Où en est le PCF, en perspective de son congrès extraordinaire de novembre 2018 ?


L'avis de Jean et Lucien Sève, dans : Capitalexit ou catastrophe, La Dispute 2018

Lucien Sève, philosophe, membre du Parti Communiste Français pendant 60 ans - dont 30 au Comité national - tire de cette expérience, dans cet ouvrage, constitué d'entretiens avec son fils Jean, historien,  des conclusions critiques fortes qui donnent la pleine mesure des enjeux du prochain congrès extraordinaire fixé en novembre prochain. Curieusement, dans sa recension du 9 avril 2018 par Jean Quétier, l'Humanité n'en fait guère mention, à part celle qu'ils jugeraient « la forme parti obsolète » [voir l'article en annexe] ! Pour juger sur pièces, voici un choix d'extraits de cet ouvrage concernant le seul PCF (p. 119-124) – ils ne sont pas moins critiques pour les autres partis de gauche, ou ce qu'il en reste - dans la cinquième conversation entre père et fils, intitulée « pousser au fond le débat critique nécessaire », même s'il n'y a évidemment pas que cela dans le livre,  voir également le sommaire ci-dessous :



Posture communiste

Lucien Sève la définit d'abord ainsi : « on vit dans une société de classe qui en son fond est de A à Z une ignominie. Être communiste, c'est vouer sa vie à la lutte aussi intelligente que possible pour en finir à jamais avec cette ignominie ». C'est justement pourquoi, selon lui « qu'avec ce qui, sous le mot communisme vidé de son vrai sens, a disqualifié la visée et disqualifié l'héritage, on doit être impitoyable. Parce qu'il importe de le redire aujourd'hui : nous avons été en grand nombre à nous battre dans le parti pour une vraie refondation communiste, je dis bien communiste, du temps où elle était encore sauvable. L'entêtement de trop de responsables dans le « vous ne nous ferez pas bouger ! » quand le bateau coulait si visiblement, la façon honteuse dont ont été traité-ées tant de vrais-es camarades maintenant sans carte, c'est proprement impardonnable. Et à ce jour aucun retour critique sur ce drame énorme et ses enseignements n'a même été amorcé... » dit-il.

Recul électoral et somnambulisme stratégique

Son fils historien, Jean Sève, retrace ainsi la descente aux enfers électorale du PCF : « Cinq chiffres suffisent à la tracer, de dix ans en dix ans. Législatives de mars 1978, PCF : 20,6% des suffrages exprimés, ce qui représentait 16,8% des inscrits ; juin 1988 : 11,1% des exprimés, soit 7,2% des inscrits ; mai 1997 : 9,8% des exprimés, soit 6,4% des inscrits ; juin 2007 : 4,4% des exprimés, soit 2,6% des inscrits ; juin 2017 : 2,8%d des exprimés, soit 1,4% des inscrits. »

« Terrifiant, implacable, c'est vraiment une marche funèbre », pour Lucien Sève. Pour lui « se pose alors une question élémentaire : pareil drame appelle de toute nécessité explication à sa hauteur, quelle est donc celle que la direction du parti a conçue au fil des ans ? Réponse stupéfiante : aucune qu'on sache. Le parti se meurt, et il ne sait même pas dire pourquoi au fond. Mais on premier dirigeant persiste à répéter la tête haute, comme il l'a fait devant le Conseil national le 3 mars 2017 : « je crois que le Parti communiste va avoir un rôle essentiel a jouer... » Là, on est vraiment dans le somnambulisme, celui ou celle qui veut ouvrir les yeux et changer de cap étant de ce fait même d'affaiblir l'identité communiste pérenne ». La question est cependant posée de savoir si depuis toutes ces années, le PCF souffre d'une frilosité identitaire, ou si au contraire d'une stratégie et de pratiques reniant et diluant son identité ?

Mais, pour Jean Sève, c'est la preuve que « le Parti communiste ne se montre pas capable de dire en clair devant quelle échéance de taille grandiose nous nous trouvons et moins encore d'engager les initiatives révolutionnaires de sorte neuve que permet et exige la situation. Si au pied du mur il ne sait pas sauter, à quoi peut-il servir ? » Lucien Sève le dit plus crûment : «  le drame du Parti communiste français, c'est qu'en vérité il n'est plus communiste », chose qu'il aurait découverte entre 1976 et 1984.

Stratégie en berne

Pour Lucien Sève, « cette dégénérescence vient de loin, disons particulièrement du 22ème congrès en 1976. Ceux qui dirigeaient dans le parti, Georges Marchais en tête, eurent la clairvoyance de comprendre que la révolution à l'ancienne, avec pour emblème la dictature du prolétariat, était devenue dans un pays comme le nôtre, foncièrement anachronique. On l'a à juste titre « abandonnée ». Mais par là était posée une question cardinale : par quelle autre stratégie révolutionnaire appropriée à notre époque la remplacer ? Or à cette question-clef aucune réponse vraie n'a été trouvée, ni à ce congrès ni aux suivants. La sous-estimation de l'importance du travail théorique a joué ici un rôle majeur », et il en aurait long à raconter.

Fixation électoraliste

Donc, « le parti s'est trouvé sans cap. Des carences comme celle-là se paient un prix astronomique : ne sachant pas quelle nouvelle stratégie révolutionnaire mettre en œuvre, il s'est irrésistiblement rabattu de fait sur une politique à dominante électorale , d'avance perdante, une révolution par les seules urnes étant bien sûr impossible. Dans les années 1980, la direction est essentiellement hantée par les prochaines élections, et plus elle se focalise sur elles, plus les résultats baissent, une masse croissante de salariés pressentent que rien d'essentiel ne peut être transformé ainsi. Le PCF s'est donc condamné lui-même à n'être plus aux yeux du peuple qu'un parti électoraliste comme les autres, mais avec moins d'atouts que les autres. Dans la dernière période, c'est même pis : l'image du PCF est devenue celle d'un parti n'ayant plus guère comme souci que de sauver les meubles ».

Pourtant, tout ceci « n'épuise pas la question. Voilà au moins trente ans que les augures annoncent la mort complète et définitive du parti. Or, aux dernières législatives pour lui désastreuses, il vient tout de même de faire élire onze députés, il a encore un groupe parlementaire, chaque année il fait des adhésions nouvelles en nombre comparable aux effectifs de certains petits partis, laFête de l'Humanité est un événement politique national, je pourrais allonger la liste... Et il reste pas mal de forces vives dans ce parti en proie à la mort, des élus de terrain capables de fort bonnes choses, des équipes municipales bine appréciées de la population, de jeunes intellectuels soucieux de relancer la vie théorique... Il a même quelques rares atouts de grande importance dans la perspective d'une stratégie révolutionnaire de nouvelle génération, notamment son projet de sécurité-emploi-formation, réforme révolutionnaire exemplaire mise en forme sur la base des travaux économiques novateurs engagés par Paul Boccara dans les années 1960... »

Visée communiste et transformation du PCF

Pour Lucien Sève, « on voit bien ici que ce qui est mort n'est aucunement la visée communiste, elle est plus pertinente qu'elle ne l'a jamais été, c'est sa traduction en une stratégie politique, une pratique militante, une forme d’organisation complètement obsolète, auxquelles pourtant de redoutables jusqu'au-boutistes de l'échec ont prétendu interdire de toucher. Tu demandes à juste titre ce qu'il reste du PCF. La réponse ne serait-elle pas : reste l'emplacement d'une formation révolutionnaire anticapitaliste dans l'espace politique ».

« Quant à moi, dit Lucien Sève, je suis convaincu que doit exister et qu'existera à l'avenir une organisation communiste nouvelle apte à rassembler pour l'action tout le peuple de ceux et celles qui se reconnaissent dans la visée communiste de Marx reconçue dans les conditions d'aujourd'hui, organisation que je souhaite entièrement indépendante, parce que toute dépendance même limitée envers quelque organisation non communiste que ce soit serait un handicap, ce qui bien entendu n'exclut aucune forme de coopération poussée, mais dans l'autonomie. Cela dit, il est pour moi tout aussi certain que l'actuel Parti communiste est radicalement incapable de se transformer lui-même en cette nouvelle organisation communiste, s'il n'en était pas incapable, ce serait déjà fait depuis longtemps ».

Jean et Lucien Sève : Capitalexit ou catastrophe, La Dispute 2018

________________

Annexe : La recension de Jean Quétier dans l'Humanité  




Commentaires