnes : la ségrégation sociale et
spatiale s’accroît, les villes en croissance démographique – pas seulement
les mégapoles, mais aussi les villes moyennes – sont incapables de fournir
à leurs populations les plus modestes des logements et des conditions de vie
décentes ; de plus, les évolutions prévisibles sont pessimistes. C’est aussi
dans les villes les plus pauvres que se concentrent les risques naturels
majeurs : séismes, tempêtes, glissements de terrain, inondations… Le
réchauffement climatique augmente considérablement la plupart de ces risques.
Sur ces terreaux d’inégalités et de misères fleurissent la drogue,
l’insécurité, la corruption.
Mais on peut aussi constater deux faits nouveaux :
– de nombreuses villes du Nord rencontrent des problèmes qui se
rapprochent de plus en plus de ceux des villes du Sud : habitat indigne, droit
au logement virtuel, ghettos de riches, inégalités dans l’accès aux services
public… ;
– on assiste dans le Nord et surtout dans le Sud à une floraison
d’initiatives originales municipales et citoyennes, tant pour résister que pour
changer le cours des choses : mobilisations contre les expulsions et les
acquisitions foncières indues, nouvelles formes d’habitat, services urbains
autogérés, défense des ressources naturelles, démocratie locale réinventée…
Dans ce contexte, deux notions reprennent du poil de la bête et vont faire
l’objet de travaux internationaux jusqu’en 2015 : la planification urbaine et
territoriale stratégique (la France a présenté des propositions à ce sujet) et
l’aménagement du territoire pour forger des solidarités villes-campagnes et
renforcer les villes moyennes. Chacun aura à Naples insisté sur le caractère
politique de ces démarches.
Les adjectifs durables ou soutenables agrémentent chaque communication. Ils
traduisent une controverse essentielle : le choix du capitalisme vert, qui veut
de nouveaux marchés grâce à ses technologies et ses services, et celui de la
recherche obstinée d’un nouveau modèle de développement forcément
anticapitaliste. C’est dans l’évolution des villes que ce combat est le plus
vif.
Enfin, la bataille pour l’emploi : des démonstrations ont été faites que la
ville n’était pas seulement le support territorial d’activités économiques,
mais que son développement, selon la manière dont il était conduit, pouvait
être créateur de richesses et donc d’emplois. D’où les luttes pour le contrôle
de ce développement, soit au service des biens communs, soit au service des
intérêts privés. Mais un constat important : la prise en compte de l’économie
informelle dans l’économie urbaine est indispensable.
On repart de Naples avec le sentiment que la ville devient (ou redevient) un
enjeu politique majeur : le droit au logement et le droit à la ville prennent
de plus en plus une consistance concrète en fonction des luttes et des
revendications. C’est dans les villes que les classes populaires innovent dans
leurs capacités d’initiatives et de mobilisations. La poursuite de la
ségrégation sociale et spatiale est porteuse de conflits inéluctables que les
pouvoirs en place essaient de réprimer ou de réguler. Un fort courant de
décentralisation se renforce, même dans les États les plus autoritaires, et les
maires sont souvent un symbole de renouvellement de la classe politique. De par
son histoire culturelle et politique, une France de gauche devrait prendre
toute sa place dans ce combat planétaire essentiel.
Et si le développement et le fonctionnement des villes étaient le nouvel
horizon de la lutte des classes ?
(*) Auteur de De la ville en politique. Éditions l’Harmattan, 2011.
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