Puissance et méfaits de la stupidité humaine


Carlo M. Cipolla (1922-2000), historien de l’économie de renommée mondiale, fut professeur à l’Université de Berkeley et à l’Ecole normale supérieure de Pise. Avec ce petit livre, initialement publié en anglais en 1976, et récemment traduit en français, il entend consigner "les lois fondamentales de la stupidité humaine", doux euphémisme pour évoquer en fait l'emprise de la connerie sur le monde. Vaste projet, bref essai percutant.
Il commence en soulignant que « l’humanité est dans le pétrin. Ce n’est pas une nouveauté, cela dit. Aussi loin que l’on puisse remonter, l’humanité a toujours été dans le pétrin ». Mais, selon lui, ce serait avant tout « la conséquence de la manière hautement improbable, j’oserai même dire stupide, dont la vie fut vécue dès l’apparition de l’humanité ».
Pour autant, dit-il, son petit livre "ne saurait en aucun cas être taxé de cynisme ou de défaitisme". Il n’est que "le résultat d’un effort constructif visant à détecter, connaître et peut-être neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l’humanité ".
Pour ce faire il définit donc quelques Lois fondamentales de la stupidité. La première, par exemple, affirme sans ambiguïté : « Chacun sous-estime toujours inévitablement le nombre d’individus stupides existant dans le monde » !  Avec ce constat avéré et vérifiable : "On trouve donc le même pourcentage d'individus stupides dans les groupes humains les plus nombreux comme dans les plus restreints. Aucun autre ensemble de phénomènes observables n'offre une preuve aussi frappante de la toute puissance de la Nature".
C'est que le groupe humain caractérisé par la stupidité " est beaucoup plus puissant que la Mafia, le complexe militaro-industriel ou l’internationale communiste; c'est un groupe dénué de statut, sans structure ni constitution, sans chef ni président, qui pourtant réussit à fonctionner parfaitement à l'unisson, de telle sorte que l'activité de chaque membre contribue à amplifier et à rendre plus forte et plus efficace celle de tous les autres".
La troisième Loi explique, quant à elle, ceci :  « Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou pour un groupe d’autres individus, tout en n’en tirant lui même aucun bénéfice et en s’infligeant éventuellement des pertes ». Fruit d'un constat plus poussé : « Notre quotidien est surtout fait d’incidents qui nous font perdre de l’argent, et/ou du temps, et/ou de l’énergie, et/ou notre appétit, notre gaîté et notre santé, en raison de l’action improbable d’une créature ridicule qui n’a rien à gagner et qui ne gagne effectivement rien à nous causer de l’embarras, des difficultés ou du mal. Personne ne sait, ne comprend ni ne peut expliquer pourquoi cette créature ridicule agit ainsi. En réalité, il n’y a pas d’explication ou, mieux encore, il n’y a qu’une seule explication : l’individu en question est stupide ».
Pour l'auteur, de tous temps, la société humaine se divise, graphique à l'appui, en quatre grandes catégories : les crétins, les gens intelligents, les bandits et les êtres stupides. En simplifiant le modèle, on peut même avancer que toute partie de la société - classe, groupe, association, parti, etc - se divise en deux : ceux qui posent sans cesse des problèmes, et ceux qui s'efforcent, non sans mal, d'y apporter des réponses.
On peut aussi voir dans ce petit livre une satire ironique du discours académique. Mais l'auteur l'affirme : " Que l'Université soit grande ou petite, prestigieuse ou obscure, j'ai constaté que la même fraction des enseignants y était stupide ". Est-ce tellement surprenant quand le recrutement s'y pratique sur la base de la cooptation ?
A lire également les autres brefs chapitres sur "stupidité et pouvoir", ou "puissance de la stupidité", non moins suggestifs.
Un essai excentrique, un petit chef d’œuvre d'humour pince sans-rire. "Cipolla : le Copernic de la connerie humaine. Le Newton de la déraison universelle" (R-P Droit). Un livre vengeur, qui ne fait que confirmer et illustrer certaines de nos observations quotidiennes,  mais sans nous faire cependant stupidement perdre notre temps en le lisant !

Carlo M. Cipolla, "les lois fondamentales de la stupidité humaine", PUF, 2012, 72 p., 7€.

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