Michael Lowy est un philosophe et sociologue brésilien qui vit en France depuis 1969. Dans ce livre il définit "l’écosocialisme" comme un courant politique fondé sur une constatation essentielle : « la sauvegarde des équilibres écologiques de la planète, la préservation d’un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – sont incompatibles avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste ».
A la question : les écologistes accusent Marx et Engels de productivisme. Cette accusation est-elle justifiée ? … l’auteur répond résolument non, « dans la mesure, explique-t-il, où personne n’a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production, l’accumulation du capital, des richesses et des marchandises comme un but en soi ».
Il souligne que « les "décideurs" de la planète – milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, parlementaires et autres experts – motivés par la rationalité bornée et myope du système, obsédés par les impératifs de croissance et d’expansion, par la lutte pour les parts de marché, par la compétitivité, les marges de profit et la rentabilité, semblent obéir au principe proclamé par Louis XV : "Après moi, le déluge". »
Pour y faire face, le défi est d’associer deux démarches complémentaires, de combiner d’une part le combat pour l’intérêt écologique de classe de la majorité, c’est-à-dire des non-propriétaires de capital, et d’autre part les luttes politiques des minorités actives pour un changement culturel radical. Dit autrement, « réussir – sans cacher les divergences ni les désaccords inévitables – une composition politique qui rassemblerait tous ceux qui savent qu’une planète et une humanité vivables sont contradictoires avec le capitalisme et le productivisme, et qui cherchent le chemin pour sortir de notre système inhumain ».
Pour sortir des impasses de l’écologisme, un "écosocialisme" aux couleurs de la gauche
Pour l’auteur, « les propositions avancées par les courants dominants de l’écologie politique européenne ont été jusqu’à présent très insuffisantes ou aboutissent à des impasses. Leur principale faiblesse réside dans leur ignorance de la connexion entre productivisme et capitalisme ». Pour lui, « les écologistes se trompent s’ils pensent pouvoir faire l’économie de la critique marxienne du capitalisme. Une écologie qui ne se rend pas compte du rapport entre productivisme et logique de profit est vouée à l’échec – ou pire, à la récupération par le système ».
Il ne s’agit donc pas seulement d’opposer les "mauvais capitalistes écocides" aux "bons capitalistes verts", car « c’est le système lui-même, fondé sur l’impitoyable compétition, les exigences de rentabilité, la course au profit rapide, qui est destructeur des équilibres naturels » […] « Le prétendu capitalisme vert n’est qu’une manœuvre publicitaire, une étiquette visant à vendre une marchandise, ou, dans le meilleur des cas, une initiative locale équivalant à une goutte d’eau sur le sol aride capitaliste ».
L’"écosocialisme", quant à lui, « est un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du marxisme tout en le débarrassant de ses scories productivistes ». Son objectif est celui d’un socialisme écologique, « d’une société écologiquement rationnelle fondée sur la contrôle démocratique, l’égalité sociale et la prédominance de la valeur d’usage ».
Pour M.Löwy, la société porteuse d’un tel projet suppose « la propriété collective des moyens de production, une planification démocratique qui permette à la société de définir les buts de la production et des investissements, et une nouvelle structure technologique des forces productives. Autrement dit, une transformation révolutionnaire au niveau social et économique ».
Le combat pour ce qui doit être une nouvelle civilisation, à la fois plus humaine et plus respectueuse de la nature, passera par une mobilisation de l’ensemble des mouvements sociaux émancipateurs qu’il faut associer. Il cite J.Riechmann à ce propos ; « ce projet ne peut renoncer à aucune des couleurs de l’arc en ciel : ni le rouge du mouvement ouvrier anticapitaliste et égalitaire, ni le violet des luttes pour la libération de la femme, ni le blanc des mouvements non violents pour la paix, ni le noir de l’anti-autoritarisme des libertaires et des anarchistes, et encore moins le vert de la lutte pour une humanité juste et libre sur une planète habitable ».
Il est fondé sur un pari, qui était déjà celui de Marx, souligne l’auteur : « la prédominance, dans une société sans classes, de l’"être" sur l’"avoir", c’est-à-dire la réalisation personnelle dans les activités culturelles, ludiques, érotiques, sportives, artistiques, politiques, plutôt que dans l’accumulation de biens et de produits ».
En finir avec la fable du "productivisme" marxiste
A la question : les écologistes accusent Marx et Engels de productivisme. Cette accusation est-elle justifiée ? … l’auteur répond résolument non, « dans la mesure, explique-t-il, où personne n’a autant dénoncé que Marx la logique capitaliste de production, l’accumulation du capital, des richesses et des marchandises comme un but en soi ».
Preuves à l’appui, il revisite avec précision les textes fondateurs du marxisme - depuis les Manuscrits de 1845 jusqu’au Capital - ainsi que des nombreux continuateurs du XXème siècle. Il apporte ainsi un démenti formel à tous ceux qui répètent - sans avoir, à l’évidence, pris la peine de le lire, un cliché devenu lieu commun sans fondement - la fable d’un "productivisme" de principe chez Marx. Par exemple et entre autres :
Dès les Manuscrits de 1844, Marx définit le communisme comme un humanisme qui est en même temps un "naturalisme achevé", qu’il conçoit comme « la vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature ». Grâce à l’abolition positive de la propriété privée, la société humaine deviendra « l’achèvement de l’unité essentielle de l’homme avec la nature, le naturalisme accompli de l’homme et l’humanisme accompli de la nature ».
Dans L’Idéologie allemande (1845-1846), Marx souligne que « dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent plus être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructives ».
Dans Le Capital, enfin, il rappelle que « même une société tout entière, enfin toutes les sociétés contemporaines prises ensembles, ne sont pas propriétaires de la terre. Ils n’en sont que les usufruitiers, et ils doivent, comme de bons pères de familles, la laisser en état amélioré aux futures générations ».
Marx ne définit donc ainsi pas le socialisme comme la domination ou le contrôle humain sur la nature, mais plutôt comme la maîtrise des échanges matériels avec la nature. « La seule liberté possible, écrit-il encore dans Le Capital, est la régulation rationnelle, par l’être humain socialisé, par les producteurs associés, de leur métabolisme avec la nature, qu’ils contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par lui comme un puissance aveugle ».
Pour M.Löwy, l’association ainsi faite par Marx entre l’exploitation du prolétariat et celle de la terre initie bien une réflexion sur l’articulation entre lutte de classes et défense de l’environnement, dans un combat commun contre la domination du capital. Selon lui, une écologie qui aujourd’hui ignore ou méprise le marxisme est condamnée à n’être qu’un correctif des "excès" du productivisme capitaliste.
Le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre du Brésil
M.Löwy cite, au cours de sa démonstration, le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST) du Brésil d’aujourd’hui comme un exemple frappant d’une intégration "organique" des questions écologiques. Avec ses associés du réseau international Via Campesina, il est l’un des piliers du Forum social mondial.
« Hostile, depuis son origine, au capitalisme et à son expression rurale, l’agrobusiness, le MST a intégré de plus en plus la dimension écologique dans son combat pour une réforme agraire radicale et pour un autre modèle d’agriculture. Lors de la célébration du vingtième anniversaire du mouvement à Rio en 2005, le document des organisateurs précisait : notre rêve, c’est "un monde égalitaire, qui socialise ses richesses matérielles et culturelles" une chemin nouveau pour la société, "fondé sur l’égalité entre les êtres humains et les principes écologiques". Cela se traduit dans l’action – souvent en marge de la "légalité" – contre le pouvoir des multinationales – Monsato, Syngenta notamment – qui cherchent à contrôler totalement les semences et à soumettre les paysans à leur domination, à leur faire pratiquer une agriculture contraire à leur éthique : coûteuse en produits chimiques, elle contamine les champs. Ainsi, grâce à une occupation sauvage le MST a obtenu en 2006 l’expropriation d’un champ de maïs et soja transgéniques de Syngenta Seeds dans l’Etat du Parana, qui est devenu un campement paysan "Terre Libre". Le MST n’a pas hésité à affronter avec les multinationales de la pâte à papier qui créent, sur des centaines d’hectares, les "déserts verts", des forêts d’eucalyptus (monoculture) qui assèchent toutes les sources d’eau et détruisent toute diversité biologique. Ces combats sont inséparables, pour les cadres et les activistes du MST, d’une perspective anticapitaliste radicale ».
Présentation de l’éditeur
Qu’est-ce donc l’écosocialisme ? Il s’agit d’un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du marxisme, tout en le débarrassant de ses scories productivistes. Pour les écosocialistes, la logique du marché et du profit, de même que celle de l’autoritarisme bureaucratique de feu le « socialisme réel », sont incompatibles avec les exigences de sauvegarde de l’environnement naturel. Ils désignent les impasses actuelles de l’écologie politique, qui se veut réformiste ou régulatrice du système.
Les écosocialistes dénoncent cette insuffisance et entendent réintroduire un rapport de force politique : les travailleurs et leurs organisations sont une force essentielle pour toute transformation radicale du système. L’écosocialisme s’est développé principalement au cours des trente dernières années, grâce aux travaux de penseurs de la taille de Manuel Sacristan, Raymond Williams, Rudolf Bahro, André Gorz, mais aussi Joel Kovel (États-Unis), Jean-Paul Deléage (France) ou Otto Wolf (Allemagne).
Ce courant est loin d’être politiquement homogène, mais la plupart de ses représentants partage plusieurs thèmes communs. Michaël Löwy nous présente les idées de ceux qui souhaitent que « la valeur d’échange soit subordonnée à la valeur d’usage », et que « la production soit organisée en fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement ».
M.Löwy, « Ecosocialisme, l’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste », Ed. Mille et une nuits, Coll. Les petits libres n°77, 238 p., 5€
M.Löwy, « Ecosocialisme, l’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste », Ed. Mille et une nuits, Coll. Les petits libres n°77, 238 p., 5€
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