La crise et la zone euro : rencontre avec l’économiste Jacques Sapir

Le 13 mars, le LEM (Lieu d’étude du mouvement des idées et des connaissances PCF) recevait l’économiste Jacques Sapir sur l’enjeu européen. 


Échos de sa présentation et du débat qui suivit.



Jacques Sapir : Si les sommes extraordinaires réinjectées dans le système bancaire par la BCE ont eu pour effet de détendre les taux d’intérêt, ces derniers ne sont pas pour autant redescendus à leur niveau d’avant la crise, mais à celui de l’été 2011.
Il ne faut pas s’y tromper: la Grèce est bel et bien en défaut et, si le mot n’est jamais prononcé, les banques l’ont intégré. Ce défaut organisé n’a rien réglé des problèmes de fond.



Les auditions du Lem - Jacques Sapir - La crise... par LEMpcf



Selon J. Sapir, la contraction du PIB va passer de 5 % fin 2011 à 8 ou 9 % en avril ou mai. L’économie grecque, en partie arrêtée, en partie émigrée, ne permet pas de compter sur les recettes fiscales ; l’austérité, en brisant la consommation, appauvrit un Etat qui ne peut, sous la pression de la Troïka, que renforcer l’austérité. L’intervention de la BCE, en pratique, ne fait que profiter aux banques ; si cela a pu ralentir la crise, rien n’a été solutionné.
Après la Grèce, l’Espagne, le Portugal puis l’Italie sont menacés. L’Espagne a des arriérés de paiement. Ou elle les consolide, et le déficit budgétaire passe de 6 à 14-15 % du PIB, ou elle ne les consolide pas. Dans cette dernière hypothèse, les entreprises non payées par l’Etat ne payeront pas leurs fournisseurs, qui feront faillite. Dès juin ou juillet, les recettes fiscales peuvent s’effondrer et avec elles l’économie du pays.
C’est le même sort qui attend le Portugal : le déficit portugais est plus important que l’espagnol, et les deux économies sont interdépendantes. Si l’Espagne tombe, le Portugal suit, selon J.Sapir. Le sort de l’Italie dépend  des taux d’intérêt : avec une dette de 126 % du PIB, un taux de 5 % revient à payer 6 % du PIB par an. La crise ne fait que souligner les défaillances structurelles de la zone
euro. Au premier rang, il faut souligner la divergence parfois très forte des compétitivités de la zone ; cela s’accentue mécaniquement s’il n’y a pas de transferts budgétaires d’un pays à l’autre. Or, ces transferts ne sont pas à l’ordre du jour.
D’une manière générale, l’économiste souligne que les pays de la zone euro ont une croissance plus faible que les autres et, au sein même de la zone, ceux qui s’en sortent le mieux sont aussi ceux qui contournent les règles (soutien économique aux entreprises via des niches fiscales...). Mais leur croissance reste faible.
L’austérité généralisée mène à la récession de la zone euro. L’ Allemagne, pays dont l’économie est plus solide, n’est pas prête à se sacrifier pour sauver l’ensemble de la région.
Dans ce contexte, pour Sapir, la zone euro ne peut qu’éclater : la Grèce, dit-il, va abandonner l’euro probablement entre l’été prochain et fin 2013. La crise, mais aussi la perte de crédibilité de la zone vont encore fragiliser les autres pays. Le risque est le phénomène de contagion : après la Grèce, ce pourrait être le tour du Portugal, puis de l’Espagne. Pour Jacques Sapir, les choix sont limités : une récession a priori illimitée et sans garantie de résultat ; le démantèlement
désordonné; le démantèlement ordonné. Ce dernier choix est, selon lui, le seul qui permettrait de sauvegarder quelques acquis, dont un fondamental : la coordination monétaire. L’explosion de la zone euro est inéluctable.
La seule question qui se pose est de savoir, dit-il, si nous parviendrons à conserver des accords permettant d’échapper à une guerre des monnaies. Et le seul moyen d’y échapper, c’est une dissolution ordonnée.

Des réponses qui font débat

Si le diagnostic de Jacques Sapir fait consensus, les réponses font débat. Pour Frédéric Boccara et Yves Dimicoli, il importe de revoir en profondeur le rôle des institutions européennes, en particulier la BCE, pour corriger les défaillances structurelles de la zone. Jacques Sapir considère que ces réformes, si elles sont justes sur le fond, ne sont pas applicables assez rapidement : le laps de temps très court – quelques mois – nécessite une réaction très rapide. A quoi il a été objecté que la sortie concertée de la zone n’était pas nécessairement plus rapide : les accords, les négociations à mener pour sauvegarder la coordination monétaire et préserver les pays de la spéculation sur les monnaies sont trop complexes pour permettre une action très réactive sans négliger qu’une sortie de l’euro pourrait alimenter des nationalismes. En outre, se pose la question de la légitimité de la prise de décision : dans un cas, elle reposerait sur un ensemble élitiste (experts, dirigeants politiques) ; dans l’autre, elle serait le fruit d’un rapport de force dont le peuple serait partie prenante.
Dans cette configuration, les idées que le Front de gauche porte au débat, en trouvant une résonance populaire, peuvent permettre non seulement au peuple d’être le moteur d’une modification nécessaire du système européen, mais encore de se réapproprier sa construction.

Nina Léger, collaboratrice au LEM

Extrait de "CommunisteS" du mercredi 28 mars, supplément à l'Humanité.

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