Par Mireille Schurch sénatrice PCF de l’Allier, membre de la commission de l’économie,
du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat.
Aujourd’hui la mondialisation met en concurrence, à
l'échelle planétaire, non seulement toutes les productions nationales, de biens
ou de services, toutes les activités humaines, mais aussi les États et leurs
territoires.
Toutefois, le discours sur la mondialisation s’est construit
en résonance internationale alors que, dans le même temps, émergeait une
interrogation sur la pertinence des régions de notre territoire national.
Ainsi, l’accent a souvent été mis sur la fin du territoire réel au profit d’un nouveau
territoire virtuel, interconnecté, moderne ou sur le développement du «
nomadisme » des entreprises et ces conséquences sociales dans les
territoires(1). Dans ces deux cas c’est l’impact de la mondialisation entendue
comme l’accélération et le renforcement de la circulation des capitaux et des
marchandises et des services sur les territoires qui sont envisagés. Sans nier
la pertinence de cette approche, il semble opportun d’analyser l’impact de la
mondialisation et donc des possibles vertus d’une démondialisation en se
positionnant sur un autre terrain, celui de l’application de la rationalité
économique à tous les champs de l’action publique, rationalité qui a entraîné
une nouvelle perception des territoires et a légitimé un certain désengagement
de l’État.
L’effet de la mondialisation sur/dans les territoires.
- « Il n'y a pas de territoires en crise, il y a seulement des territoires sans projet », 1997, déclaration de Charles Pasqua, alors ministre de l'Aménagement du territoire.
Les réformes successives de notre organisation
administrative ont poussé à une fragmentation du territoire. La péréquation, l’égalité, l’unité et
l’aménagement équilibré du territoire ont laissé le pas à d’autres terminologies
: compétitivité, attractivité, métropolisation, pôle d’excellence.
Ainsi, la DATAR, Délégation à l’aménagement du territoire et
à l’action régionale, dont la création remonte à 1963 sera renommée Délégation
interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires
(DIACT) entre 2005 et 2009. Les mots ayant un sens cette évolution n’était pas anodine, « elle a pu donner le sentiment qu’une nouvelle politique
d’aménagement du territoire était en gestation, privilégiant désormais les
logiques de concentration économique au détriment d’un équilibre traditionnel
et rassurant entre l’exercice de la solidarité nationale et le soutien aux
dynamiques territoriales dans leur diversité.(2) ». Bien que la DATAR ait
retrouvé son nom d’origine, le sentiment demeure que l’aménagement du territoire
"à la française" poursuivant l’objectif d’un équilibre des
territoires fondé sur le principe d’égalité a vécu. En effet l’actuelle DATAR
conserve les missions de la DIACT : « accompagner les mutations économiques
en privilégiant une approche offensive de la compétitivité ».
Le constat est sans équivoque, « la géographie doit se
mettre au service de la compétitivité (3) ». D’un objectif affiché d’équité
nous sommes passés à un objectif d’efficacité reposant sur la concentration et
la spécialisation d’activités sur un territoire. Cela a entraîné tant dans le
discours politique que dans l’action publique une dévalorisation des logiques
territoriales traditionnelles au profit de logiques managériales qui renforcent
les déséquilibres de développement territorial, au détriment des territoires
moins métropolitains : villes moyennes et petites, monde rural, régions
"périphériques".
La mondialisation et le libéralisme économique, la
délocalisation rapide des activités économiques, la compétition ont eu ce premier
impact sur les territoires : Considérer l’aménagement du territoire comme un
outil dépassé. Ainsi la réforme des collectivités territoriales de 2010, en
créant métropoles et pôles métropolitains aux pouvoirs étendus, met clairement
en concurrence les territoires, au détriment des territoires ruraux. Si
l'on accepte des États inscrits dans une mondialisation toujours plus poussée,
alors leurs décisions ne consisteront plus qu'à vouloir attirer les entreprises
et l'épargne mondiale au détriment de la préférence démocratique pour la
protection des emplois, des revenus, de la stabilité financière, de
l'État-providence, etc. C'est la tentation d'un monde ultralibéral telle
qu'elle s'est exprimée à partir des années 1990 et jusqu'au début des années
2000 (4). » Cette tentation s’est traduite par une remise en cause des services
publics et par l’application des théories du nouveau management public à
l’action de l’État, la RGPP, qui toutes deux ont un impact sur les territoires.
La logique de rentabilité qui est au cœur de
l’hypermondialisation que nous connaissons aujourd’hui a remis fondamentalement
en cause le service public et le principe d'égalité d'accès qui est au cœur de
cette notion. Le dogme du moins d’État a conduit à un transfert progressif à la
sphère privée de ses missions, mais surtout a laissé de nouveaux espaces aux
marchés financiers. Il en est ainsi, et ce n’est qu’exemple, de la
privatisation des autoroutes qui au-delà de la méconnaissance de l’intérêt
général, social, économique ou environnementale, a diminué les recettes de
l’État et de son agence de financement des infrastructures de transport de
France (AFITF) affectant le financement de la réalisation ou l’aménagement
d’infrastructures de transport essentielles aux territoires. En outre, il y a eu une décentralisation et
une régionalisation de la gestion de services publics, tels que les
infrastructures de transports, l'éducation, la formation, l’aide à l'insertion
sociale des chômeurs qui ont fragilisé
l’offre de service public. En effet, si ce mouvement n’est pas absolument
critiquable en soi, il ne s’est pas accompagné des moyens nécessaires à la
pérennité de ces services publics et a laissé les collectivités locales dans
une situation intenable. Les transferts de compétences vers les échelons
décentralisés n’ont pas été justement compensés.
Dès lors, pour pallier le désengagement de l’État, les
collectivités territoriales ont parfois dû avoir recours aux marchés pour
financer les politiques des territoires. Plusieurs se retrouvent aujourd’hui
victimes de produits spéculatifs en ayant contracté des emprunts à taux
variables indexés sur l’évolution des parités de change entre monnaies. Elles
ont pris des risques qui ont entraîné un endettement préoccupant des villes et
des petites communes. Dans le même temps, l’État s’est fragmenté en une
multitude d’opérateurs et d’établissements publics qui transforment ses
relations avec les territoires. La RGPP, dont l’argument budgétaire constitue
le critère unique, a entraîné la fermeture de services, l’amenuisement des
subventions, le dépérissement des fonctions d’assistance technique que
remplissaient naguère les sous-préfectures, les DDAF ou les DDE et a placé les
collectivités territoriales dans une situation d’insécurité financière et
juridique ne leur permettant plus d’assurer leurs missions d’intérêt
général.Outre le renforcement d’un sentiment d’éloignement à travers le parti
pris de régionalisation qui l’anime, la révision générale des politiques
publiques a surtout profondément dégradé le service public d’État d’ingénierie
au service des collectivités locales.
Une nécessaire réflexion autour de la notion de démondialisation
- « L'heure est venue de substituer aux dogmes du laisser-faire, laisser-passer, le statut économique de l'avenir, celui de l'État fort contre l'argent fort (5) » Pierre Mendès France avril 1929, six mois avant le krach de Wall Street.
Le capitalisme actuel, qui ne recherche que le profit
déconnecté de toute réalité productive, ne peut donner naissance à un politique
industrielle ou à une stratégie d'aménagement équilibré du territoire (6). Face
à cette incapacité des marchés la démondialisation pourrait être considéré
comme la remise en cause de la seule rationalité économique autrement dit de
l’économie comme science dominante. Cela permettrait une rupture avec le
discours et les actions actuelles légitimés par la seule rationalité économique
et permettrait « de redonner à la sphère publique les moyens de redevenir un
acteur économique ; de refonder l’administration et l’action publique pour
répondre aux besoins actuels et futurs, et ce même dans une économie
mondialisée (7) ». Cela permettrait de relocaliser les systèmes productifs,
pour produire au plus près des lieux de consommation, de réduire les flux de
marchandises et de capitaux. Cela permettrait une mise en valeur et un soutien
aux ressources non délocalisables. La démondialisation permettrait aussi de
soustraire le financement des dépenses de solidarité au jeu du marché. Il
s’agirait de créer un pôle financier public pour soutenir l’appareil productif
et investir dans les territoires. Ce serait la reconnaissance que le
financement des collectivités territoriales relève d’une mission de service
public.
Nous avons la mondialisation que l’on construit, il est
temps aujourd’hui de changer de trajectoire. C’est en ce sens qu’il faut penser
la démondialisation, non comme un retour en arrière mais comme une nouvelle
direction.
Notes :
1) Pagès Dominique, De la fin des territoires à l'ambiguïté
de leur réinvention, Quaderni. N. 34, Hiver 1997-98. L'incertitude des
territoires. pp. 43-56.
2) J.-B. Albertini, De la DATAR à la nouvelle DIACT : la
place des questions économiques dans la politique d'aménagement du territoire,
Revue française d'administration publique, 2006/3 no 119, p. 415-426. DOI : 10.3917/rfap.119.0415
3) G. Duranton, P. Martin, T. Mayer, F. Mayneris, Les pôles
de compétitivités, que peut-on en attendre ? , CEPREMAP, Les éditions de la rue
d’Ulm, 2007.
4) Christian Chavagneux, La tentation de la
“démondialisation”, Alternatives économiques 6/2011 (n°303), p. 56.
5) Pierre Mendès France, œuvres complètes, tome I,
Gallimard, Paris, 1984, p. 104.
6) Halimi, Déréguler à tout prix, Manière de voir, no. 102
lundi 1 décembre 2008, p. 22
7) Quelles missions et quelle organisation de l’État dans les
territoires, Conseil économique, social et environnemental, novembre 2011.
PCF La Revue du Projet, n°12, décembre
2011
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