Un vibrant plaidoyer pro-ZAD, dans l'urgence et la diversité




Ce livre de circonstance entend nous éclairer, sans recul, sur « ce que nous devons à la ZAD » (sous-titre). Dans un bel élan d'enthousiasme, David Graeber, préfacier, claironne d'emblée que « nous sommes déjà des communistes lorsque nous travaillons sur un projet commun, nous sommes déjà des anarchistes lorsque nous trouvons des solutions aux problèmes sans le recours aux avocats ou à la police, nous sommes tous des révolutionnaires lorsque nous créons quelque chose de véritablement nouveau » (p.13). Et d'affirmer, « il me paraît évident que d'ici cinquante ans, le capitalisme tel qu'on le connaît aujourd'hui, et même le capitalisme sous quelque forme que ce soit, n'existera plus. » (p.13). Mais la suite du livre modère pour le moins ce propos, en dévoilant peu à peu différences et divergences d'approche d'une évidente diversité de contributeurs.trices.

La ZAD vue dans l’urgence, mais d'assez loin

Jade Lindgaard, coordinatrice, explique que ce livre a été écrit dans l'urgence, celle de l'expulsion et de la régularisation à marche forcée de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au printemps 2018 (p.17). Elle suppose, à juste titre, que « la diversité des signatures va surprendre : une écrivaine féministe, un spécialiste de théologie, un ancien directeur scientifique à Science Po, un anthropologue anarchiste, un architecte, une cinéaste afroféministe, une sorcière anticapitaliste, un scénariste de BD » (p.20-21). « Leurs visions de la ZAD sont subjectives et, dans la majorité des cas, ce n'est pas depuis leur connaissance du terrain qu'ils écrivent ». L'objet de ce livre est, malgré tout, d'essayer « de comprendre et d'expliquer (…) de quoi l’État veut à tout prix effacer la trace » (p.18).

Elle remarque, après d'autres, que « la ZAD est longtemps restée absente des textes, tribunes et publications des intellectuels engagés. Elle semblait invisible à leurs yeux, sans doute jugée trop locale, trop spécifique, trop isolée » (p.23). Dans la ZAD, « la vie quotidienne est un acte de résistance. On lutte en dormant sur place et on construit un nouveau monde en occupant des terres sans droit ni titre » (p.19). Afin d'« échapper aux normes pour fuir la violence des dominations (…) la ZAD fabrique des réponses à un monde qui s'écroule » (p.19).

La ZAD est ainsi "un lieu rebelle, y compris aux éloges et aux déclarations d'amour. Un creuset de conflits, pas très accueillant" (p.21). « C'est un vortex de forces centripètes et centrifuges. Ses habitants sont divisés par des cultures politiques, des visions de l'avenir, des histoires personnelles et des sociologies extrêmement diverses. La ZAD est polymorphe, difficile à décrire. Impossible à réduire en une seule formule. Son unité de lieu et son refus de l’État constituent les seuls points communs de ses habitants unis par un douloureux paradoxe : être un collectif de personnes pas d'accord entre-eux. » (p.24). Contrairement à ce qu'affirme la canadienne Naomi Klein à son sujet, « la ZAD n'a pas vocation à être un modèle répliqué à l'identique ailleurs. Mais toutes les conditions sont réunies pour que de telles zones essaiment ou se réinventent face au monde des grands projets et de leur corollaires inexorables : le bouleversement du climat et le saccage des communs » (p.26).

Lire la recension complète : http://www.jy-martin.fr/spip.php?article123

Sommaire : 
- Dans l'utopie des Communs
- A l'école des "instituteurs" de la ZAD
- Comment atterrir ?
- L'oubli du périurbain environnant
- Une ZAD transgénérationnelle certes, mais trop "blanche"

Finalement, ce livre, vibrant plaidoyer pro-ZAD, s'inscrit trop exclusivement dans un face à face ZAD/État, pour essayer d'en tirer argument au profit de diverses idéologies dans l'air du temps : écologie, urgence climatique, néo-ruralisme, décroissance, Communs, collapsologie... Opposant binairement l'espace perçu (des représentations, affects, utopies, idéologies...) de l'enclave de la ZAD, à l'espace conçu (des aménageurs, grands élus, agences d'urbanisme, services de l’État, firmes du BTP [Vinci]), il ignore quasi totalement de ce fait un tiers espace : l'espace vécu réel des vrais gens, celui du périurbain nantais environnant, troisième composante majeure, pourtant incontournable, du territoire. Sûrement « détournement d'espace » - celui réservé à l'aéroport abandonné, qui aura servi à tout autre chose - momentanément « contre-espace », la ZAD n'aura pas donné lieu à une ré-appropriation durable de l'espace, échouant à travers la régularisation foncière et rurale en cours, à mettre en cause la domination issue de la production de l'espace capitaliste. Commune zadiste enclavée, ou communalisme municipal revivifié ? Pour vraiment changer la vie, c'est tout le territoire qu'il faut bouger.

Jade Lindgaard (coord.), Éloge des mauvaises herbes, ce que nous devons à la ZAD, Les Liens qui Libèrent, 2018

Commentaires