Le discours "environnemental" : une approche géographique critique au Brésil

Dans un chapitre d’un livre brésilien récent, Arlete Moysés Rodrigues s’interroge sur « la matrice discursive sur le "milieu ambiant" », qui est la formule brésilienne pour parler d’environnement.
 Elle souligne que ce thème de l’environnement - ou du "développement durable" dirions-nous plutôt en français - figure non seulement dans les agendas gouvernementaux, dans les programmes et projets de recherche, dans les cours universitaires et les disciplines académiques, mais également dans les informations, que ce soit à la radio, la télévision ou dans les journaux. Mais, dans les travaux de géographie urbaine qu’elle analyse, « on ne rencontre cependant pas une nouvelle armature théorique sur le sujet qui rende possible la compréhension de la production et de la reproduction de l’espace urbain dans sa totalité ».
Si les problèmes de gaspillage des richesses naturelles ne sont pas nouveaux, un bref historique du sujet depuis les années 1990, montre l’apparition d’un nouveau paradigme qui affirme depuis que l’environnement est devenu un bien commun de l’humanité, qui doit être préservé pour les générations futures. Mais, « comment peut-on dire qu’un nouveau paradigme considère les richesses naturelles comme un bien commun, alors que prédomine la propriété privée de la terre et des moyens de production, la concentration des richesses et l’exploitation de l’homme par l’homme ? » Pour elle, affirmer qu’il y aurait changement de paradigme du fait d’attribuer à la nature cette condition de bien commun, est une faiblesse qui s’oppose à une vraie compréhension de la réalité.
Avec la crise environnementale, il s’agit pourtant d’une crise découlant du mode de production capitaliste qui, pour continuer malgré sa crise, a besoin de maintenir ses conditions de reproduction et de fonctionnement. Dans ces conditions, l’environnement devient le thème qui obscurcit la réalité de la crise. Selon l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, « ils fabriquent le langage brumeux du sacrifice de tous, dans des accords internationaux que personne ne remplit. Cette cataracte de parole, ne se déchaîne pas gratuitement » (« Somos todos culpaveis pela ruina do planeta ? ». Le philosophe  Slavoj Žižeck souligne, quant à lui, que « pour que la logique de légitimation soit efficace, la relation de domination doit restée occultée ». Comprenons donc que l’idéologie du "développement durable" s’impose sans que l’essence de la crise soit en rien explicitée.
De sorte que, pour l’auteure, « les nouvelles matrices discursives, en même temps qu’elles occultent les véritables responsables des problèmes -  ceux qui s’approprient et sont propriétaires des moyens de production, de la terre, des richesses – attribuent la responsabilité aux consommateurs et aux pauvres qui occupent les plus mauvaises terres, et n’intéressent pas le secteur immobilier, obscurcissant l’essence de l’inégalité et de la ségrégation sociospatiale, occultant l’importance du territoire, de l’espace de la société ». Alors que la production est concrétisée dans l’espace géographique, la consommation est renvoyé à l’individu. Or, « comment peut-il être responsable de la dilapidation environnementale, si ce n’est pas lui qui choisit ce qui est produit ?  Car il n’y a pas de référence au commerce, aux lieux d’échanges, mais au consommateur. Les travailleurs sont transformés en "ressources humaines", les richesses naturelles en "ressources naturelles", soit en marchandises du monde globalisé, d’innovations technologiques et de flux financiers.
Comment, dès lors, comprendre cette totalité, quand sont ainsi exclus l’espace géographique, la production, la circulation, le commerce, les classes sociales, le monde du travail, les relations sociétales et, principalement, les agents formulateurs et promoteurs des déplacements discursifs ? C’est à travers l’ONU, la Banque Mondiale, le FMI, que « le consensus sur le néolibralisme a été forgé, puis celui sur le "développement soutenable" » [on parle ici plus volontiers de "développement durable", un autre petit bougé sémantique qui n’est d’ailleurs pas sans grandes conséquences].
Dans les domaines foncier et urbain, « les conflits entre occupants de la terre pour habiter ne sont pas nouveaux et étaient auparavant définis comme des conflits en relation à la propriété de la terre. Maintenant, ils sont camouflés par l’idée de "l’environnement comme bien commun" et de la responsabilité de tous à l’égard des générations futures. Les matrices discursives sur l’environnement occultent les conflits et contradictions, et déplacent les analyses ». Concernant les politiques du logement, « l’objectif est de définir un habitat digne d’installations humaines" soutenables" [ chez nous, "durables"], sans définir ce que cela signifie ». On indique bien "l’empreinte écologique" et la "capacité d’accueil" comme paramètres, mais « sans que cela permette de comprendre la complexité de la production et de la reproduction de l’espace urbain ». Comment les installations humaines peuvent être soutenables sans considérer le processus d’urbanisation, les contradictions et conflits inhérents au mode de production capitaliste ? C’est seulement avec une armature théorique et méthodologique géographique radicalement critique, qu’il sera possible de mettre en relation "l’environnement" avec les catastrophes, la ségrégation et l’inégalité sociospatiales.
Comme le soulignent F.Chesnais et C.Serfati, « au-delà des mots comme "écologie" et "environnement", et encore plus de "questions environnementales" et de "questions écologiques", on ne trouve rien d’autre que la pérennité des conditions de reproduction sociale de certaines classes, de certains peuples et même certains pays ». Ces mots maintiennent, en fait, le degré optimum de neutralité pour la pérennisation du mode de production marchand capitaliste.
Dans un tel contexte, le vrai défi est dès lors  de construire une géographie radicale critique dont la théorie et la méthode fournissent une alternative à la mode du "développement durable". En étant bien conscients que les débats consistants sur ce sujet ne sont jamais divulgués, et que ceux qui tentent de mettre en évidence ces contradictions, sont et seront aussitôt taxés d’être « des adversaires de la préservation des richesses naturelles considérées comme bien commun de l’humanité » !

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