Fièvre éditoriale pour les 40 ans de 1968


A l’approche des 40 ans de Mai-Juin 1968, une grande activité éditoriale se fait jour. Mobilisant  parfois clichés et poncifs, elle comprend aussi fort heureusement un premier choix d’ouvrages collectifs qui cherchent à redonner à l’événement toute sa complexité, l’ épaisseur de ses enjeux et ses perspectives.
Concernant : « Faut-il liquider l’esprit de 1968 ? », un entretien de D.Cohn-Bendit avec S.Paoli et J.Viard, l’éditeur pourtant réputé sérieux (Ed. de l’Aube), n’hésite pas à l’affirmer :« ce livre sera « le » livre de la commémoration de Mai 68 » ! « Et si, au fond, c'était la plus belle des révolutions, celle qui n'a été que culturelle, sans mort, sans victime ? Juste des idées et des désirs ». Autour de son auteur principal, « Dany le Rouge », c’est un livre de souvenirs à trois, avec un journaliste (S.Paoli) pigiste en 1968, et un sociologue (J.Viard) à l'époque lycéen engagé qui vécu les années post-68 à la campagne. Heureusement, plusieurs livres collectifs s’annoncent, qui sortent de ces sentiers par trop rebattus. C’est d’abord « Mai-Juin 68 » (Dir. B.Pudal, B.Gobille, F.Matonti, D.Damamme. Ed. de l’Atelier) qui propose de sortir des clichés pour aller vers une connaissance approfondie de ce qui fut l'un des grands moments du XXe siècle. Pour la première fois à cette échelle, 29 chercheurs, historiens, politologues, sociologues, révèlent l'ampleur du changement cristallisé par le conflit de mai et juin 1968 en France. Ils repèrent d'abord les craquements qui l'ont précédé et l'expliquent en partie : démocratisation de l'école, crise de l'université, des institutions religieuses et politiques, des méthodes patronales... Ils dévoilent ensuite l'ébranlement inédit que provoqua cette révolte multiforme : dans les rues, les usines, sur les campus, chez les artistes, jusque dans les partis de droite... Loin de l'image folklorisée du monôme étudiant, cet ouvrage met en lumière le rôle moteur d'une aspiration toujours vive : prendre la parole et transformer sa vie hors des limites assignées par les divers pouvoirs.
Mais on ne peut ainsi comprendre ce « moment 68 » sans examiner la longue séquence historique dans laquelle il s’inscrit, de la fin de la guerre d’Algérie en 1962 à l’élection de François Mitterrand en 1981, de la révolution cubaine à la révolution iranienne.
Un autre ouvrage collectif « 68, une histoire collective (1962-1981) » (P.Artières, M. Zancarini-Fournel, Ed. La Découverte) invite ensuite,  pour la première fois à parcourir l’histoire de ces vingt années qui ont transformé la société française. Il rend accessible des travaux de recherche historique novateurs ainsi que l’exploitation de nombreuses sources inédites (archives des organisations politiques et syndicales, de la police, fonds privés, etc.). Le lecteur découvre ainsi que la question sociale – les grèves ouvrières, mais aussi les luttes des femmes et des immigrés – occupe une place aussi centrale que la mobilisation des étudiants, et que le monde rural et les villes de province participent autant, sinon plus, que Paris à l’effervescence du pays.
68 constitue avant tout le plus puissant mouvement de grèves ouvrières que la France ait jamais connu, qui ouvre une phase décennale de contestation dans les usines. C'est cette séquence d'insubordination ouvrière que X.Vigna, maître de conférences à l'Université de Bourgogne, retrace, quant à lui, dans une étude pionnière qui s'appuie sur des archives inédites « L'insubordination ouvrière dans les années 68 : Essai d'histoire politique des usines » (Presses universitaires de Rennes, 2007). En croisant tracts, rapports de police et films militants, ce livre analyse d'abord l'événement que constituent les grèves de mai-juin 1968, bien au-delà de la seule scène parisienne souvent réduite à la " forteresse de Billancourt ", et en montre le caractère inaugural. Dès lors, l'insubordination perdure et se traduit par de multiples illégalités. La parole ouvrière qui la nourrit conteste l'ensemble de l'organisation du travail. Relayée selon des modalités complexes par les organisations syndicales et les groupes d'extrême-gauche, cette insubordination échoue pourtant face à la crise économique. Ainsi, les années post-68 constituent également une séquence ouvrière, dont cet essai d'histoire politique des usines entend restituer l'ampleur. Livre à rebours des discours convenus sur " Mai 68 ", avec une histoire ouvrière qui se confronte à la sociologie du travail d'alors, il renouvelle largement notre connaissance d'une période ardente et cruciale dont il sera difficile « d’en finir ».

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