La politique spectacle des débats télévisés

Dans l’univers impitoyable des "talk-shows"
A l’heure du sarkozysme, on ne peut qu’être frappé par la floraison, un quasi clonage, d’émissions de débats plus ou moins dignes et sérieux, du meilleur au pire : C dans l’air, Ripostes, Chez FOG, le Grand Journal, Revu, etc. Dans ces émissions de plateau - donc bon marché - avec décor de hautes chaises et table en forme de bar high-tech, propices aux "brèves de comptoir", si symptomatiques de la politique devenue un spectacle en forme de show médiatique, on parle et se dispute beaucoup, mais pour dire finalement quoi ? Pas toujours grand chose, en vérité.
Ces émissions prétendent traiter en temps réel des mêmes thèmes, toujours très approchants. En fait, ceux qui sont dans l’actualité auto-décrétée du jour par la sphère médiatique. Elles reçoivent à peu près les mêmes invités, réputés "bons clients" : présidentiables d’hier et de demain (S.Royal), indéracinables de toujours (gauchistes repentis, D.Cohn-Bendit, ou anciens "nouveaux philosophes" (BHL, Glucksmann, père et fils). Tout comme, très souvent, les mêmes intervenants et journalistes : (C.Barbier, E.Zemmour…), consultants (Directeurs des instituts de sondages : B.Teinturier, R.Cayrol), quelques politologues "experts" (D.Reynié) ou des "économistes" (E.Cohen, J.Marseille, M.Godet), de plus en plus souvent sarkozystes, décomplexés jusqu’à l’arrogance.
Animées par des stars journalistiques déchues (P.Amar, C.Okrent, …), elles s’alignent peu  à peu,  en tombant dans les mêmes facilités, sinon les mêmes bassesses, sur les normes des émissions d’Ardisson, K.Zéro, de Fogiel ou de Ruquier – avec des règles communes d’un fonctionnement identique : interventions impérativement brèves, sinon immédiatement coupées, plus de saillies tueuses que de vraies phrases, rires et applaudissements  systématiques, refus délibéré d’assurer les conditions pour articuler une pensée construite, volonté à peine masquée de "casser" l’invité (syndrome Brice de Nice), qui peut aller parfois, sous la pression sans retenue d’un humour formaté de la dérision (syndrome Coluche), jusqu’à la tentation du lynchage collectif. Des chroniqueurs sans spécialité, ni guère de qualité (Stevy, C.Bravo) - genre : « je ne sais rien, mais je dis tout » - étant mis complaisamment  en position d’y parler, n’importe comment, de tout et de n’importe quoi.
Depuis les années 90, on a ainsi assisté, en France comme ailleurs, à une multiplication sur les écrans de télévision, de ces programmes hybrides et ambigus dans lesquels les hommes politiques sont devenus, à travers un nouveau style d’interpellation médiatique, les objets soumis et consentants de traitements humoristiques, s’ouvrant à des domaines et des thèmes jusqu’alors préservés. Pour G.Lochard, qui a étudié « le traitement humoristique des personnalités politiques des talk-shows français », leurs dispositifs conversationnels, les thèmes et cibles, ainsi que les procédés à l’œuvre, permettent d’y repérer deux grandes formes de logiques : la première s’orientant vers de véritables constructions/déconstructions argumentatives remettant en cause le cadrage non sérieux des situations d’échanges concernées ; la seconde pouvant dégénérer en une véritable énonciation insultante (Ex. l’interpellation d’Ardisson à M.Rocard : "Sucer, est-ce tromper ?").
Plus généralement, pour le sociologue E.Neveu, ces émissions, devenues premier espace d'invitation des élus, redéfinissent effectivement le débat politique. Mais,  pour une large part, cette évolution se rapporte à un processus de désacralisation du politique, de substitution du registre du témoignage et de l'étalage intime à celui du discours militant et programmatique. Cependant, les justifications de ces évolutions, en termes de meilleure connexion à un public élargi et rajeuni, de vulgarisation du message politique, n’apparaissent pourtant guère convaincantes. S'il est évidemment possible d’avancer que les talk-shows puissent représenter une  modalité de renouvellement du débat politique, l'offre observable en France, comme ailleurs, souligne avant tout l'avancée d’une perception désormais "pipolisée" des dirigeants politiques, qui conduit à les évaluer à l’aune des mêmes critères qu'artistes, sportifs et personnages mondains, plus familiers des plateaux télévisés. Cela pousse à conclure au potentiel en fait dangereusement dépolitisant et démobilisateur de telles mises en scène.


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