"Toutes ces idées qui nous gâchent la vie" de Sylvie Brunel


Sylvie Brunel est une géographe, économiste et écrivain française. Spécialiste des questions de développement, elle a travaillé pendant plus de quinze années dans des ONG (Médecins sans frontières, Action contre la faim) et a publié une trentaine d’ouvrages consacrés au développement, en particulier aux questions de famine. Elle est professeur à l'université Paris IV-Sorbonne et chroniqueuse régulière du magazine 28 minutes sur Arte.

Extrait : Une pensée positive

Avenir, alimentation, démographie, biodiversité, futur de l’humanité et de la terre sur laquelle elle vit et qu’elle ne cesse de transformer, toutes ces questions reviennent chaque jour ou presque dans les médias. Pour chacun de ces sujets, combien d’accusations et de mensonges, proférés au nom d’une écologie qui se veut aussi radicale qu’intégrale ! Rétablir les faits en se fondant sur des données scientifiques, sans présupposés idéologiques, devient urgent, car non seulement nous nous gâchons la vie avec des prédictions apocalyptiques, mais nous nous engageons en leur nom dans des directions qui nous mènent droit dans le mur.

Notre avenir est-il vraiment cette fin du monde annoncée ? Minuit moins deux à l’horloge de l’Apocalypse ? Bien sûr que non ! De tous temps, les hommes ont cru leur dernière heure arrivée. La période que nous vivons porte en elle des risques, bien sûr, comme toujours dans l’histoire de l’humanité. Mais, ce qui est nouveau, c’est que nous avons désormais les moyens d’y faire face. Que la pauvreté et la misère de masse, qui ont été notre quotidien pendant des siècles, sont désormais derrière nous.

Trop nombreux sur la terre ? Cessons de croire de telles billevesées : le vrai risque n’est pas l’explosion du nombre des hommes – qui conduit certains à préconiser de ne plus faire d’enfants pour, croient-ils, sauver la planète – mais exactement l’inverse. L’évolution de la population mondiale nous conduit non à l’explosion mais à l’implosion démographique. Notre vrai risque : le vieillissement et la disparition progressive de l’humanité !

L’Afrique à nos portes ? Certains Européens redoutent que leur continent soit submergé par les migrations africaines. Pur fantasme ! C’est l’Europe qui a besoin de l’Afrique, pas l’inverse. Mais il n’est pas du tout sûr que les Africains aient envie de sauver la vieille Europe : ils sont bien mieux chez eux. Cessons, nous les Occidentaux, de nous croire si supérieurs, si indispensables !

La Planète ? À entendre la litanie des maux censés l’accabler, elle court à sa perte. On nous annonce la fin des temps, une planète morte, submergée à la fois par le déluge et par les sécheresses (la contradiction ne semble gêner personne). La disparition de la vie animale et végétale. Mais les indicateurs employés sont toujours partiaux et orientés. Quant à l’empreinte écologique, cet instrument de mesure qui nous affirme que nous vivons au-dessus de nos moyens, elle repose, nous le verrons un peu plus loin, sur des indicateurs biaisés…

Combien de diktats, aussi, proférés au nom de l’énergie ! Il faudrait cesser séance tenante d’utiliser du pétrole, du gaz, du charbon, dont on nous a d’abord annoncé la disparition programmée, avant d’en faire les pires destructeurs de l’humanité. Prétendre que les combustibles fossiles doivent être bannis séance tenante, c’est condamner toute l’humanité émergente qui, pour l’instant, en dépend pour se développer. Et les choix que nous faisons, nous les Européens, risquent de nous coûter très cher demain, sur tous les plans… Les Chinois qui préparent leur reconquête du monde s’en frottent d’ailleurs les mains.

Notre alimentation ? Ce sujet est devenu l’une de nos pires inquiétudes, précisément au moment où l’humanité a vaincu la peur de manquer. Jamais nous n’avons eu autant de nourriture, dans les pays riches en tout cas, car les pays pauvres doivent encore vaincre le spectre de la faim. Mais tout se passe comme si la situation d’une partie du monde nous indifférait. Comme si nous étions devenus non seulement égoïstes, mais aussi amnésiques, puisque nous acceptons sans scrupule de sacrifier une partie de notre agriculture, qui nourrit pourtant à nos portes des pays dépendant de leurs achats pour préserver leur paix sociale. Demain, ce sont peut-être les peuples qui connaissent encore la faim qui nous nourriront. Parce qu’ils savent, eux, combien les enjeux sont colossaux… Mais nous, nous osons traiter de pollueurs et d’empoisonneurs ceux qui nous nourrissent ! Alors qu’ils ont relevé le défi de nous transformer en repus, qui nous demandons chaque jour non pas quoi manger, mais quoi ne pas manger !

Terminons par ces animaux qui nous sont si chers que beaucoup considèrent désormais que nous ne valons pas mieux qu’eux. Qu’ils s’insurgent au nom de « l’antispécisme » contre la consommation de viande et même contre l’élevage, appellent au retour de l’ours, du loup, dans nos campagnes en désespérant les bergers. Nous sommes tous d’accord : il faut protéger la nature. Mais laquelle ? Et pour qui ?

Même les insectes sont devenus nos prétendus amis ! Jusqu’où doit aller la protection de la biodiversité ? Nous nous arrogeons le droit de triage : le loup oui, même si c’est au détriment de la brebis. Et de celui qui l’élève et pleure de la voir mutilée. Quant aux virus, prions, et autres parasites qui vivent à nos dépens, puces, punaises, moustiques, propagateurs zélés de maladies mortelles, ont-ils les mêmes droits, eux qui font partie intégrante de la sacro-sainte biodiversité ? On nous parle de disparition, de « sixième grande extinction ». Il serait temps de savoir quels indicateurs nous utilisons, et comment nous gérons le problème.

Au lieu de propager des idées fausses qui nous font peur et nous découragent, retroussons au contraire nos manches tous ensemble pour trouver des solutions durables, qui ne passent pas par un immense retour en arrière, l’apologie de solutions pénibles et coûteuses qui ne fonctionnent qu’à une toute petite échelle, l’exclusion de pans entiers de populations, présentées comme coupables ! L’écologie ne doit plus être la cerise sur le gâteau des nantis, mais une pensée collective et positive, car nous pouvons vivre tous ensemble en paix sur la même planète.

Sylvie Brunel, Toutes ces idées qui nous gâchent la vie: Alimentation, climat, santé... JC Lattès, 280 Pages, 18,90 €

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