"A propos des notions d'identité, de radicalité, de territorialité" (30 octobre 1996)

Retrouvée sur le site de l'Humanité, ma contribution du 30 octobre 1996, pour le 29ème congrès du PCF (décembre 1996) : "A propos des notions d'identité, de radicalité, de territorialité" ! 22 ans plus tard, elle garde, je crois, une certaine actualité. 


IDENTITÉ

L'identité présente ce curieux caractère d'être ce qui est, à la fois, semblable et différent: l'identité se construit non seulement, pourrait-on dire, en référence à la « permanence » de l'être - c'est l'identité au sens strict - mais en confrontation à l'autre, aux autres - et c'est l'altérité. Peut-être faudrait-il d'ailleurs aussi cesser de n'évoquer l'identité qu'en situation de « repli identitaire », qui, on le sait, est à la source du sectarisme, de l'isolement suicidaire, comme de tous les fondamentalismes, de tous les intégrismes. Alors, le souci très légitime de préservation de l'identité ne sera plus nécessairement négatif, et il ne doit plus fatalement conduire à une crispation sur une définition intangible de cette identité.

Personne ne contestera qu'il y a une forte identité du Parti communiste français: comme parti politique, comme parti communiste, comme parti français :
- Comme parti politique - donc sans dérive « syndicaliste » - à la fois semblable aux autres forces politiques, en ce qu'il définit un projet qu'il aspire à mettre en œuvre comme force éventuelle de gouvernement, mais en même temps profondément différent, en ce qu'il est et doit s'efforcer de rester un parti révolutionnaire dans les conditions de notre temps.
- Comme parti communiste: en ce qu'il est porteur d'une visée communiste certes à redéfinir aujourd'hui - et c'est ce que nous nous efforçons de faire à l'occasion de ce 29e Congrès - mais qui ne peut se réduire à la seule prise en considération de la dimension de la « forme-parti héritée de la IIIe Internationale ». A ce propos, résumer l'histoire du Parti à une unique référence à 1917 - pour ma part j'aurai plutôt choisi 1920 - est plutôt réducteur, pour ne pas dire caricatural. Mais sans doute est-ce le prix à payer pour pouvoir avancer que la mutation reste entièrement à faire ? C'est oublier trop complètement pourtant que « la mutation communiste a déjà son histoire », et que, par exemple, « l'abandon de la notion de dictature du prolétariat en 1976 (a lancé) le projet de socialisme à la française démocratique et autogestionnaire ».
- Comme parti français: la nécessaire (auto)critique sur le réel retard à prendre nos distances par rapport au modèle soviétique ne peut et ne doit en aucun cas faire disparaître ni les sources françaises du communisme bien antérieures à... 1917, ni faire oublier que le parti n'a jamais été aussi utile et fort que lorsqu'il a su valoriser son enracinement national.
La mutation nécessaire ne saurait donc être ni une crispation, ni un reniement. Elle peut être, très naturellement, la redéfinition collective d'une identité forcément évolutive.

RADICALITÉ

La radicalité est dans le peuple lui-même, dans les masses aurions-nous dit en d'autres temps. Car, comme l'a mis en évidence le philosophe Michel Foucault, là où il y a pouvoir, il y a toujours aussi «des résistances qui sont des cas d'espèces : possibles, nécessaires, spontanées, sauvages, rampantes, violentes...», expression des libertés rétives, de l'insoumission des hommes et des femmes les plus démunis, les plus exploités. D'où il lui a été possible de soutenir que «le pouvoir vient d'en bas», en ce qu'il s'inscrit toujours dans des rapports de forces qui traversent tous les affrontements locaux.
Il y a donc partout, en ces temps de crise et de mauvais coups redoublés, d'immenses potentialités de radicalité vraie, comme l'a amplement et durablement démontré le mouvement social de novembre-décembre 1995. Aucun parti n'est en mesure de se les approprier. Le problème est bien plutôt celui de donner à cette radicalité latente, sans velléité de récupération, une traduction, un prolongement politique efficace et fécond.

Face à l'idée d'un « pôle de radicalité », le problème n'est ainsi pas seulement dans l'hégémonie qu'évoque ici immanquablement la notion de «pôle»: il est aussi dans l'auto-proclamation de « radicalité » de ses différentes composantes éventuelles, y compris avec les risques de surenchère que chacun imagine facilement. Il est également, sous le masque d'un vocabulaire qui abuse pourtant de «radicalisme» et de « radicalité », dans la répétition d'un schéma vieilli, porteur d'illusions, et peu à la mesure des exigences du moment. Il est, enfin et surtout, dans la confusion qui place la radicalité plus là où elle risque de s'autoproclamer à bon compte, au niveau politicien, que là où elle se situe selon moi vraiment, dans les profondeurs du peuple.

De plus, comme cette idée se prolonge par la perspective d'une impérative « table rase » du Parti, la métaphore répétitive de la « maison commune » nous fait surtout craindre le champ de ruines qu'on a pu constater ailleurs à l'issue de ce genre de démarche.

TERRITORIALITÉ

La mutation est pourtant bien le passage d'une structure pyramidale, dont le fonctionnement repose sur le principe hiérarchique d'autorité, à un système en réseaux différenciés en espaces, lieux et pôles à différents niveaux, à différentes échelles: de proximité pour les cellules, locales pour les sections, départementales pour les fédérations, nationales et internationales, pour le parti en tant que force politique reconnue en France et dans le monde.

Or, un enjeu selon moi essentiel de la mutation est précisément celui de la capacité du parti à mieux spatialiser (inscrire dans l'espace géographique...) et à territorialiser (... en s'appropriant cet espace) sa pratique militante rénovée.

Non seulement parce que je ne vois guère comment « structurer nos adhérents autrement que de manière géographique »? Mais parce que, selon moi, l'une des clés majeures de la réussite résidera désormais de plus en plus dans notre capacité à inscrire de manière plus consciente et volontaire notre activité de parti communiste rénové dans l'espace géographique tel qu'il est aujourd'hui. La brochure le suggère: « Ne faut-il pas faire évoluer nos cellules en tenant mieux compte de l'évolution géographique et sociale, des mutations dans les entreprises avec la flexibilité, la précarité, la mobilité, les nouvelles zones d'activité? » (page 64).

Les nouveaux statuts du parti adoptés au 28e Congrès définissaient déjà la cellule comme un «lieu de réflexion, d'échange, d'initiative, de chaque adhérent» (page 17), et, comme le souligne avec raison Frédéric Meyer, « les cellules sont des lieux militants de proximité qu'il faut conserver, mais leur rapport à la société doit être repensé » (page 23). La brochure exprime par ailleurs les grands traits d'une telle problématique géopolitique, d'une géographie du pouvoir à différentes échelles: « C'est dès aujourd'hui et partout où il y a du pouvoir - dans l'entreprise, dans la vie sociale, dans la localité, le département, la région, le pays, l'Europe - que des lieux sont à investir, que des rapports de forces sont à construire pour contester les règles du jeu capitaliste et imposer les critères d'une efficacité sociale nouvelle » (page 43).

Peut-être faudrait-il, pour conclure, reconnaître que nous avons sans doute un peu trop sacrifié au messianisme historique séculaire, et qu'il est désormais nécessaire de se consacrer, plus modestement et peut-être efficacement, à l'inscription spatiale du militantisme, principalement à la reconquête de nos positions à l'échelle locale, à partir des lieux de l'activité quotidienne des camarades et des cellules.

JEAN-YVES MARTIN, Cellule Louis-Aragon, Section de Savenay, Fédération de la Loire-Atlantique, MERCREDI, 30 OCTOBRE, 1996 dans L'HUMANITÉ.

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