Poubelles d'ici et d'ailleurs : comme une odeur de colère...

Légende : Jaune TEOM, Rouge RI
Rose et orange RI adaptée
Parler des poubelles, quelle idée ? Homo detritus s’intéresse si peu à ses déchets déchus. Pourtant, depuis longtemps, les anthropologues savent qu'ils en disent long sur toute société. Aujourd'hui, en France, le secteur capitaliste de collecte et traitement des déchets compte 1926 entreprises, dont les géants Veolia, Suez, Derichbourg. Mais on persiste à ne voir le problème que par le couvercle de la poubelle et suivant des principes qui ne visent l'usager que par des slogans simplistes et culpabilisateurs : du principe « pollueur-payeur » au « bon déchet qu'on ne produit pas ». Au-delà du quidam lambda "producteur de déchets", on ne voit plus du tout le citoyen. Tout se décide en dehors de lui, sans et parfois contre lui. Cependant, des prises de conscience se dessinent et des actions se font jour.

Cette question du régime de ramassage des poubelles et de son mode de facturation est loin d’être anodine. Elle constitue un test de la manière dont ce service crucial de proximité, inscrit au droit commun des territoires (L-2224-24 du CGCT), est rendu aux citoyens : suivant quelle « gouvernance », avec quel souci environnemental et selon quelle équité ? La « compétence » déchets est dévolue aux intercommunalités. Il n’existe que deux régimes, chacun ayant ses mérites et ses défauts respectifs : celui de la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères), et celui de la REOM, redevance dite aussi « incitative ».

Métropoles et agglos : la TEOM jusqu’au risque du trop-perçu

Canard enchaîné du 30 décembre 2020
Nantes-Métropole est restée au régime de la TEOM, avec juste une part limitée d’« incitatif » pour les professionnels. C’est également le cas de la CARENE autour de Saint-Nazaire. Ce qui représente, selon mes recalculs, plus de la moitié de la population du département ! Certes le service est-il bien assuré. Le tempo du ramassage à domicile des bacs bleus et jaunes y est d’une à deux fois par semaine. Le financement se fait par l’impôt : une taxe dont l’assiette est la valeur locative du foncier bâti. Bon an, mal an, même si ces valeurs exigeraient une mise à jour, ce n’est pas aussi inéquitable qu’on le dit : selon leur logement les riches payent plus, les autres moins !Cependant des interrogations surgissent actuellement sur certains trop-perçus. Récemment, les tribunaux administratifs ont condamnés les métropoles Grand-Lyon (28/10/20) et Grand-Nancy (23/12/20), suite à des requêtes nouvelles « en reconnaissance de droit », au remboursement aux contribuables des trop-perçus de 2016 à 2018 (Canard Enchaîné du 30/12/2020). Ailleurs, comme à Marseille se sont les salariés du secteur, durement surexploités, qui font des grèves spectaculaires et efficaces.

Intercommunalités en RI, la Loire-Atlantique au Top de l’ADEME mais pas de la démocratie

Dans tout le périurbain nantais hors Nantes-métropole, l’une après l’autre depuis les années 2010, les intercommunalités sont passées de la TEOM à la « redevance incitative », par exemple au 1er janvier 2014 pour Estuaire et Sillon (8 communes). Selon l’ADEME elle-même, fer de lance gouvernemental de ce basculement pourtant nationalement limité (carte), la Loire-Atlantique figure dans le "Top 7" des départements concernés, au 4ème rang pour 300.000 habitants, soit 21,24% seulement de la population départementale, en fait un peu plus selon nos calculs. Dans les intercommunalités périurbaines concernées, le basculement s’est opéré dans l’indistinction totale droite-gauche, et souvent à l’unanimité des conseils communautaires. Alors qu’il n’a jamais fait l’objet de débats dans les campagnes municipales, lors d’élections également intercommunales, en 2008, 2014 et 2020 (mars).

Un tel changement a entraîné de très lourdes dépenses pas toujours bien maîtrisées : achat de poubelles grises, standardisées et "pucées", bennes automatisées, informatisation des déchetteries et de la facturation, etc. Or le « budget annexe déchets » doit être "à l’équilibre". D’où l’adoption, dès le départ, par pur principe de précaution gestionnaire, d’un barème de tarifs alourdi et sur-factureur pour l’usager, régulièrement générateur d’excédent (200.000 à 300.000 €/an en CCES ces dernières années). Quant aux chiffres complets et précis des conséquences sur les factures des usagers, ils n’ont jamais été divulgués.

À même cause, même effets.

Ce basculement en tâche d’huile vers la redevance s’est immédiatement traduite par des bonds conséquents de la facturation. Par exemple, en ex-Loire et Sillon, en 2016, la levée moyenne a augmenté de 25 à 30 %. En 2018, c’est également +30 % en Cœur de Retz. Plus récemment, en ComCom de Grandlieu, une augmentation de 15 % vient d’être décidée, aussitôt suivie, en novembre - double peine - de la décision du passage par quinzaine de la benne, mais qui ne fait plus, cette fois, l’unanimité des élu(e)s, notamment des petites communes.

Deuxième temps de ce scénario : la réduction de moitié des passages de la benne. En Estuaire et Sillon (11 communes), la date du 1er janvier 2021 a marqué un tel changement. Sans pour autant s’accompagner d’une baisse du barème de la facturation "incitative". Le mouvement périurbain des Gilets jaunes a démarré pour moins que ça en novembre 2017.

Ce mauvais coup social est illico repeint en vert. Les "nouvelles consignes de tri" vont plutôt dans le bon sens d’une simplification. Mais elles servent à la fois de "variable d’ajustement" et de justification écolo. Appuyée par une campagne marketing de l’agence CITEO (« entreprise à mission »), sur les panneaux d’affichage Affiouest du groupe Ouest-France. Slogans : « mise au vert » de la RI ; et « le tri : un jeu d'enfant" !)

Bulletin intercommunal d'Estuaire et Sillon (novembre 2020)

Pourtant, à l’inverse, certaines collectivités reviennent sur ce régime de la Redevance : au 1er janvier 2022, c’est toute l’intercommunalité de Pornic-Agglo et Pays de Retz qui rebasculera vers la TEOM : ça vient d’y être voté par le conseil communautaire du 19 novembre dernier, à une nette majorité, après un débat de belle tenue et serein (visible en ligne), avec comparaison entre TEOM et RI. En territoire littoral, l’équité exige de faire payer aussi les résidences balnéaires peu habitées. Or si la taxe le permet, pas la Redevance.

Les poubelles au seuil de l'année ? Un sujet dont les conséquences sont partout d’une grande actualité et qui suscite pas mal de mécontentements légitimes, comme c’est le cas en Estuaire et Sillon. Des pétitions ont été signées, en 2016 et 2020. Un collectif « Libérez nos poubelles » existe depuis quatre ans. Il va se transformer sous peu en association de défense des usagers, afin d’avoir le statut juridique (Loi de 1901) pour se pourvoir en justice autant que de besoin sera.

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