Lula et les Sans-terre du Brésil

Promesse du président Lula dans un pays qui compte quatre millions de paysans sans terre, la réforme agraire reste à faire. Pour Henri Burin, des Roziers, "l’avocat des sans-terre ", « l’agrobusiness a bloqué la réforme agraire ».


Dès 2000, Lula avait publiquement promis de s’attaquer à la concentration de la propriété foncière qui, au Brésil, prive de terres des millions de petits paysans. « Nous sommes en 2010, et la réforme agraire est paralysée. Le sujet est progressivement devenu marginal au sein du gouvernement », constate le frère dominicain Henri Burin des Roziers, avocat de la Commission pastorale de la terre et figure emblématique de la lutte des sans-terre depuis plus de 30 ans au Brésil. Pour celui que l’on appelle "l’avocat des sans-terre", la raison fondamentale de cet échec, « c’est que le gouvernement a opté pour un autre modèle de développement, celui de l’agrobusiness, qui va dans le sens de la concentration de la terre et de la monoculture d’exportation ». « De fait, poursuit-il le lobby de l’agro-industrie est colossal, car il rapporte énormément de devises. » Adopté en 2002, le Plan National de Réforme Agraire, dont l’objectif était d’installer sur des terres 400.000 paysans, n’a pas été réalisé. Pis, le plan suivant, qui aurait du être lancé en 2006, a été abandonné.

« 200.000 familles ont peut-être été installées sur des terres, explique Henri Burin des Roziers. Mais dans la plupart des cas, c’est le résultat d’une lutte très dure menée par ces familles, qui ont occupé des terres et fait pression sur les autorités pour obtenir la régularisation des occupations. » Le gouvernement a bien augmenté les financements de l’agriculture familiale, mais sans commune mesure avec ceux versés à l’agrobusiness, et s’il cultive aujourd’hui le dialogue avec les organisations paysannes – loin de la répression des gouvernements précédents -, la violence n’a pas pour autant cessé.. « Les organisations ruralistes très puissantes qui disposent de milices privées ont continué à tout faire pour criminaliser les sans-terre, avec des appuis importants au Parlement », poursuit Henri Burin des Roziers, lui-même menacé de mort depuis 2005.

Très critique de la politique de Lula sur la question de la terre, le mouvement des sans-terre et les autres organisations paysannes soutiendront pourtant en majorité la candidature de Dilma Roussef  le 3 octobre face à José Serra, le candidat de la droite, « autant dire que les élites du libéralisme inconditionnel, d’un projet politique très grave, synonyme de répression et de privatisations », souligne l’avocat qui voit, paradoxalement dans le départ de Lula, la possibilité d’un nouveau souffle de la lutte pour la réforme agraire. « Le mythe personnel de Lula a certainement neutralisé une partie de la contestation populaire », souligne-t-il.

Entretien réalisé par Charlotte Bozonnet pour l’Humanité Dimanche du 30 septembre 2010

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