La presse locale fait état d'un "contrat de ruralité" récemment signé entre l'exécutif de la "com.com" d'Estuaire et Sillon (son président), l'Etat (le sous préfet), La banque publique des territoires (ex-CDC) et la Région (un conseiller régional de la majorité de droite)
Tout ceci au nom d'un "projet de territoire" qui n'existe toujours pas, mais est cependant censé définir l'avenir de notre territoire à l'horizon 2030. Encore faudrait-il qu'il y en ait un ! En Estuaire et Sillon, le président en parle beaucoup, mais on n'en voit toujours pas la couleur et le contenu. Tout au plus, à cette occasion, certains "projets phares du mandat" sont-ils évoqués : une "maison de l'intercommunalité" (un nouveau et 3ème siège pour la communauté de communes ?), un "campus de l'énergie" (pour occuper l'espace de la centrale thermique de Cordemais une fois fermée ?) et des "études et travaux sur l'assainissement" plutôt ordinaires même si urgents . Ils sortent aujourd'hui du chapeau, n'ayant jamais été évoqués publiquement, ni dans la campagne intercommunale qui n'a pas eu lieu en 2020, ni depuis lors.
Il s'agit là, dit-on, de "fédérer les partenaires institutionnels, économiques, associatifs dans les territoires ruraux et donner plus de force et de lisibilité aux politiques publiques pour en décupler les effets." Un effet-levier miracle, en quelque sorte. Mais en réalité, il ne s'agit de rien d'autre que de "recenser les initiatives déjà en cours", ni plus ni moins. Une liste à la Prévert, un montage des projets préexistants, une pratique devenue habituelle dans ce genre de "Contrat" ou de "Pacte" qui foisonnent en ce moment. Une sorte de jeu de LEGO dont les pièces sont déjà-là, pour une "politique de guichet" : passage obligé pour l'obtention des subventions de l'Etat par les collectivités. Ah la belle décentralisation que voilà !
Autre problème, celui de ladite "ruralité" de ce territoire : en plus de l'absence de projet de territoire, il persiste un déficit ancien d'une définition pertinente de l'identité du territoire d'Estuaire et Sillon, qui se trouve ainsi assigné à une identité "rurale". Certes le mot peut-il plaisir à quelques bobos néoruraux, fraichement débarqués dans un territoire sur lequel ils veulent à tout prix plaquer leurs représentations de néophytes ex-urbains sur "la nature" et "la campagne".
La "ruralité" affichée est aussi pratique pour gommer le volet estuarien du territoire, alors qu'Estuaire et Sillon est précisément le maillon entre Nantes et Saint-Nazaire. L'estuaire portuaire et industriel, et son histoire ouvrière et populaire, pensez donc ! Non, "tous ruraux" c'est bien mieux, y compris pour mettre glisser sous le tapis la fermeture annoncée de la centrale de Cordemais. Alors c'est "Plouc Pride" pour tout-le-monde, et ainsi vive la fierté paysanne néo-rurale retrouvée.**
Face à l'exode urbain - accéléré par l'épidémie de COVID - de la métropole nanto-nazairienne vers ses marges périurbaines, on se la joue ainsi "revanche des villages" ruraux. Fini le "Droit à la Ville" 'Henri Lefebvre, 1968), bonjour le "droit aux villages" ! Quant à moi, en tant que géographe, je persiste à penser, et à le dire, que notre territoire d'Estuaire et Sillon n'est plus fondamentalement rural depuis longtemps - en tout cas d'un "rural profond", comme dans certaines parties du nord-est du département - mais périurbain, avec tout ce que cela implique(rait) mais qui est refoulé et ignoré, tant que le mot adéquat ne désignera toujours pas la vraie chose.
Cet épisode est une nouvelle manifestation de la déconnexion des élites, y compris locales, en rapport aux réalités vécues par les populations qu'elles sont supposées représentées. Comment les citoyens pourraient-ils sérieusement s'y retrouver et se sentir concernés par de telles "usines à gaz" techno-étatiques qui les tient tant et systématiquement à l'écart ?
* Selon Jean-Michel Baylet, ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales)
*Lire à ce sujet la géographe nantaise Valérie Jousseaume, "Plouc Pride, un nouveau récit pour les campagnes", L'Aube, 2021.
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