Dans un chapitre* intitulé « Esthétiques de la nature et place de l’environnement en sciences sociales », Nathalie Blanc, part de ce constat paradoxal, mais pourtant réel, que « la préoccupation pour le cadre de vie quotidienne est la dimension méconnue des mouvements pour la justice environnementale ». Elle inscrit dit-elle son propos dans le droit fil des préoccupations d’Henri Lefebvre - lui qui fut un pionnier méconnu, dès les années 1960, de "l’écologie politique", régulièrement pillé depuis, mais de plus en plus rarement référencé - visant à reconsidérer la place des liens ordinaires à l’environnement dans toutes leurs dimensions éthiques et esthétiques, comme nouveau volet d’une "critique de la vie quotidienne" qui lui était chère. L’un de ses concepts-clés, l’"habiter", « se définit sur le mode pratique, des pratiques dont les représentations ne rendent pas toujours compte », alors qu’il s’agit pourtant bien de voir en quoi la crise écologique peut nous conduire à repenser, aussi et avant tout, les rapports sociaux eux-mêmes.
Or, force est de constater aujourd’hui un certain « effacement des luttes ordinaires pour le cadre de vie sur l’ardoise environnementale au profit de causes toujours plus spectaculaires, tel le réchauffement climatique », avec leur forte traduction médiatique, notamment sous forme de films catastrophe.
Dans des conditions telles qu’il est compréhensible que « la problématique environnementale déclinée comme un ensemble de problèmes socio-naturels considérés comme objet des politiques publiques s’est peu intéressée aux vies ordinaires sinon, aujourd’hui, à travers les préoccupations ayant trait à la consommation et aux modes de vie responsables ». Mais c’est exclusivement sur la base d’une stigmatisation d’un usager, en fait plus victime que coupable, de l’économie du "capitalisme de consommation dirigée" (Lefebvre, toujours !). C’est bien également pourquoi, « la réduction de la consommation, la responsabilité à l’égard de la nature ou la décroissance ne peuvent rendre compte de ce que signifie un changement culturel en matière de rapports à la nature ».
Il faut en outre, selon Nathalie Blanc, tenir compte de ces multiples décalages et malentendus qui se glissent dans tous les registres de la vie ordinaire concernant l’environnement, ainsi qu’avec les politiques publiques : entre les raisons d’agir de l’aménageur, du technicien et de l’expert, d’un côté, celles d’un habitant de l’autre, « ce n’est pas tant un espace de conflit qu’un espace de mésentente » qu’il s’agit.
Dans la problèmatique environnemental actuelle, « il est difficile de recomposer les relations entre l’univers familier, quotidien, tel qu’il est spontanément élaboré et intériorisé par les individus et les groupes, et les dynamiques plus larges, à des échelles très différentes y compris l’échelle globale de la Terre », dont la science devrait mieux rendre raison, avec tout ce qu’elle ignore encore, « mais que l’expérience fantasmée ou la peur autorise à imaginer ».
L’habitant, quant à lui, investit pourtant au quotidien les formes de son propre "habiter" en se fabriquant lui-même un savoir. Il est avant tout esthétique, peuplé d’objets appréhendés sur un tel mode : « la sensibilité, la sensorialité, l’imagination, le récit, l’engagement esthétique environnemental jouent un rôle fondamental dans la connaissance que les habitants ont de leur environnement ». Toutes les sensorialités (odorat,vue, ouïe...) y sont impliquées. Elles peuvent aller jusqu’à s’exprimer sous la forme de "pratiques spatiales" (...encore un concept lefebvrien !), c’est-à-dire des conduites physiques qui lui permettent de donner du sens à la perception de son espace vécu, y compris de ses pollutions.
Une approche originale et pertinente qui donne à réfléchir sur les approches en cours et les méthodes en vigueur dans la sensibilisation à la pollution et la pédagogie environnementale, et à leur nécessaire réorientation.
* Dans « Philosophie de l’environnement et milieux urbains », La Découverte , 2010, p.83-97.
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