Que
peut-on dire d'ores et déjà dans les grandes lignes ?
Que la France de l’ouest est restée à gauche et celle de l’est, à droite. Que le candidat socialiste réalise deux percées notables, dans le Centre, et en Ile de France. C’est d’ailleurs la première fois à Paris qu’un socialiste est en tête pour une présidentielle.
Que c’est dans l’est que le Front national enregistre les plus fortes progressions. Et que les meilleurs scores de Jean-Luc Mélenchon sont à chercher en Ile de France et dans l’Ariège.
Quels enseignements tirer de ces scores régionaux ? Sont-ils les marqueurs de grands "bouleversements", comme on l’entend dire un peu vite, ou ne font-ils que confirmer des tendances au long cours ?
- Le vote J-L Mélenchon, une cartographie.
Un commentaire de cette carte :
Mais le succès de la candidature de Jean-Luc Mélenchon a également résidé dans sa capacité à aller chercher des électeurs de gauche au-delà des rangs des seuls sympathisants communistes. La carte est éloquente de ce point de vue, avec un vote Front de gauche supérieur à la moyenne dans de nombreux cantons situés dans les départements socialistes ou radicaux du Sud-Ouest : Landes, Gers, Hautes-Pyrénées, Lot et Haute-Garonne. Le basculement d’une partie de l’électorat socialiste (d’après une enquête Ifop réalisée le jour du premier tour, 12 % des électeurs de Ségolène Royal ont voté pour Jean-Luc Mélenchon) s’est également produit dans la plupart de la région Languedoc-Roussillon, mais aussi dans une bonne partie de l’Ardèche, de la Drôme, des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence. Dans ces régions rurales et/ou de montagne, très sensibles notamment à la question du maintien des services publics (et où, pour ce qui est du Sud-Est, Arnaud Montebourg avait obtenu de bons résultats lors de la primaire socialiste), l’écho significatif rencontré par le discours de Jean-Luc Mélenchon est venu concurrencer celui de François Hollande.
Si le vote Front de gauche est donc assez élevé et homogène dans toute la moitié sud de la France (à l’exception de quelques isolats très ancrés à droite : Cantal-Aubrac, littoral varois, Beaujolais et sud de la Bresse), la situation est beaucoup plus contrastée au nord de la Loire. À l’instar de ce que l’on constatait lors des précédents scrutins pour le Parti communiste, de nombreux territoires ont été très réfractaires au vote Mélenchon. C’est le cas de Champagne-Ardenne et d’une bonne partie de la Meuse, de l’Alsace et de la partie orientale de la Moselle ainsi que des hauts cantons jurassiens. À ces places fortes conservatrices de l’est de la France s’ajoutent d’autres zones de droite traditionnelles (Beauce, Perche, bocages normand et vendéen) dans la partie ouest du pays. Dans cette dernière, le Front de gauche a néanmoins su trouver des points d’appui dans la plupart des grandes agglomérations : à Cherbourg, à Caen, au Mans, à Angers, à Nantes ou bien encore à Rennes. Jean-Luc Mélenchon a obtenu dans ces villes centres et dans leurs immédiates périphéries des scores non négligeables et en tout cas sensiblement supérieurs à ceux enregistrés dans les espaces périurbains et ruraux les entourant. Ces villes de l’Ouest constituent les principales places fortes du PS dans cette région. Le développement du vote Front de gauche s’est donc effectué ici aussi (comme dans le Sud-Ouest et la vallée du Rhône) sur la base d’un électorat majoritairement socialiste (et également d’un apport de voix d’extrême gauche), le Parti communiste étant très peu implanté dans ces villes, à l’exception du Mans. La différence avec la poussée observée dans le Sud réside dans le fait qu’elle s’est principalement concentrée dans l’électorat socialiste urbain alors qu’elle a concerné les cantons ruraux comme les villes dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. Au regard de cette implantation en milieu urbain, certains commentateurs ont d’ailleurs qualifié le vote Mélenchon d’un vote de « bobos ». Le candidat du Front de gauche enregistre certes des résultats élevés dans des territoires hyperurbains où le mode de vie « bourgeois bohème » est très répandu. C’est le cas des arrondissements de l’Est parisien : 17, 4 % dans le 20e arrondissement, 15,7 % dans le 19e, 15,3 % dans le 18e et 14,9 % dans le 10e, le long du canal Saint-Martin. On retrouve le même phénomène dans le 1er arrondissement de Lyon (19,9 %) ou bien encore à Grenoble (15,4 %), ville où les Verts réalisent régulièrement des scores élevés. Les sondages réalisés le jour du vote confirment d’ailleurs que Jean-Luc Mélenchon a su capter une fraction (14 %) du vote écologiste. Mais, à la lecture de la carte, on voit que ces espaces de centre-ville gentrifiés ne représentent somme toute qu’une très faible proportion des zones de force du Front de gauche, au sein desquelles les communes urbaines populaires, à tradition communiste notamment, et les cantons ruraux pèsent bien plus lourd. L’analyse de la sociologie de l’électorat du Front de gauche va d’ailleurs dans le même sens. Jean-Luc Mélenchon a ainsi obtenu 18 % des voix des ouvriers s’étant déplacés aux urnes, 14 % auprès des professions intermédiaires contre 9 % parmi les cadres supérieurs.
Pour compléter cette analyse, nous avons dans un second temps comparé le vote Mélenchon avec le vote en faveur de Robert Hue en 1995 (carte 2). À l’époque, le représentant du Parti communiste avait obtenu 8,6 % des voix et il nous semblait intéressant de pouvoir observer la structuration spatiale de ces deux votes à dix-sept ans d’intervalle. Si, comme on l’a dit précédemment, la géographie du vote Front de gauche, dans ses creux et dans ses pleins, rappelle assez fortement la géographie traditionnelle du vote communiste, un phénomène assez marquant apparaît néanmoins à la lecture de cette seconde carte. Le Front de gauche est aujourd’hui en dessous des niveaux qu’avait atteints Robert Hue en 1995 dans quasiment toutes les zones de force du PC et il progresse en revanche, parfois de manière significative, dans des terres où l’influence communiste était très faible.
Ce mouvement avait déjà été observé lors des dernières élections cantonales où la « plus-value » de l’appellation Front de gauche s’était surtout fait sentir dans des « terres de mission » du PC à forte tradition socialiste. Cette année Jean-Luc Mélenchon améliore très nettement le sc ore du communiste Robert Hue en 1995 dans des terres comme les Hautes-Pyrénées (+ 9,9 points dans le canton de Luz-Saint-Sauveur, + 8,4 dans celui de Campan), l’Ariège (+ 16,5 points dans le canton de Massat, + 9,6 dans celui de La Bastide-de-Sérou, + 9,1 dans celui d’Oust), la Haute-Garonne (+ 9 points dans le canton Montesquieu-Volvestre et + 7,5 dans celui de Cintegabelle, ancien fief de Lionel Jospin). On retrouve la même logique d’une progression dans les terres socialistes de l’Aude (+ 12,7 points dans le canton de Mouthoumet, + 9,1 dans celui de Tuchan), de l’Hérault (+ 8,9 points dans le canton de Claret, + 8,6 dans celui de La Salvetat par exemple) ou bien encore de la Drôme : + 11,7 points dans le canton de La Chapelle-en-Vercors, + 10,3 dans celui du Luc-en-Diois ou + 9,4 dans celui de Die.
À l’inverse, le mouvement d’érosion (par rapport au niveau de 1995) a concerné tous les types de fiefs communistes. C’est le cas dans les campagnes rouges de l’Allier (– 7,8 points dans le canton de Montet, – 6,7 dans celui de Bourbon-l’Archambault), du Lot-et-Garonne (– 6,2 points dans le canton d’Houeillès, – 5,3 dans celui de Meilhan-sur-Garonne) ou des Côtes-d’Armor : – 7,1 points dans le canton de Callac et – 5,6 dans celui de Plestin-les-Grèves par exemple. Les cantons ouvriers du Pas-de-Calais (– 12,1 dans le canton de Douvrin, – 11,9 dans celui de Rouvroy, – 11 dans celui d’Auchel), du Nord (– 9,6 points dans celui de Marchiennes et – 7,1 dans celui de Carnières) ou de la Somme (– 9 points dans le canton de Friville-Escarbotin, – 8,7 dans celui d’Ault) confirment cette tendance. Cette dernière se vérifie, mais de manière plus contrastée, dans la banlieue parisienne : – 12 points à Ivry, – 4,7 à Bobigny, – 4,3 à La Courneuve, mais + 2,1 à Saint-Denis et à Saint-Ouen.
Il sera intéressant d’observer lors des prochaines élections législatives si ces tendances se confirment et si la géographie du vote Front de gauche se structure bien sur les bases de cette carte apparue au soir du premier tour de l’élection présidentielle.
- Un autre point de vue : "Mélenchon ne parle pas à «ceux qui sont dans la dèche""
Janine Mossuz-Lavau est politologue, directrice de recherches CNRS au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po.
www.slate.fr : Comment expliquez-vous que le Front de Gauche n’a pas réussi à capter l’électorat populaire comme il le souhaitait ?
Janine Mossuz-Lavau : "Mélenchon (11,11%) fait moins que ce qu’il espérait. Beaucoup de ceux qui s’apprêtaient à voter pour le leader du Front de gauche au premier tour, pour se faire plaisir, et pour se dire «Je fais un vrai vote de gauche» se sont finalement dit: «Attention, ne jouons pas et votons Hollande même si on n’est pas totalement séduits.»
En même temps, ce vote important montre qu’il y a un mécontentement de fond prêt à s’exprimer par des moyens plus radicaux que l’expression parlementaire: c’est un capital de manifestation de rue, qui peut à la rentrée avoir une suite dans l’occupation de l’espace public, un peu dans la foulée de ce que le candidat du Front de Gauche a initié à la Bastille et à Marseille. Il a capté un potentiel de marcheurs.
Cela dit, il n’a pas réussi à capter comme il l’espérait l’électorat populaire, et plus précisément l’électorat de la précarité, parce qu’il s’est adressé précisément à cette population, mais avec un langage très idéologique, très historico-théorique sur l’histoire de la République et de la Révolution française.
Le langage de tribun qu’il a employé peut être comparé à quelques grands discours de la IIIe République. Or ce n’était pas forcément audible par les milieux de la précarité, ces 8 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 954 euros par mois. Et je ne suis pas sûre que ces gens-là, qui ne se demandent pas comment ils vont finir le mois, mais comment ils vont le commencer, soient sensibles à un discours fait d’histoire, de théorie et d’idéologie.
Ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur dise comment ils vont s’en sortir. Mélenchon s’est adressé à eux dans une forme trop idéologique, et d’une certaine façon trop cultivée du point de vue des références historiques."
Que la France de l’ouest est restée à gauche et celle de l’est, à droite. Que le candidat socialiste réalise deux percées notables, dans le Centre, et en Ile de France. C’est d’ailleurs la première fois à Paris qu’un socialiste est en tête pour une présidentielle.
Que c’est dans l’est que le Front national enregistre les plus fortes progressions. Et que les meilleurs scores de Jean-Luc Mélenchon sont à chercher en Ile de France et dans l’Ariège.
Quels enseignements tirer de ces scores régionaux ? Sont-ils les marqueurs de grands "bouleversements", comme on l’entend dire un peu vite, ou ne font-ils que confirmer des tendances au long cours ?
- Le vote J-L Mélenchon, une cartographie.
Un commentaire de cette carte :
Le vote Front de gauche à la loupe
par Jérôme Fourquet, directeur du Département Opinion et Stratégies d’Entreprise à l’Ifop, publié dans l'Humanité du 30 avril.
Avec 11,1 % des voix et près de 4 millions
d’électeurs s’étant portés sur sa candidature, Jean-Luc Mélenchon a
solidement installé la construction inédite qu’est le Front de gauche
dans le paysage politique français. Les cartes présentées ici,
effectuées à l’échelle cantonale
sur la base des données du ministère
de l’Intérieur, permettent une analyse
fine de la géographie de ce
vote.
Le premier constat qui frappe à la lecture de la carte 1, c’est
qu’elle présente de nombreuses similitudes avec la géographie historique
et traditionnelle du vote communiste. La plupart des zones de force du
candidat du Front de gauche, qui ressortent en rouge foncé sur cette
carte, correspondent à des bastions communistes. C’est le cas dans la
région Nord-Pas-de-Calais, avec le bassin minier, et le Valenciennois,
en Seine-Maritime, en Île-de-France, avec les communes de la banlieue
rouge, dans l’Est, avec la région de Long
wy, mais aussi dans le Gard
ou bien encore avec les fiefs communistes des Bouches-du-Rhône. Les
campagnes irriguées par le communisme rural n’ont pas manqué non plus à
l’appel avec un vote Mélenchon important dans le centre de la Bretagne
(les monts d’Arrée), en Brière, dans le Cher, dans le bocage bourbonnais
dans l’Allier, en Haute-Vienne, dans une partie de la Creuse, de la
Dordogne ou bien encore dans le Lot-et-Garonne.
Les quelques exemples
présentés sur le graphique
suivant illustrent très clairement ce
constat d’un survote important des communes à direction
communiste ou
anciennement communiste en faveur du
candidat du Front de gauche.Mais le succès de la candidature de Jean-Luc Mélenchon a également résidé dans sa capacité à aller chercher des électeurs de gauche au-delà des rangs des seuls sympathisants communistes. La carte est éloquente de ce point de vue, avec un vote Front de gauche supérieur à la moyenne dans de nombreux cantons situés dans les départements socialistes ou radicaux du Sud-Ouest : Landes, Gers, Hautes-Pyrénées, Lot et Haute-Garonne. Le basculement d’une partie de l’électorat socialiste (d’après une enquête Ifop réalisée le jour du premier tour, 12 % des électeurs de Ségolène Royal ont voté pour Jean-Luc Mélenchon) s’est également produit dans la plupart de la région Languedoc-Roussillon, mais aussi dans une bonne partie de l’Ardèche, de la Drôme, des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence. Dans ces régions rurales et/ou de montagne, très sensibles notamment à la question du maintien des services publics (et où, pour ce qui est du Sud-Est, Arnaud Montebourg avait obtenu de bons résultats lors de la primaire socialiste), l’écho significatif rencontré par le discours de Jean-Luc Mélenchon est venu concurrencer celui de François Hollande.
Si le vote Front de gauche est donc assez élevé et homogène dans toute la moitié sud de la France (à l’exception de quelques isolats très ancrés à droite : Cantal-Aubrac, littoral varois, Beaujolais et sud de la Bresse), la situation est beaucoup plus contrastée au nord de la Loire. À l’instar de ce que l’on constatait lors des précédents scrutins pour le Parti communiste, de nombreux territoires ont été très réfractaires au vote Mélenchon. C’est le cas de Champagne-Ardenne et d’une bonne partie de la Meuse, de l’Alsace et de la partie orientale de la Moselle ainsi que des hauts cantons jurassiens. À ces places fortes conservatrices de l’est de la France s’ajoutent d’autres zones de droite traditionnelles (Beauce, Perche, bocages normand et vendéen) dans la partie ouest du pays. Dans cette dernière, le Front de gauche a néanmoins su trouver des points d’appui dans la plupart des grandes agglomérations : à Cherbourg, à Caen, au Mans, à Angers, à Nantes ou bien encore à Rennes. Jean-Luc Mélenchon a obtenu dans ces villes centres et dans leurs immédiates périphéries des scores non négligeables et en tout cas sensiblement supérieurs à ceux enregistrés dans les espaces périurbains et ruraux les entourant. Ces villes de l’Ouest constituent les principales places fortes du PS dans cette région. Le développement du vote Front de gauche s’est donc effectué ici aussi (comme dans le Sud-Ouest et la vallée du Rhône) sur la base d’un électorat majoritairement socialiste (et également d’un apport de voix d’extrême gauche), le Parti communiste étant très peu implanté dans ces villes, à l’exception du Mans. La différence avec la poussée observée dans le Sud réside dans le fait qu’elle s’est principalement concentrée dans l’électorat socialiste urbain alors qu’elle a concerné les cantons ruraux comme les villes dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. Au regard de cette implantation en milieu urbain, certains commentateurs ont d’ailleurs qualifié le vote Mélenchon d’un vote de « bobos ». Le candidat du Front de gauche enregistre certes des résultats élevés dans des territoires hyperurbains où le mode de vie « bourgeois bohème » est très répandu. C’est le cas des arrondissements de l’Est parisien : 17, 4 % dans le 20e arrondissement, 15,7 % dans le 19e, 15,3 % dans le 18e et 14,9 % dans le 10e, le long du canal Saint-Martin. On retrouve le même phénomène dans le 1er arrondissement de Lyon (19,9 %) ou bien encore à Grenoble (15,4 %), ville où les Verts réalisent régulièrement des scores élevés. Les sondages réalisés le jour du vote confirment d’ailleurs que Jean-Luc Mélenchon a su capter une fraction (14 %) du vote écologiste. Mais, à la lecture de la carte, on voit que ces espaces de centre-ville gentrifiés ne représentent somme toute qu’une très faible proportion des zones de force du Front de gauche, au sein desquelles les communes urbaines populaires, à tradition communiste notamment, et les cantons ruraux pèsent bien plus lourd. L’analyse de la sociologie de l’électorat du Front de gauche va d’ailleurs dans le même sens. Jean-Luc Mélenchon a ainsi obtenu 18 % des voix des ouvriers s’étant déplacés aux urnes, 14 % auprès des professions intermédiaires contre 9 % parmi les cadres supérieurs.
Pour compléter cette analyse, nous avons dans un second temps comparé le vote Mélenchon avec le vote en faveur de Robert Hue en 1995 (carte 2). À l’époque, le représentant du Parti communiste avait obtenu 8,6 % des voix et il nous semblait intéressant de pouvoir observer la structuration spatiale de ces deux votes à dix-sept ans d’intervalle. Si, comme on l’a dit précédemment, la géographie du vote Front de gauche, dans ses creux et dans ses pleins, rappelle assez fortement la géographie traditionnelle du vote communiste, un phénomène assez marquant apparaît néanmoins à la lecture de cette seconde carte. Le Front de gauche est aujourd’hui en dessous des niveaux qu’avait atteints Robert Hue en 1995 dans quasiment toutes les zones de force du PC et il progresse en revanche, parfois de manière significative, dans des terres où l’influence communiste était très faible.
Ce mouvement avait déjà été observé lors des dernières élections cantonales où la « plus-value » de l’appellation Front de gauche s’était surtout fait sentir dans des « terres de mission » du PC à forte tradition socialiste. Cette année Jean-Luc Mélenchon améliore très nettement le sc ore du communiste Robert Hue en 1995 dans des terres comme les Hautes-Pyrénées (+ 9,9 points dans le canton de Luz-Saint-Sauveur, + 8,4 dans celui de Campan), l’Ariège (+ 16,5 points dans le canton de Massat, + 9,6 dans celui de La Bastide-de-Sérou, + 9,1 dans celui d’Oust), la Haute-Garonne (+ 9 points dans le canton Montesquieu-Volvestre et + 7,5 dans celui de Cintegabelle, ancien fief de Lionel Jospin). On retrouve la même logique d’une progression dans les terres socialistes de l’Aude (+ 12,7 points dans le canton de Mouthoumet, + 9,1 dans celui de Tuchan), de l’Hérault (+ 8,9 points dans le canton de Claret, + 8,6 dans celui de La Salvetat par exemple) ou bien encore de la Drôme : + 11,7 points dans le canton de La Chapelle-en-Vercors, + 10,3 dans celui du Luc-en-Diois ou + 9,4 dans celui de Die.
À l’inverse, le mouvement d’érosion (par rapport au niveau de 1995) a concerné tous les types de fiefs communistes. C’est le cas dans les campagnes rouges de l’Allier (– 7,8 points dans le canton de Montet, – 6,7 dans celui de Bourbon-l’Archambault), du Lot-et-Garonne (– 6,2 points dans le canton d’Houeillès, – 5,3 dans celui de Meilhan-sur-Garonne) ou des Côtes-d’Armor : – 7,1 points dans le canton de Callac et – 5,6 dans celui de Plestin-les-Grèves par exemple. Les cantons ouvriers du Pas-de-Calais (– 12,1 dans le canton de Douvrin, – 11,9 dans celui de Rouvroy, – 11 dans celui d’Auchel), du Nord (– 9,6 points dans celui de Marchiennes et – 7,1 dans celui de Carnières) ou de la Somme (– 9 points dans le canton de Friville-Escarbotin, – 8,7 dans celui d’Ault) confirment cette tendance. Cette dernière se vérifie, mais de manière plus contrastée, dans la banlieue parisienne : – 12 points à Ivry, – 4,7 à Bobigny, – 4,3 à La Courneuve, mais + 2,1 à Saint-Denis et à Saint-Ouen.
Il sera intéressant d’observer lors des prochaines élections législatives si ces tendances se confirment et si la géographie du vote Front de gauche se structure bien sur les bases de cette carte apparue au soir du premier tour de l’élection présidentielle.
- Un autre point de vue : "Mélenchon ne parle pas à «ceux qui sont dans la dèche""
Janine Mossuz-Lavau est politologue, directrice de recherches CNRS au Cevipof, Centre de recherches politiques de Sciences Po.
www.slate.fr : Comment expliquez-vous que le Front de Gauche n’a pas réussi à capter l’électorat populaire comme il le souhaitait ?
Janine Mossuz-Lavau : "Mélenchon (11,11%) fait moins que ce qu’il espérait. Beaucoup de ceux qui s’apprêtaient à voter pour le leader du Front de gauche au premier tour, pour se faire plaisir, et pour se dire «Je fais un vrai vote de gauche» se sont finalement dit: «Attention, ne jouons pas et votons Hollande même si on n’est pas totalement séduits.»
En même temps, ce vote important montre qu’il y a un mécontentement de fond prêt à s’exprimer par des moyens plus radicaux que l’expression parlementaire: c’est un capital de manifestation de rue, qui peut à la rentrée avoir une suite dans l’occupation de l’espace public, un peu dans la foulée de ce que le candidat du Front de Gauche a initié à la Bastille et à Marseille. Il a capté un potentiel de marcheurs.
Cela dit, il n’a pas réussi à capter comme il l’espérait l’électorat populaire, et plus précisément l’électorat de la précarité, parce qu’il s’est adressé précisément à cette population, mais avec un langage très idéologique, très historico-théorique sur l’histoire de la République et de la Révolution française.
Le langage de tribun qu’il a employé peut être comparé à quelques grands discours de la IIIe République. Or ce n’était pas forcément audible par les milieux de la précarité, ces 8 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 954 euros par mois. Et je ne suis pas sûre que ces gens-là, qui ne se demandent pas comment ils vont finir le mois, mais comment ils vont le commencer, soient sensibles à un discours fait d’histoire, de théorie et d’idéologie.
Ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur dise comment ils vont s’en sortir. Mélenchon s’est adressé à eux dans une forme trop idéologique, et d’une certaine façon trop cultivée du point de vue des références historiques."
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