NDDL : chronique du renoncement qui vient

L'opposition des représentations  : 
 espace perçu du NON versus espace conçu du OUI
L'issue prochaine ne fait plus guère de doute.  Les grandes manœuvres sont engagées, dans les médias nationaux et auprès de Vinci (indemnisation pour défaillance de l'Etat) qui sortira gagnant, quoi qu'il en soit de la décision gouvernementale prochaine. Sans remonter trop loin dans le temps, évoquons pour commencer, le magistral tour de bonneteau de la commission "d'experts" ad hoc, entre son mandat initial fixé (réévaluer le transfert) et le rapport final mettant en balance d'une part le transfert à NDDL (Notre-Dame-des-Landes) et d'autre part le réaménagement de Nantes-Atlantique (décembre 2017). Objectif : aplanir le chemin vers une porte de sortie gouvernementale (Macron / Philippe / Hulot) d’abandon du projet d'AGO (Aéroport Grand Ouest) à NDDL. L'enjeu du sort réservé à la ZAD (évacuation / pérennisation), appuyé sur le souhait général d'un retour à "l'état de droit", a finalement pris le pas sur celui de la poursuite, ou non, du projet d'aéroport par le lancement de sa réalisation. Qu'en est-il vu d'ici à 20 kilomètres à vol d'oiseau de l'ex-futur Aéroport Grand Ouest, au cœur du périurbain du plateau nantais ? Dans l'obscur combat de dizaines d'années - pour reprendre le vocabulaire des "espèces d'espaces" d'Henri Lefebvre -  entre l'espace conçu du projet d'aéroport et l'espace perçu de ses adversaires, l'espace vécu réel du périurbain de son hypothètique implantation a été, davantage qu'ailleurs encore si c'est possible, perdu de vue.

Les chemins d'un abandon qui vient

Malgré le faux suspens soigneusement entretenu, l'abandon annoncé bien préparé en coulisse scellera un nouvel échec de l'espace conçu par la technostructure métropolisante nantaise  : grands élus, aménageurs, services de l'Etat et de la préfecture... Sans doute nettement moins pour les grandes firmes du BTP : l'adversaire honni Vinci n'en sortira aucunement affaibli, quel que soit le choix final, l'abandon de NDDL ou le réaménagement de Nantes-Atlantique. Retour à la case départ ?

Ce renoncement marquera à coup sûr une énième étape dans la mise en panne de l'aménagement du territoire estuarien : après Le Carnet (1997), Donges Est (2009), [sans oublier la "virgule ferroviaire" de Savenay, ou la "mise aux normes autoroutières" à deux fois trois voies de la RN165 e,ntre Savenay et Nantes, promise à la fin des années 1990, ainsi que le 3ème franchissement de la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire abandonné en toute discrétion il y a quelques semaines] et avant la fermeture malheureusement envisagée également de la centrale thermique de Cordemais : sa conversion partielle à la biomasse ne suffira sans doute pas à lui éviter un sacrifice sur l'autel d'une "transition énergétique" adossée au réchauffement climatique - présentée comme impérative au motif de la "décarbonisation" de toute activité, quelle qu'elle soit. NDDL abandonné renforcera cette sorte de jurisprudence déjà établie : tout projet d'un peu d'envergure est fatalement condamné dès son origine comme GP2I ("grand projet inutile imposé"). Sans échappatoire possible : les recours empilés d'une "guérilla judiciaire" intensive commencent par l'entraver d'abord, même s'ils sont un à un déboutés, et en venir à bout finalement. Et si la justice n'y suffit pas, une commission d'experts de dernière minute y pourvoit diligemment comme on vient de l'observer pour NDDL.

Dans ce cas, la volonté affichée du pouvoir – afin de passer à autre chose, avec les coudées plus franches encore - est d'en sortir, non par le haut, mais en faisant d'une pierre deux coups, le vide, et de l'AGO et de ZAD ! Même si c'est en se plaçant pour lui-même en porte-à-faux de sa politique de production étatique de l'espace capitaliste - celle de la métropolisation, qui allait pourtant si bien avec l'aéroport - source d'inégalités creusées et de marginalisations accentuées, notamment dans le périurbain environnant NDDL. Au-delà d'un "développement durable" fondement du consensus spatial, mais dont la vacuité devient par trop évidente, on s'attaque maintenant au noyau plus dur de l' "innovation destructrice", fut-ce celle des lieux et des emplois dans les territoires périphériques.

Issue de l'entre-choc "des imaginaires" : une amère victoire

Cet abandon signifiera - "et en même temps" - une victoire des espaces perçus à travers les "représentations spatiales" : celles d'une "nature" et d'un "rural" assez largement fantasmés. Personne ne sortira pourtant vainqueur d'un tel "choc des imaginaires" - espace conçu versus espace perçu - ayant trop longuement opposé, pour l'occasion, les pro et les anti Aéroport Grand Ouest, devenus, symétriquement, anti et pro ZAD. « NDDL, pourquoi tant de bruit ? » titrait Place Publique #57 en 2016. "Pourquoi et comment en sommes nous arrivés là, à faire de NDDL une déflagration permanente ?" La réponse qui vient : pour rien ! Ce qui a été principalement à l’œuvre, explique Thierry Guidet, « c'est le choc des imaginaires, c'est-à-dire des représentations, des valeurs, des croyances, des mythes qui organisent la vision du monde partagée par un individu ou par un groupe » (PP#57, p.7), qui sont ici celles de l'espace perçu, constituées des valeurs intimes comme des idéologies sociales, terreau privilégié aussi des fantasmes et des mythes, à l'heure de leur mise en stridence sur internet et les réseaux sociaux.

Plus généralement, pour les chercheurs Arnaud Lecourt et Guillaume Faburel, " Les conflits d’aménagement sont susceptibles de révéler de l’attachement symbolique, politique et matériel à un espace et la capacité des territoires à entrer dans l’arène publique comme toute controverse socio-technique. Dès lors, ces conflits constituent une fenêtre d’observation de l’ancrage territorial et de ses contours géographiques. Cela implique également de reconsidérer la place des territoires dans les pratiques de l’aménagement. Pour ce faire, il semble donc opportun (...) de mieux comprendre ce qui dans les relations entre les individus et leur espace de vie favorise l’acceptabilité ou le rejet d’une infrastructure." ( in : Comprendre la place des territoires dans les conflits d’aménagement, Une application aux espaces ruraux, Colloque FAIRE CAMPAGNE, Rennes, 17-18 mars 2005)

Les principaux tenants et porteurs du transfert, élite oligarchique régionale, "grands élus" (régionaux, départementaux et nationaux), milieux patronaux et financiers, technostructure aménagiste, acteurs principaux de l'espace conçu et de sa production, ne pourront plus très bientôt que ne s'en prendre à eux-mêmes de leur fiasco prévisible. Leur échec souligne le "crépuscule de la France d'en haut" (Guilluy, 2016) ? Ils seront restés, de bout en bout et jusqu'à l'ultime fin, beaucoup trop sûrs de leur fait. Ce qui les a conduit à multiplier les erreurs et, globalement, à consentir un déséquilibre flagrant de communication, déséquilibre permanent observé au quotidien dans la presse locale (Ouest-France et, encore plus, Presse-Océan) ainsi que nationale (Le Monde, Libération). En face, le combat anti-aéroport a été conduit et soutenu en incitant à penser que la ZAD serait devenue le bouillon de culture de toutes les alternatives, exprimées en slogans : "ZAD partout !", "Non à l'aéroport et à son monde", "Sème ta ZAD", etc., dans des récits militants en forme de storytelling [1]. Il faudrait cependant relativiser un peu sur bien des points. Par exemple, la lutte paysanne et la stratégie d'occupation illégale des terres n'y sont évidemment pas assimilables - quoiqu'en pensent et en disent leurs acteurs - à celles des pays du Sud, où les familles des sans-terre risquent chaque jour leur vie face à la répression sanglante des milices privées des grands propriétaires fonciers de latifundios [2]. La ZAD de NDDL bénéficie jusqu'à ce jour, comparativement, d'une évidente retenue répressive, qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs celle des manifestations étudiantes de mai 68 à Paris par le pouvoir gaulliste de l'époque.


Rapport de la mobilisation avec la distance ( A.Lecourt,2003)

Quand, au printemps 2008, la question commence à prendre une dimension nationale, l'écologiste F.Nicolino en fixe ainsi l'enjeu : "une bagarre commence, qui peut se révéler très importante. Peut. Je ne suis pas devin. Mais il est clair que dans cette histoire s'affronteront deux visions du monde" (Cité par H.Kempf, 2014, p.28). Mais, en se "nationalisant", la ZAD de NDDL a certes gagné en symbolisme (les représentations de l'espace), mais perdu en réalisme (connaissances et pratiques de l'espace). Et qu'en restera-t-il finalement, suite au probable abandon ? Quel rôle est, par exemple, assigné à José Bové, dûment mandaté pour transformer la ZAD en mini-Larzac ligérien. A l'approche de ce repli final, certains s'interrogent déjà : "Où atterrir ?" (S.Latour, 2017), au sens propre comme au sens figuré. Pour eux, ça reste(ra) sur la piste d'une "décroissance" devant s'élargir à toutes les échelles, du local au global, un horizon selon eux indépassable pour l'avenir.

Requiem pour l'isolat de la ZAD dans l'espace vécu du monde réel

Voir mon analyse de la géographie de ce vote : http://jym44.blogspot.fr/2016/06/referendum-nddl-du-26-juin-2016-les.html


Nouveau sondage IFOP du 16 janvier 2018
Pourtant la consultation du 16 juin 2016 n'avait pas, elle, fait totalement fi de toute géographie. Sa cartographie fine, commune par commune, fut celle d'aspirations majoritairement ancrées dans l'ensemble du département. Mais elle a été l'objet, après-coup, d'un tir de barrage nourri (notamment par certains géographes nantais signataires d'un appel à voter non). Son résultat a pourtant été bel et bien confirmé un peu plus tard par un sondage IFOP en novembre 2017, à l'échelle de la France toute entière cette fois. Non sans quelques surprises : 73 % des sondés en "proximité politique avec EELV" acceptant "la prééminence du référendum sur NDDL" de juin 2016 et son résultat [3]. Du reste, est-il bien cohérent de proclamer : "l'oligarchie ça suffit, vive la démocratie" (H.Kempf, 2011) quand on refuse son verdict, et si son résultat ne convient pas ?

En écartant ces résultats convergents, sans ambiguïté aucune, on réactive plutôt pour le cinquantenaire de 68 son vieux slogan : "Consultation pièges à cons !". A l'identique de 2005, avec le référendum sur le Traité Constitutionnel Européen, et ses 55% de NON. Dans les deux cas, même mépris affiché des cercles éclairés des centralités et de certaines minorités réputées "agissantes", pour un peuple réel, périphérique et invisible, soigneusement tenu à l'écart. Jugé volontiers "crétin, ne comprenant décidément rien à rien", on veut donc continuer, sans fin ni limite, à ignorer ses attentes. Il ne s'agit pas là, simplement, d'un nouveau "déni de démocratie", mais bien du coup de grâce à toute perspective de renouveau pour une démocratie électorale incendiée par les coups de grisou répétés de l'abstention massive. De quoi fabriquer, encore et toujours, des générations futures d' "aquoibonistes".

Nul doute que l'abandon de l'AGO à NDDL suscitera un certain soulagement, par lassitude pour beaucoup. Mais bien des  questions resteront néanmoins posées : qui pouvait et pourra continuer d'imaginer, pour les futures générations, un avenir de "zadistes", quand la ZAD, devenue principale préoccupation immédiate du gouvernement, et comme il s'y est engagé, aura été manu militari démantelée, quel qu'en soit le prix, humain et politique ? Pour l'instant, selon J-M. Fourniau, pour les zadistes et leurs soutiens "l'horizon de l'abandon du projet d'aéroport reste le ressort des mobilisations, il maintient ensemble des gens inscrivant cet objectif dans des perspectives distinctes. Si le ressort disparaît, qu'adviendra-t-il ? Il faudra non plus seulement occuper, mais entreprendre durablement la construction d'un autre monde faisant cohabiter sans opposition des projets de vie assez différents. Ce sera intéressant à suivre" (PP#57, p.40). Pas uniquement dans le seul périmètre de la ZAD, mais dans celui du périurbain l'environnant.

 Mais, dans quelques jours, une fois l'abandon de l'aéroport dûment officialisé, à la fin d'un faux suspense où tout est fait pour y préparer l'opinion, la vraie question se posera alors : de quoi la ZAD fut-elle le NON ? Au moment où AGO/NDDL et son abandon montre, quant au fond, des signes avérés d'essoufflement, voire carrément de mise en panne pour l'aménagisme métropolitain, en quoi pourrait bien consister désormais un avenir alternatif d'émancipation populaire et majoritaire pour l'ensemble du périurbain lui-même ? Alors la ZAD - moins qu'un "détournement d'espace", et moins encore qu'un "contre-espace" (Henri Lefebvre, 1974, p.441) - n'apparaîtra désormais plus que comme l'isolat d'un moment, dans le territoire vécu en périurbain d'un monde bien réel qui, lui, perdurera désormais sans elle, puisqu'elle aura été "démantelée". Pour l'instant, les haies de la ZAD cachent les  nombreux lotissements pavillonnaires voisins. Le périurbain réel, avec ses propres enjeux inchangés qui resteront et redeviendront alors entièrement à affronter [4].

Notes

1. Cf. par exemple, Retour à NDDL, 2017.
2. Avec, par exemple, 61 morts assassinés en 2016 au Brésil (65 en 2017), selon un récent rapport de la Commission Pastorale de la Terre (CTP, Conflitos no campo [conflits dans le campagnes],2017], pour 1.295 occupations - qui sont autant de "zones à défendre" - et 1.079 conflits pour la terre, incluant dispersions et expulsions par la P.M. (police militaire), menaces d'expulsion, campements détruits et tirs d'armes à feu pour la seule année 2016, chiffres annuels à la hausse depuis plus de trente ans (Martin, 2016).
3. IFOP, novembre 2017.
4. Martin, Jean-Yves, "Affres et mystères du périurbain nantais", revue urbaine Place Publique #54, Nantes/Saint-Nazaire, 2015.


Références :
  • Hervé Kempf, Notre-Dame-des-Landes, Seuil, 2014.
  • Place Publique, #57, Notre-Dame-des-Landes : pourquoi tant de bruit ?, mai-juin 2016
  • Préfecture de Loire Atlantique, Consultation du 26 juin 2016, Projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, résultats définitifs.
  • Marc Le Duc & Jocelyne Rat, Retour à Notre-Dame-des-Landes, portraits et reportages, Le Temps Éditeur, 2017.
  • IFOP, Les Français et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, enquête pour le Syndicat Mixte Aéroportuaire, novembre 2017.
  • Rapport de la mission de médiation relative au projet d’aéroport du Grand Ouest, Ministère de la transition écologique et solidaire, décembre 2017.
  • Conflitos no Campo, Commission Pastorale de la Terre, Brésil, Goiânia, 2017, p.31.
  • J-Y Martin, Mobilisations populaires au Brésil, 1985-2015, Le petit pavé, 2016.

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