De More à Lefebvre : Utopies, utempie et atopie...

Utopie, vous avez dit utopie ! Excellent billet ("L’utopie au présent et en actes") de Maurice Ulrich dans l'Huma de ce jour* (voir ci-contre). 

Le retour en force des utopies n'est pas sans ambiguïté souligne-t-il d'abord : "Paradoxalement, cette nouvelle économie semble aujourd’hui prendre pour une part la place de l’utopie. La lutte des classes étant décrétée morte, place à la start-up où se tutoient leaders et collaborateurs en manches de chemise. Le PDG du groupe géant Sodexo se déclare proche de l’écologiste Pierre Rabhi (...) Place aux travailleurs libres que sont les jeunes chauffeurs Uber, au libre partage des réseaux Airbnb." Il poursuit : "Aussi contradictoire que cela puisse paraître, ce sont sans doute les mêmes aspirations que l’on retrouve dans nombre d’expériences contestant les modes de vie et de consommation actuelle, mais, aussi bien, (...) avec des mouvements comme les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit debout, probablement ce qu’on a appelé les printemps arabes… L’utopie court dans les consciences plus que jamais, sans doute, mais pour partie à cloche-pied. " Mais d'où provient une telle claudication ?

Il n'est guère surprenant que ce retour des utopies coïncide chronologiquement avec la redécouverte d'Henri Lefebvre à l'occasion des 50 ans de son livre "Le Droit à la ville". Bien avant David Harvey - ses "Espaces d'espoir" (Spaces of Hope, 2000) et son "matérialisme historico-géographique", dans les années 2000 - Lefebvre lui-même a cherché à libérer et sortir le marxisme historique de son "atopie" ou -  épistémologiquement parlant - son défaut d'une prise en compte suffisante l'espace géographique.  L'heure était plus alors aux luttes de classes et aux révolutions dans le temps historique.

Après avoir été longtemps ostracisé en France, Lefebvre fait aujourd'hui figure de pionnier dans le monde entier. Dès 1975, à l'issue de son cycle spatial (1968 à 1974, du "Droit à la ville" à la "Production de l'espace"), il écrivait : « L’espace où s’inscrivent et plus encore où se réalisent les différences, de la moindre à l’extrême […] l’espace devient lieu et milieu des différences […]. Il comporte une épreuve concrète, liée à la pratique et à la totalité du possible […], œuvre et produit de l’espèce humaine, l’espace sort de l’ombre, comme la planète d’une éclipse.

Le temps en semble aujourd'hui advenu pour les projets politiques d'émancipation du XXIe siècle, mais sans régression vers les utopies passées, hors du temps ("utempies") et de l'espace (atopies).

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