De la "démocratie du sommeil" au sommeil de la démocratie

"La démocratie du sommeil" chronique de Jean Viard JDD du 28 novembre 2010

"Les maires de France ont réuni cette semaine leur congrès. Grande affaire. Le président de la République est venu y parler. Le sociologue se permettra de faire remarquer que nous avons un gros problème avec notre démocratie locale.

Car 61% des électeurs votent dans la commune où ils résident mais en travaillant dans une autre commune. Si on y rajoute les retraités, on peut dire que plus des deux tiers des citoyens votent d’abord pour défendre leurs cadres résidentiels. Autrement dit, ils demandent en priorité du silence, de bonnes écoles pour leurs enfants, la protection de leurs biens et une certaine homogénéité sociale.

Surtout pas de grands projets, de grands travaux, d’usines, de centres d’hébergement pour les plus pauvres, d’incinérateurs à ordures… Ainsi se battre pour le développement économique ou pour l’intégration n’est pas porteur pour un élu local. Son intérêt électoral est bien souvent contraire à ses intimes convictions. Et la suppression de la taxe professionnelle va renforcer ce mouvement car l’élu a perdu la capacité d’augmenter le budget de sa commune par son action en faveur des entreprises.

Nous sommes donc dans une démocratie municipale où "qui dort décide". Notre système électoral pousse ainsi à une France municipale défensive. Ce à quoi malheureusement la récente réforme territoriale ne touche en rien car son objet était de redonner du pouvoir à l’Etat, pas de renforcer la démocratie de base de notre République.

Compte tenu du fait que nous parcourons en moyenne sept kilomètres pour aller travailler, la meilleure solution serait de placer le vrai pouvoir, y compris par l’élection directe, au niveau des métropoles et des communautés de communes. Nous réunifierons alors la démocratie du sommeil et celle du travail. Les communes actuelles, comme les mairies d’arrondissement dans les grandes villes, restant le cadre de la gestion de la proximité. Je crois qu’il est temps de comprendre que nous sommes entrés dans une société de mobilité et que la démocratie doit y planter ses racines
".

Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS - Le Journal du Dimanche du 28 Novembre 2010

Commentaires