Un livre d' Olivier Le Cour Grandmaison
Quelles furent les spécificités des conflits coloniaux engagés par la France en Afrique du Nord et ailleurs ? Que nous apprennent les méthodes singulières - enfumades, massacres de prisonniers et de civils, razzias, destructions de cultures et de villages - couramment employées par les militaires français sur la nature de la guerre conduite pour pacifier l'ancienne Régence d'Alger ? Pourquoi de nombreuses mesures racistes et discriminatoires ont-elles été élaborées puis appliquées au cours de la conquête et de la colonisation de l'Algérie ?
Telles sont quelques-unes des questions auxquelles cet ouvrage entend répondre. En effet, la conquête puis la colonisation difficiles et meurtrières de l'Algérie doivent être considérées comme une sorte de vaste laboratoire au sein duquel des concepts - ceux de " races inférieures ", de " vie sans valeur " et d'" espace vital ", promis à l'avenir et aux usages que l'on sait - furent forgés. De même, on découvre les origines de nouvelles techniques répressives - l'internement administratif et la responsabilité collective notamment - qui, avec le Code de l'indigénat adopté en 1881, firent de l'État colonial un état d'exception permanent. Plus tard, l'internement fut même importé en métropole pour s'appliquer, à la fin des années 1930, aux étrangers d'abord, aux communistes ensuite puis aux juifs après l'arrivée de Pétain au pouvoir. S'appuyant sur quantité de documents peu connus voire oubliés, sur la littérature aussi, cette étude originale et « dédisciplinarisée » (M.Foucault) éclaire d'un jour nouveau les particularités du dernier conflit qui s'est déroulé entre 1954 et 1962, mais aussi les violences extrêmes et les guerres totales qui ont ravagé le Vieux Continent au cours du XXe siècle.
Avec cet essai vigoureux, à la croisée de plusieurs disciplines intellectuelles, Olivier Le Cour Grandmaison montre à quel point, dès le début, la guerre coloniale en Algérie a été exceptionnelle, préfigurant certaines méthodes utilisées au siècle suivant. Il ne se limite pas au récit de faits sanglants. Son objectif est bien plus large : celui de mêler différentes approches afin de présenter ce qui constitue une sorte de laboratoire, aussi bien des théories racistes que de techniques répressives employées lors de cette « guerre exceptionnelle », comme les militaires la qualifient alors eux-mêmes, conscients du fait qu’elle n’est plus régie par le droit de la guerre en vigueur jusque-là puisqu’ils combattent une population entière et principalement des civils.
Lorsqu’on referme le livre d’Olivier Le Cour Grandmaison, on a une sensation de dégoût et de honte. On plonge en effet, au fil de ses 370 pages, dans l’horreur et la cruauté d’une violence quasi-permanente qui accompagne la colonisation de l’Algérie française. La fameuse « pacification »,« joug français » ne sera jamais qu’un vain mot. Face à la « brutalisation » en cours de la nouvelle « armée d’Afrique » - pouvant tuer, piller, violer, confisquer biens et maisons à sa guise - les révoltes ne cessent quasiment jamais, mais sont constamment matées. La population algérienne a donc le triste privilège de subir l’inauguration de terribles méthodes, nouvelles à l’époque, qui annoncent celles des guerres et même des génocides du siècle suivant. vocable constamment employé pendant les 132 ans du
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O. Le Cour Grandmaison, « Coloniser exterminer, sur la guerre et l’État colonial », Éd. Fayard (2005), 365 pages, 22 €.
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Olivier Le Cour Grandmaison enseigne les sciences et la philosophie politiques à l’IEP d’Évry. Il préside l’association : 17 octobre 1961-17 octobre 2001 contre l’oubli. Il a notamment publié : « Le 17 octobre 1961 : un crime d'État à Paris » (collectif, La Dispute, 2001) et : « Haine(s). Philosophie et Politique » (PUF, 2002).
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