Première monographie publiée en Italie sur Henri Lefebvre – à la suite de nombreux autres pays depuis quelques décennies - l'ouvrage de l'Italien Francesco Biagi se concentre sur ses études urbaines et sa "théorie critique de l'espace". La méthode d'investigation choisie par l'auteur est d'abord un retour rigoureux aux œuvres et au contexte dans lequel Lefebvre les a produites, plus particulièrement entre 1968 (Le Droit à la Ville) et 1974 (La Production de l'Espace). C’est ainsi que l’ensemble de la trajectoire historico-critique de sa production intellectuelle est tracé, restituant clairement l'articulation de la configuration théorique dans laquelle la méthode historique croise la rigueur philosophique et sociologique. La vaste production sur l’urbain du "philosophe de Hagetmau" - comme l'appelle constamment Biagi - est ensuite retravaillée, pour déboucher sur une tentative de structurer la "théorie politique générale de l’espace", tentant de répondre à cette question : comment, avec Lefebvre, interpréter notre présent ?
Une réflexion critique
Le chapitre 1 met en évidence une réflexion critique qui allait chez Lefebvre bien au-delà des domaines des disciplines académiques. Pour le jeune Lefebvre, échappant à toute catégorisation philosophique ou sociologique, la philosophie est une pensée critique en commun. Sa philosophie critique joue Marx contre le marxisme orthodoxe. L'éventail de sa production éditoriale est très large. Avec Guy Debord son amitié intellectuelle est conflictuelle et controversée. Avec Sartre, il passe de la polémique sur le statut de l'existentialisme, au protagonisme anti-stalinien au sein du PCF.
Richesse du lexique lefebvrien
Le chapitre 2 brosse la large palette du lexique thématique lefebvrien. Avec une étude pionnière de la sociologie rurale dans la vallée pyrénéenne de Campan. il met au point sa méthode critique personnelle progressive-régressive. À partir de la cité historique comme forme, il aborde l'analyse de l'urbanisation comme processus. Le constat d'un rapport asymétrique entre l'urbain et le rural, celui des ambiguïtés de la périphérie, le conduisent à l'éloge de la marge, et un plaidoyer en faveur de la différence. Sur la question du logement, sa distinction entre l'habiter et l'habitat, débouche sur une critique virulente du fonctionnalisme urbanistique à la Le Corbusier, mais bien plus largement, à travers le cas français, de l'architecture, de l'urbanisme et de l'aménagement.
Philosophie, sociologie et politique de l'espace
Dans son amitié avec Guy Debord, qui tourne ensuite à la polémique, Lefebvre trouve, vers 1968, la racine de la pensée situationniste : une "critique de la vie quotidienne" pour "changer la vie".
Ensuite, de 1968 à 1974, il développe son projet d'une théorie politique de l'espace reposant sur la problématique de sa production. Ce projet englobe une phénoménologie historique de l'espace et, avec le cas de la Commune de Paris, au-delà de la seule question de l’État, celle du destin de la cité en tant que lieu potentiel d'une insurrection impossible/possible, pour et par l'espace.
Quelle interprétation du présent avec Henri Lefebvre ?
Avec une généalogie du Droit à la Ville, le livre clarifie également le sens de cette formule inventée par Lefebvre, et depuis très galvaudée - dont on use et souvent on abuse - qui est précisément analysée ici dans le contexte du débat philosophico-politique français (Debord, Sartre, Althusser...) et international. Biagi discute, à cette occasion, la "postmodernité" de Soja, et l'économisme spatial d'Harvey. Son ouvrage s'ajoute, entre autres, à ceux du Britannique Merrifield (2006) , des Suisses Schmid (2005) et Stanek (2011), de l'Australien Butler (2012), etc. formant pas à pas l'Internationale d'une « pensée devenue monde ».
Biagi indique aussi que, dans le débat contemporain, on passe du "droit à la ville" au "droit à la cité", - trop souvent réduit à une « révolution passive du pouvoir » - et même à un "droit à la centralité" pour les périphéries, d'une grande actualité. Le regard pionnier d'Henri Lefebvre à la fin du "court XXe siècle" nous est ainsi brillamment restitué dans toute sa richesse et sa complexité, avec comme héritage des outils pertinents, encore trop sous-utilisés, pour le décryptage du présent XXIe siècle. Sous l'optique et dans la perspective d'une politique de l'émancipation.
Francesco Biagi, Henri Lefebvre, una teoria critica dello spazio, Jaca Book, Milano, 2019
Une réflexion critique
Le chapitre 1 met en évidence une réflexion critique qui allait chez Lefebvre bien au-delà des domaines des disciplines académiques. Pour le jeune Lefebvre, échappant à toute catégorisation philosophique ou sociologique, la philosophie est une pensée critique en commun. Sa philosophie critique joue Marx contre le marxisme orthodoxe. L'éventail de sa production éditoriale est très large. Avec Guy Debord son amitié intellectuelle est conflictuelle et controversée. Avec Sartre, il passe de la polémique sur le statut de l'existentialisme, au protagonisme anti-stalinien au sein du PCF.
Richesse du lexique lefebvrien
Le chapitre 2 brosse la large palette du lexique thématique lefebvrien. Avec une étude pionnière de la sociologie rurale dans la vallée pyrénéenne de Campan. il met au point sa méthode critique personnelle progressive-régressive. À partir de la cité historique comme forme, il aborde l'analyse de l'urbanisation comme processus. Le constat d'un rapport asymétrique entre l'urbain et le rural, celui des ambiguïtés de la périphérie, le conduisent à l'éloge de la marge, et un plaidoyer en faveur de la différence. Sur la question du logement, sa distinction entre l'habiter et l'habitat, débouche sur une critique virulente du fonctionnalisme urbanistique à la Le Corbusier, mais bien plus largement, à travers le cas français, de l'architecture, de l'urbanisme et de l'aménagement.
Philosophie, sociologie et politique de l'espace
Dans son amitié avec Guy Debord, qui tourne ensuite à la polémique, Lefebvre trouve, vers 1968, la racine de la pensée situationniste : une "critique de la vie quotidienne" pour "changer la vie".
Ensuite, de 1968 à 1974, il développe son projet d'une théorie politique de l'espace reposant sur la problématique de sa production. Ce projet englobe une phénoménologie historique de l'espace et, avec le cas de la Commune de Paris, au-delà de la seule question de l’État, celle du destin de la cité en tant que lieu potentiel d'une insurrection impossible/possible, pour et par l'espace.
Quelle interprétation du présent avec Henri Lefebvre ?
Avec une généalogie du Droit à la Ville, le livre clarifie également le sens de cette formule inventée par Lefebvre, et depuis très galvaudée - dont on use et souvent on abuse - qui est précisément analysée ici dans le contexte du débat philosophico-politique français (Debord, Sartre, Althusser...) et international. Biagi discute, à cette occasion, la "postmodernité" de Soja, et l'économisme spatial d'Harvey. Son ouvrage s'ajoute, entre autres, à ceux du Britannique Merrifield (2006) , des Suisses Schmid (2005) et Stanek (2011), de l'Australien Butler (2012), etc. formant pas à pas l'Internationale d'une « pensée devenue monde ».
Biagi indique aussi que, dans le débat contemporain, on passe du "droit à la ville" au "droit à la cité", - trop souvent réduit à une « révolution passive du pouvoir » - et même à un "droit à la centralité" pour les périphéries, d'une grande actualité. Le regard pionnier d'Henri Lefebvre à la fin du "court XXe siècle" nous est ainsi brillamment restitué dans toute sa richesse et sa complexité, avec comme héritage des outils pertinents, encore trop sous-utilisés, pour le décryptage du présent XXIe siècle. Sous l'optique et dans la perspective d'une politique de l'émancipation.
Francesco Biagi, Henri Lefebvre, una teoria critica dello spazio, Jaca Book, Milano, 2019
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