
Si les problèmes de gaspillage des
richesses naturelles ne sont pas nouveaux, un bref historique du sujet depuis
les années 1990, montre l’apparition d’un nouveau paradigme qui affirme depuis
que l’environnement est devenu un bien commun de l’humanité, qui doit être
préservé pour les générations futures. Mais, « comment peut-on dire
qu’un nouveau paradigme considère les richesses naturelles comme un bien
commun, alors que prédomine la propriété privée de la terre et des moyens de
production, la concentration des richesses et l’exploitation de l’homme par
l’homme ? » Pour elle, affirmer qu’il y aurait changement de
paradigme du fait d’attribuer à la nature cette condition de bien commun, est
une faiblesse qui s’oppose à une vraie compréhension de la réalité.
Avec la crise environnementale, il
s’agit pourtant d’une crise découlant du mode de production capitaliste qui,
pour continuer malgré sa crise, a besoin de maintenir ses conditions de
reproduction et de fonctionnement. Dans ces conditions, l’environnement devient
le thème qui obscurcit la réalité de la crise. Selon l’écrivain uruguayen
Eduardo Galeano, « ils fabriquent le langage brumeux du sacrifice de
tous, dans des accords internationaux que personne ne remplit. Cette cataracte
de parole, ne se déchaîne pas gratuitement » (« Somos todos
culpaveis pela ruina do planeta ? ». Le philosophe Slavoj Žižeck souligne, quant à lui, que
« pour que la logique de légitimation soit efficace, la relation de
domination doit restée occultée ». Comprenons donc que l’idéologie du
"développement durable" s’impose sans que l’essence de la crise soit
en rien explicitée.
De sorte que, pour l’auteure,
« les nouvelles matrices discursives, en même temps qu’elles occultent
les véritables responsables des problèmes -
ceux qui s’approprient et sont propriétaires des moyens de production,
de la terre, des richesses – attribuent la responsabilité aux consommateurs et
aux pauvres qui occupent les plus mauvaises terres, et n’intéressent pas le
secteur immobilier, obscurcissant l’essence de l’inégalité et de la ségrégation
sociospatiale, occultant l’importance du territoire, de l’espace de la société ».
Alors que la production est concrétisée dans l’espace géographique, la
consommation est renvoyé à l’individu. Or, « comment peut-il être
responsable de la dilapidation environnementale, si ce n’est pas lui qui
choisit ce qui est produit ? Car il n’y a pas de référence au
commerce, aux lieux d’échanges, mais au consommateur. Les travailleurs sont
transformés en "ressources humaines", les richesses naturelles en
"ressources naturelles", soit en marchandises du monde globalisé,
d’innovations technologiques et de flux financiers.
Comment, dès lors, comprendre
cette totalité, quand sont ainsi exclus l’espace géographique, la production,
la circulation, le commerce, les classes sociales, le monde du travail, les
relations sociétales et, principalement, les agents formulateurs et promoteurs
des déplacements discursifs ? C’est à travers l’ONU, la Banque Mondiale,
le FMI, que « le consensus sur le néolibralisme a été forgé, puis celui
sur le "développement soutenable" » [on parle ici plus
volontiers de "développement durable", un autre petit bougé
sémantique qui n’est d’ailleurs pas sans grandes conséquences].
Dans les domaines foncier et
urbain, « les conflits entre occupants de la terre pour habiter ne sont
pas nouveaux et étaient auparavant définis comme des conflits en relation à la
propriété de la terre. Maintenant, ils sont camouflés par l’idée de
"l’environnement comme bien commun" et de la responsabilité de tous à
l’égard des générations futures. Les matrices discursives sur l’environnement
occultent les conflits et contradictions, et déplacent les analyses ».
Concernant les politiques du logement, « l’objectif est de définir un
habitat digne d’installations humaines" soutenables" [ chez nous,
"durables"], sans définir ce que cela signifie ». On
indique bien "l’empreinte écologique" et la "capacité
d’accueil" comme paramètres, mais « sans que cela permette de
comprendre la complexité de la production et de la reproduction de l’espace
urbain ». Comment les installations humaines peuvent être soutenables
sans considérer le processus d’urbanisation, les contradictions et conflits
inhérents au mode de production capitaliste ? C’est seulement avec une
armature théorique et méthodologique géographique radicalement critique, qu’il
sera possible de mettre en relation "l’environnement" avec les
catastrophes, la ségrégation et l’inégalité sociospatiales.
Comme le soulignent F.Chesnais et
C.Serfati, « au-delà des mots comme "écologie" et
"environnement", et encore plus de "questions
environnementales" et de "questions écologiques", on ne trouve
rien d’autre que la pérennité des conditions de reproduction sociale de
certaines classes, de certains peuples et même certains pays ». Ces
mots maintiennent, en fait, le degré optimum de neutralité pour la
pérennisation du mode de production marchand capitaliste.
Dans un tel contexte, le vrai défi
est dès lors de construire une
géographie radicale critique dont la théorie et la méthode fournissent une
alternative à la mode du "développement durable". En étant bien
conscients que les débats consistants sur ce sujet ne sont jamais divulgués, et
que ceux qui tentent de mettre en évidence ces contradictions, sont et seront
aussitôt taxés d’être « des adversaires de la préservation des
richesses naturelles considérées comme bien commun de l’humanité » !
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