![]() |
L'opposition des représentations : espace perçu du NON versus espace conçu du OUI |
Les chemins d'un abandon qui vient
Malgré le faux suspens soigneusement entretenu, l'abandon annoncé bien préparé en coulisse scellera un nouvel échec de l'espace conçu par la technostructure
métropolisante nantaise : grands élus, aménageurs, services de l'Etat et de la préfecture... Sans doute nettement moins pour
les grandes firmes du BTP : l'adversaire honni Vinci n'en
sortira aucunement affaibli, quel que soit le choix final, l'abandon
de NDDL ou le réaménagement de Nantes-Atlantique. Retour à la case
départ ?
Ce renoncement marquera à coup sûr
une énième étape dans la mise en panne de l'aménagement du
territoire estuarien : après Le Carnet (1997), Donges Est
(2009), [sans oublier la "virgule ferroviaire" de Savenay, ou la "mise aux normes autoroutières" à deux fois trois voies de la RN165 e,ntre Savenay et Nantes, promise à la fin des années 1990, ainsi que le 3ème franchissement de la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire abandonné en toute discrétion il y a quelques semaines] et avant la fermeture malheureusement envisagée également de
la centrale thermique de Cordemais : sa conversion partielle à la biomasse ne
suffira sans doute pas à lui éviter un sacrifice sur l'autel d'une "transition énergétique" adossée au réchauffement climatique - présentée comme impérative au motif de la "décarbonisation" de toute activité, quelle qu'elle
soit. NDDL abandonné renforcera cette sorte de jurisprudence déjà établie : tout projet
d'un peu d'envergure est fatalement condamné dès son origine
comme GP2I ("grand projet inutile
imposé"). Sans échappatoire possible : les recours empilés d'une
"guérilla judiciaire" intensive commencent par l'entraver
d'abord, même s'ils sont un à un déboutés, et en venir à bout finalement. Et si la justice n'y suffit pas, une commission d'experts de dernière minute y pourvoit diligemment comme on vient de l'observer pour NDDL.
Dans ce cas, la volonté
affichée du pouvoir – afin de passer à autre chose, avec les coudées plus franches encore - est d'en sortir, non par le haut, mais en faisant d'une pierre deux coups, le vide, et de l'AGO et de ZAD ! Même si c'est en se plaçant pour lui-même en porte-à-faux
de sa politique de production étatique de l'espace capitaliste - celle de la métropolisation, qui allait pourtant si bien avec l'aéroport - source d'inégalités creusées et de
marginalisations accentuées, notamment dans le périurbain
environnant NDDL. Au-delà d'un "développement durable" fondement du consensus spatial, mais dont la vacuité devient par trop évidente, on
s'attaque maintenant au noyau plus dur de l' "innovation destructrice",
fut-ce celle des lieux et des emplois dans les
territoires périphériques.
Issue de l'entre-choc "des
imaginaires" : une amère victoire
Cet abandon signifiera - "et en même temps" - une victoire des
espaces perçus à travers les "représentations spatiales" : celles d'une "nature" et d'un "rural" assez largement
fantasmés. Personne ne sortira pourtant vainqueur d'un tel "choc
des imaginaires" - espace conçu versus espace perçu - ayant trop longuement opposé, pour
l'occasion, les pro et les anti Aéroport Grand Ouest, devenus, symétriquement, anti et pro ZAD. « NDDL,
pourquoi tant de bruit ? » titrait Place Publique #57 en
2016. "Pourquoi et comment en sommes nous arrivés là, à
faire de NDDL une déflagration permanente ?" La réponse qui vient : pour rien ! Ce qui a été principalement à l’œuvre,
explique Thierry Guidet, « c'est le choc des imaginaires,
c'est-à-dire des représentations, des valeurs, des croyances, des
mythes qui organisent la vision du monde partagée par un individu ou
par un groupe » (PP#57, p.7), qui sont ici celles de l'espace perçu, constituées des valeurs intimes comme des idéologies sociales, terreau privilégié aussi des fantasmes et des mythes, à l'heure de leur mise en stridence sur internet et les réseaux sociaux.
Plus généralement, pour les chercheurs Arnaud Lecourt et Guillaume Faburel, " Les conflits d’aménagement sont susceptibles de révéler de l’attachement symbolique, politique et matériel à un espace et la capacité des territoires à entrer dans l’arène publique comme toute controverse socio-technique. Dès lors, ces conflits constituent une fenêtre d’observation de l’ancrage territorial et de ses contours géographiques. Cela implique également de reconsidérer la place des territoires dans les pratiques de l’aménagement. Pour ce faire, il semble donc opportun (...) de mieux comprendre ce qui dans les relations entre les individus et leur espace de vie favorise l’acceptabilité ou le rejet d’une infrastructure." ( in : Comprendre la place des territoires dans les conflits d’aménagement, Une application aux espaces ruraux, Colloque FAIRE CAMPAGNE, Rennes, 17-18 mars 2005)
Les principaux tenants et porteurs du
transfert, élite oligarchique régionale, "grands élus" (régionaux, départementaux et nationaux), milieux patronaux et financiers, technostructure aménagiste, acteurs principaux de l'espace conçu et de sa production, ne pourront plus très bientôt que ne s'en prendre à eux-mêmes
de leur fiasco prévisible. Leur échec souligne le "crépuscule de la France d'en haut" (Guilluy, 2016) ? Ils seront restés, de bout en bout et jusqu'à l'ultime fin, beaucoup trop sûrs de leur fait. Ce qui les a conduit à multiplier les erreurs et, globalement, à consentir un déséquilibre flagrant de communication, déséquilibre permanent observé au quotidien dans la presse locale (Ouest-France et, encore plus, Presse-Océan) ainsi que nationale (Le Monde, Libération). En face, le combat anti-aéroport a été conduit et soutenu en incitant à penser
que la ZAD serait devenue le bouillon de culture de toutes les
alternatives, exprimées en slogans : "ZAD partout !", "Non à
l'aéroport et à son monde", "Sème ta ZAD", etc., dans des récits militants en forme de storytelling [1]. Il faudrait cependant relativiser un peu sur bien des points. Par exemple, la
lutte paysanne et la stratégie d'occupation illégale des terres n'y sont évidemment pas
assimilables - quoiqu'en pensent et en disent leurs acteurs - à celles des pays du Sud, où les familles des sans-terre risquent chaque jour leur vie face à la répression
sanglante des milices privées des grands propriétaires fonciers de latifundios [2]. La ZAD de NDDL bénéficie jusqu'à ce jour, comparativement, d'une évidente retenue répressive, qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs celle des
manifestations étudiantes de mai 68 à Paris par le pouvoir gaulliste de l'époque.
![]() |
Rapport de la mobilisation avec la distance ( A.Lecourt,2003) |
Quand, au printemps 2008, la question commence à prendre une dimension nationale, l'écologiste F.Nicolino en fixe ainsi l'enjeu : "une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut. Je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s'affronteront deux visions du monde" (Cité par H.Kempf, 2014, p.28). Mais, en se "nationalisant", la ZAD de NDDL a certes gagné en symbolisme (les représentations de
l'espace), mais perdu en réalisme (connaissances et pratiques de
l'espace). Et qu'en restera-t-il finalement, suite au probable abandon ? Quel rôle est, par exemple, assigné à José
Bové, dûment mandaté pour transformer la ZAD en mini-Larzac
ligérien. A l'approche de ce repli final, certains s'interrogent
déjà : "Où atterrir ?" (S.Latour, 2017), au sens propre comme au sens figuré. Pour
eux, ça reste(ra) sur la piste d'une "décroissance" devant s'élargir à toutes les
échelles, du local au global, un horizon selon eux indépassable pour l'avenir.
Requiem pour
l'isolat de la ZAD dans l'espace vécu du
monde réel
![]() |
Voir mon analyse de la géographie de ce vote : http://jym44.blogspot.fr/2016/06/referendum-nddl-du-26-juin-2016-les.html |
![]() |
Nouveau sondage IFOP du 16 janvier 2018 |
En écartant ces résultats
convergents, sans ambiguïté aucune, on réactive plutôt pour le
cinquantenaire de 68 son vieux slogan : "Consultation
pièges à cons !". A l'identique de 2005, avec le
référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, et ses 55% de
NON. Dans les deux cas, même mépris affiché des cercles éclairés
des centralités et de certaines minorités réputées "agissantes", pour un peuple réel, périphérique et invisible, soigneusement tenu à l'écart. Jugé volontiers "crétin, ne comprenant décidément rien à rien", on veut donc continuer, sans fin ni limite, à ignorer ses
attentes. Il ne s'agit pas là, simplement, d'un nouveau "déni
de démocratie", mais bien du coup de grâce à toute
perspective de renouveau pour une démocratie électorale incendiée par
les coups de grisou répétés de l'abstention massive. De quoi
fabriquer, encore et toujours, des générations futures d' "aquoibonistes".
Nul doute que l'abandon de l'AGO à NDDL
suscitera un certain soulagement, par lassitude pour beaucoup. Mais bien des questions resteront néanmoins posées : qui pouvait et pourra
continuer d'imaginer, pour les futures générations, un avenir de
"zadistes", quand la ZAD, devenue principale préoccupation
immédiate du gouvernement, et comme il s'y est engagé, aura été manu militari démantelée, quel qu'en soit le prix, humain et politique ? Pour l'instant, selon J-M. Fourniau, pour les zadistes et leurs soutiens "l'horizon
de l'abandon du projet d'aéroport reste le ressort des
mobilisations, il maintient ensemble des gens inscrivant cet objectif
dans des perspectives distinctes. Si le ressort disparaît,
qu'adviendra-t-il ? Il faudra non plus seulement occuper, mais
entreprendre durablement la construction d'un autre monde faisant
cohabiter sans opposition des projets de vie assez différents. Ce
sera intéressant à suivre" (PP#57, p.40). Pas uniquement dans le seul
périmètre de la ZAD, mais dans celui du périurbain l'environnant.
Mais, dans quelques jours, une fois l'abandon de l'aéroport dûment officialisé, à la fin d'un faux suspense où tout est fait pour y préparer l'opinion, la vraie question se posera alors : de quoi la ZAD fut-elle le NON ? Au moment où AGO/NDDL et son abandon montre, quant au fond, des signes avérés d'essoufflement, voire carrément de mise en panne pour l'aménagisme métropolitain, en quoi pourrait bien consister désormais un avenir alternatif d'émancipation populaire
et majoritaire pour l'ensemble du périurbain lui-même ? Alors la ZAD - moins
qu'un "détournement d'espace", et moins encore qu'un "contre-espace" (Henri Lefebvre, 1974, p.441) - n'apparaîtra
désormais plus que comme l'isolat d'un moment, dans le territoire
vécu en périurbain d'un monde bien réel qui, lui, perdurera désormais sans elle, puisqu'elle aura été "démantelée". Pour l'instant, les haies de la ZAD cachent les nombreux lotissements pavillonnaires voisins. Le périurbain réel, avec ses propres enjeux inchangés qui resteront et redeviendront alors entièrement à affronter [4].
Notes
1. Cf. par exemple, Retour à NDDL, 2017.
2. Avec, par exemple, 61 morts assassinés en 2016 au Brésil (65 en 2017), selon un récent rapport de la Commission Pastorale de la Terre (CTP, Conflitos no campo [conflits dans le campagnes],2017], pour 1.295 occupations - qui sont autant de "zones à défendre" - et 1.079 conflits pour la terre, incluant dispersions et expulsions par la P.M. (police militaire), menaces d'expulsion, campements détruits et tirs d'armes à feu pour la seule année 2016, chiffres annuels à la hausse depuis plus de trente ans (Martin, 2016).
3. IFOP, novembre 2017.
4. Martin, Jean-Yves, "Affres et mystères du périurbain nantais", revue urbaine Place Publique #54, Nantes/Saint-Nazaire, 2015.
Références :
1. Cf. par exemple, Retour à NDDL, 2017.
2. Avec, par exemple, 61 morts assassinés en 2016 au Brésil (65 en 2017), selon un récent rapport de la Commission Pastorale de la Terre (CTP, Conflitos no campo [conflits dans le campagnes],2017], pour 1.295 occupations - qui sont autant de "zones à défendre" - et 1.079 conflits pour la terre, incluant dispersions et expulsions par la P.M. (police militaire), menaces d'expulsion, campements détruits et tirs d'armes à feu pour la seule année 2016, chiffres annuels à la hausse depuis plus de trente ans (Martin, 2016).
3. IFOP, novembre 2017.
4. Martin, Jean-Yves, "Affres et mystères du périurbain nantais", revue urbaine Place Publique #54, Nantes/Saint-Nazaire, 2015.
Références :
- Hervé Kempf, Notre-Dame-des-Landes, Seuil, 2014.
- Place Publique, #57, Notre-Dame-des-Landes : pourquoi tant de bruit ?, mai-juin 2016
- Préfecture de Loire Atlantique, Consultation du 26 juin 2016, Projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, résultats définitifs.
- Marc Le Duc & Jocelyne Rat, Retour à Notre-Dame-des-Landes, portraits et reportages, Le Temps Éditeur, 2017.
- IFOP, Les Français et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, enquête pour le Syndicat Mixte Aéroportuaire, novembre 2017.
- Rapport de la mission de médiation relative au projet d’aéroport du Grand Ouest, Ministère de la transition écologique et solidaire, décembre 2017.
- Conflitos no Campo, Commission Pastorale de la Terre, Brésil, Goiânia, 2017, p.31.
- J-Y Martin, Mobilisations populaires au Brésil, 1985-2015, Le petit pavé, 2016.
Commentaires
Enregistrer un commentaire