Rappel chronologique :
1948-2018
- 1948 : 1ère édition du
Que-sais-je ? « Le marxisme », aux
P.U.F. Depuis 23 éditions, et plus 300,000 exemplaires vendus à ce
jour. Une 24ème édition annoncée en 2018.
- 1958 : Exclusion du PCF,
racontée dans : La Somme et le Reste (1959)
- 1968 : Le droit à
la ville, devenu ouvrage de
référence mondiale en matière d'urbanisme, d'architecture et d'espace.
- 1978-2008 : Rapprochement
avec le PCF, par cet entretien dans l'Humanité (2 mars 1978), alors toujours organe central du PCF. Ainsi qu'un livre d'entretiens : "Le temps des méprises" (1978).
Puis une longue période d'oubli en France
– au PCF et dans l'Université - à part l'exception notable de la publication de la biographie par
Rémi Hess en 1988 : « Henri Lefebvre et l'aventure
du siècle ». Mais écho à l'étranger :
États-Unis, Royaume Uni, Brésil, Japon, Suisse...
- 2009 : Année de la
redécouverte en France, avec divers ouvrages : H.Lethierry
(Penser avec Lefebvre), L.Costes (Lire Henri
Lefebvre), R.Hess et S.Deulceux (Henri Lefebvre :
vie, œuvre, concepts).
- 2018 : Cinquantenaire
du "Droit à la ville" :
colloques à Paris-Saint-Denis (avril), Caen (mai-juin), Grenoble, Tours...
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Titre : L'Humanité du 2 mars
1978, entretien avec Henri Lefebvre : Ne pas rester prisonnier
du passé Le philosophe marxiste Henri Lefebvre a rencontré le
XXIIe congrès du PCF
Source de l'article :
http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2017/01/12/34795743.html
Rencontrer Henri Lefebvre, lui donner
la parole dans « l'Humanité », c'est en somme renouer ensemble les
fils brisés d'une longue fidélité à un combat qui, dans les
années 1925, vit ce jeune surréaliste, de surcroît un des rares
philosophes français d'alors, donner son adhésion au PCF, pour être
trente années durant de toutes ses luttes. Jusqu'au drame, en 1956,
où les révélations du XXe Congrès des communistes soviétiques
allaient être à l'origine de la rupture d'Henri Lefebvre d'avec le
PCF. De cette période révolue, le ressentiment aujourd'hui dépassé,
Henri Lefebvre conserve néanmoins « une amertume, des cicatrices »,
que la pudeur et l'émotion voudraient lui faire taire. Ne pas en
parler ? Le silence serait reconduire des erreurs qui ont pu alors
être commises. Les faits de ce passé commun, comme Georges Marchais
l'a souligné, appartiennent à l'Histoire. A elle d'en juger. Quoi
qu'il en soit, les circonstances d'alors avec leurs séquelles
conduisant à ignorer tout débat critique avec ce philosophe
proclamant sa fidélité au marxisme, ne sont plus aujourd'hui
concevables. II n'y a pas là de vœux pieux, mais le sens profond de
la politique affirmée au XXIIe Congrès du PCF. Depuis vingt ans,
tout donnait à penser définitive cette rupture entre Henri Lefebvre
et le PCF, semblant vouer les choses à un cheminement parallèle. Or
voici qu'un livre paraît, dont il a été rendu compte ici même [
Catherine Régulier et Henri Lefebvre : La
révolution n'est plus ce qu'elle était,
Paris, 1978]. Un livre rencontre,
entre le philosophe Henri Lefebvre, dont les réflexions sur la vie
moderne, l'individu en prise avec l'espace capitaliste, aux prises
avec l' État, ont été présentes dans la révolte étudiante de
mai 1968, et une jeune communiste, Catherine Régulier. De la genèse
de ce livre, le hasard est à bannir : Catherine Régulier est une
jeune militante, et si sa réflexion personnelle ne résume pas le
XXIIe Congrès, elle ne s'inscrit pas moins dans le cours nouveau de
la politique définie par celui-ci pour les communistes français.
Au-delà du livre et de cette rencontre, Henri Lefebvre dit ici
comment il considère aujourd'hui le PCF du XXIIe Congrès, et à la
veille d'élections dont il analyse l'enjeu comme capital, il donne
les raisons pour lesquelles il appelle à voter communiste le 12
mars.
Entretien réalisé par Alain WASMES
(Photo Anaïs NICOLE.)
« Ne revenons pas trop sur ce qui
s'est passé il y a vingt ans... » souhaite Henri Lefebvre. Il faut
pourtant, pour comprendre, évoquer ce que ses souvenirs gardent de
goût amer... 1956. Au moment du XX° Congrès du PCUS, Henri
Lefebvre se trouve à Berlin, invité par l'Académie des Sciences de
RDA. Là, il a communication directe, en allemand, du fameux rapport
Khrouchtchev dénonçant les crimes de Staline... « Quand je suis
revenu à Paris, que j'ai dit ce que je savais, les camarades ont nié
l’existence de ce rapport et m'ont pratiquement traité comme un
traître, comme quelqu'un qui se laissait avoir par la propagande
adverse, comme un renégat, alors qu'au PCI on discutait ouvertement
de ces révélations... » (1).
Un rapprochement qui n'est pas un
hasard
«J'ai quitté le Parti par la gauche»,
poursuit Henri Lefebvre qui relate son itinéraire depuis lors : des
gauchistes, devenus « terriblement dogmatiques et grouspusculés »,
à des relations épisodiques avec le PS, «qui n'ont pas bien
tournées ». «...En fait, je n'ai pu établir de base commune
d'analyse, ni avec les gauchistes ni avec le PS. Alors je me trouve
dans la situation d'un rapprochement avec le PCF, y compris sur le
plan de l'analyse marxiste...» Ce rapprochement n'est pas fortuit.
Le philosophe qui « rêve d'un monde où chacun trouverait son
identité en cherchant sa différence », sa vieille méfiance
vis-à-vis de tout modèle étatique contraignant, centralisateur, a
dû être sensible à la perspective dressée par le XXIIe Congrès :
le socialisme comme une avancée continue de la démocratie, refusant
de substituer l'appareil d’État au mouvement des masses… « Ces
changements du PCF, c'est par l'intermédiaire de Catherine Régulier
que je les ai découverts. Mes contacts avec le PCF, il est vrai,
n'ont pas toujours été agréables : longtemps mes anciens amis du
Parti m'ont évité et, par exemple, on ne m'a jamais demandé de
participer aux journées de la pensée marxiste... J'ai donc été
très touché quand Catherine Régulier m'a déclaré qu'elle me
considérait comme un marxiste. Venant d'une communiste, c'était la
première fois que cela m'arrivait ; pour moi c'était un
événement... Je sentais bien qu'il y avait des indices de
dépassement au sein du PCF, mais pour moi ils se sont concrétisés
par cette rencontre. »
L'aiguillage du XXII* Congrès
«Et puis il y a, bien sûr, le XXIIe
Congrès. Avec quelques difficultés, d'ailleurs, parce que je suis
bien obligé de constater qu'à propos de la dictature du
prolétariat, la discussion n'a pas eu l'ampleur qu'il m'aurait
semblé souhaitable... Mais ce qui me paraît important surtout,
c'est la suite du XXIIe Congrès. Celui-ci a été une sorte
d’aiguillage dont les changements ont été perceptibles par la
suite ; ainsi de la prise en charge de l'autogestion, ce qui est très
important : c'est la recherche d'une voie nouvelle du socialisme, une
voie qui n'a pas de recettes, pas de solutions toutes faites, qu'il
faut défricher... Ainsi également la prise en charge des problèmes
de la décentralisation, des changements progressifs d'attitude
vis-à-vis de l'URSS... Ce qui me paraît capital, c'est donc
qu'après cet aiguillage, il y ait quelque chose de nouveau avec
lequel je suis d'accord pour des raisons qui remontent à
longtemps... »
L'espoir l'emporte
Au regard de ces changements et du
passé, qu'est-ce qui l'emporte aujourd'hui chez Henri Lefebvre,
l'amertume ou l'espoir ? « C'est l'espoir. J'ai appris à ne pas
rester prisonnier du passé. Je pense qu'à l'intérieur du PCF il y
a une lutte entre l'ancien et le nouveau, et toutes mes sympathies
vont du côté de ce nouveau. Les militants d'aujourd'hui se
dégagent, il me semble, de cette ancienne emprise du dogmatisme,
mais ce n'est pas facile.» D'autres raisons d'espoir, Henri Lefebvre
les trouve dans l'analyse qu'il fait de la situation nouvelle
existant en Europe du Sud, en France, en Italie, en Espagne, dont un
des traits tient au rôle particulier que jouent et que peuvent y
jouer les partis communistes de ces pays. Alors qu'en Europe du Nord,
dominée par la social-démocratie, existe « une situation close »,
où sur le mode de la société américaine (« J'ai toujours mené
une double critique, du stalinisme et de l'américanisme », souligne
Henri Lefebvre) la « classe ouvrière fait elle-même durer le
capitalisme », il existe aujourd'hui en Europe du Sud «un espace
privilégié où il se passe quelque chose de profond et de grave. Le
nouveau viendra de là... »
Je voterai communiste
C'est dans cette perspective que Henri
Lefebvre considère les toutes proches élections : « Non seulement
je voterai communiste personnellement, mais de plus, je veux appeler
à voter ainsi, parce que je ne peux admettre les injonctions de
Carter. Mêmes si mes divergences avec le PCF étaient plus fortes
qu'elles ne le sont aujourd'hui, je ne pourrais admettre cette
ingérence. C'est, chez moi, un réflexe fondamental, un mouvement de
révolte profond contre un ordre venu des puissances suprêmes du
capitalisme et de l'impérialisme. Et ne pas s'y opposer, cela veut
dire s'incliner, baisser la tête. L'accepter serait un renoncement à
soi. Mon appel à voter communiste est un appel à la
non-capitulation idéologique et théorique devant la pression
américaine ou celle plus insidieuse de la social-démocratie... »
Pour Henri Lefebvre, en effet, au-delà de ces élections, se joue
les prémices du type de société à inventer et à bâtir en
Occident. Contre le capitalisme, dont le modèle américain n'est en
rien une référence, il convient, dit-il, de se méfier des deux
modèles étatiques : « Le modèle stalinien et le modèle
social-démocrate, tel qu'on l'applique en RFA ».
Le danger de l’État
social-démocrate
« Je suis extrêmement méfiant
vis-à-vis de l'idéologie du Parti socialiste ; ou bien, les
socialistes n'ont pas de théorie et sont empiristes, ou bien
lorsqu'on constate une ébauche de théorie, chez Rocard ou bien chez
Attali, on voit surgir un modèle d’État qui est extrêmement
dangereux. Il n'était pas évident jusqu'à présent, mais il
apparaît. C'est un très grand danger, que je dénonce avec beaucoup
de forte, car sous un vernis autogestionnaire, il peut s'appuyer sur
des données technologiques très modernes, comme la maîtrise de
l'information, aller vers une gestion de la réalité nationale comme
d'une sous-traitance au service des firmes multinationales. En fait,
il peut utiliser des revendications qui sont populaires, pour
renforcer le capitalisme. Je suis prêt d'ailleurs à participer à
l'analyse de ce modèle que veut constituer la social-démocratie et
à en faire le procès radical. La question de l'Etat est
fondamentale. Et en ce moment, au travers de ces élections, se
confrontent des conceptions et des modèles radicalement différents.
C'est ce qui explique aussi ma position : le fait que le PCF ait
abandonné le modèle stalinien a une importance immense... J'estime
même que l'avenir de la société occidentale, le destin de
l'Occident, se joue sur la capacité de renouvellement du PCF, sur sa
capacité à assumer cette voie nouvelle de la démocratie... »
(1)
Le 12 janvier 1977, un communiqué du Bureau politique du PCF
établissait la réalité des faits à ce sujet. Membres de la
délégation du PCF au XXe Congrès du PCU Georges Cogniot et Pierre
Doize attestaient que la délégation «avait reçu en communication
le texte du rapport dit secret de Nikita Khrouchtchev ». Sollicités
de « regarder cette communication comme strictement confidentielle
et destinée à eux seuls à titre personnel, c'est-à- dire
d'observer le secret sur des affaires considérées comme intérieures
au PCUS, les membres de la délégation ont estimé, dans les
conditions de l'époque, devoir respecter cet engagement... ».
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