Pour Naomi Klein, journaliste et essayiste
américano-canadienne, devenue l’égérie adulée de l’altermondialisme, l’arrivée
de Donald Trump à la Maison Blanche, loin d’être une «aberration de
l’histoire», n’est que le point culminant d’un long processus de
« stratégie du choc » au cours duquel se sont imposées, aux
États-Unis comme à l’échelle mondiale, les valeurs d’un capitalisme débridé
aujourd’hui incarnées par un président appliquant sans état d’âme un programme
conforme à sa vision du monde. Mais « en plus d’une menace évidente pour
les plus vulnérables, [il] est susceptible de provoquer des vagues successives
de crises et de chocs. Des chocs économiques, quand les bulles du marché,
gonflées grâce à la déréglementation,
éclatent. Des chocs sécuritaires, quand le contrecoup des politiques
anti-islamistes et des attaques à l’étranger se fait sentir dans le pays. Des
chocs climatiques, quand s’aggravent les perturbations de notre climat. Enfin
des chocs industriels (…) ». On doit le craindre, et même le détester – on
adore le détester ! – mais il a bel et bien été élu et désormais, un an plus
tard, « Dire non ne suffit plus ».
Trump, quelle « stratégie du choc » ?
Sous le titre de « La stratégie du choc (la montée
d’un capitalisme du désastre) », Naomi Klein a publié en 2008 ce qui est
assurément son meilleur livre, une enquête fouillée couvrant 40 ans d’histoire.
La « stratégie du choc »
écrit-elle aujourd’hui, « est un ensemble de tactiques brutales qui
vise à tirer systématiquement parti du désarroi d’une population suite à un
choc collectif – guerres, coups d’État, attaques terroristes, effondrement des
marchés ou catastrophes naturelles – pour faire passer en force des mesures
extrémistes (radicales ?) en faveur des grandes corporations
(firmes ?, il y a des erreurs de traduction), mesures souvent qualifiées
de « thérapies de choc », inspirées directement des thèses
ultralibérales de Milton Friedmann et Friedrich Von Hayek. Elle admet cependant -
sans expliquer pourquoi - que «Trump rompt partiellement avec le modèle
habituel ». Il est, en lui-même, le choc : il « incarne la
fusion entre l’homme et la grande entreprise », il est « le produit d’une
culture entrepreneuriale », et porterait le « projet idéologique du
libre marché ». Cependant, ses « tactiques du choc » s’inspirent
davantage du repli isolationniste : America first ! Pour James
Petras, sociologue et économiste californien, Trump serait moins le fondé de
pouvoir des grandes firmes expansionnistes US, que le porte parole des milieux
d’affaires américains davantage soucieux de croissance interne et de
protectionnisme. Dans ces conditions,
pas si simple de qualifier son arrivée au pouvoir de « putsch des
grandes firmes » comme le fait Naomi Klein.
Logo Trump, ou le triomphe d’une marque familiale
Si pour ses livres précédents elle avait
passé cinq à six ans à faire des recherches approfondies, explique-t-elle -
avec au final de gros livres, avec une montagne de notes de bas de pages - elle
dit avoir écrit celui-ci en quelques mois, misant sur la concision et la
simplicité. « Je me suis rendu compte que les recherches que j’avais
effectuées au fil des années pouvaient éclairer certains aspects cruciaux du
trumpisme ».
Dans le premier chapitre elle d’abord
montre « comment Trump a gagné en devenant une marque suprême »,
portant au pouvoir « une famille de marques sans précédent ». Pour
elle, Trump porte d’abord le modèle commercial de la tribu Trump. Selon sa
« tyrannie des marques » (No logo, 2001), il y a une
intrication radicale entre Trump et sa marque commerciale. Mais c’est aussi
l’incarnation du « rêve américain », celui d’une réussite individuelle et
familiale par l’accumulation de milliards de dollars. Avec Trump c’est d’abord
le "milliardaire" qui a gagné, comme l’ont abondamment souligné,
jusqu’en France, les médias.
Une urgence climatique pas assez mobilisatrice
Alors qu’elle avait consacré un gros livre
( 626 pages) au changement climatique et à ses rapports avec le capitalisme
(Tout peut changer, 2015), ce nouveau livre n’y consacre qu’un seul chapitre
(4) d’une vingtaine de pages, intitulé « l’horloge du climat sonne
minuit ». Il y a seulement deux ans, elle considérait que la lutte contre
le réchauffement climatique était cruciale, et qu’elle pouvait devenir le fer
de lance, le levier d’un combat contre le capitalisme mondialisé. Cette fois
elle insiste seulement sur l’urgence climatique. Pour elle, nous sommes à
l’heure de vérité : « si l’agenda politique sur le climat fait fausse
route – comme en ce moment [qui était celui de la COP23 au moment de la parution de son livre], il n’y aura pas de session de rattrapage dans
quatre ans. D’ici là, la masse de gaz émis aura transformé radicalement la
planète, et nos chances d’éviter une catastrophe irréversible se seront
évaporées ». Une approche pour le moins expéditive et conformiste du
sujet, qui ne s’embarrasse pas d’un examen plus approfondi et raisonné. A quoi bon, puisque
sans examen, « les dernières recherches scientifiques sont
formelles » ? Pourquoi « un déni de ces données scientifiques
sur lesquelles 97% des climatologues
s’accordent », un pseudo unanimisme artificiel, et qui « sont confirmées quotidiennement par
les bulletins d’information » ?
Mais, « le 1er juin 2017,
le président Trump a annoncé à la Maison-Blanche que les Etats-Unis allaient se
retirer de l’Accord de Paris, accord selon lui inéquitable et qui risque de
faire perdre des millions d’emplois aux Américains » (note 2, page 89).
Par ailleurs, l’administration Trump opère des coupes claires dans les budgets
des agences fédérales en charges des études et des programmes
climatiques : NASA, NOAA, FEMA et EPA (p. 91).
Pour Naomi Klein, cette pratique du
« vandalisme climatique » face au réchauffement climatique est le
fait des ultra-conservateurs, et elle établit à ce sujet un lien direct avec
« le projet idéologique néolibéral, dans son intégralité », menacé
par les mobilisations en faveur du climat. Elle y voit une continuité
avec le néolibéralisme de Ronald Reagan et Margaret Thatcher des années 1980,
oubliant qu’ils ont été les initiateurs de la création du GIEC au sein de
l’ONU, devenu depuis le maître d’œuvre central de la théorie du réchauffement
climatique d’origine anthropique, avec toutes les politiques climatiques en
découlant (Protocole de Kyoto 1997, COP successives et « Accord » de
Paris 2015).
Elle en vient à affirmer que « le
changement climatique met à terre l’échafaudage idéologique sur lequel repose
le conservatisme contemporain. Admettre que la crise du climat est une réalité,
c’est reconnaître par la même occasion la fin du projet néolibéral », ce
qui est tout de même aller un peu vite en besogne. Selon elle encore, « le
réchauffement climatique planétaire a des implications progressistes, mais
radicales. S’il est réel, et tout prouve qu’il l’est, la classe des oligarques
ne peut tout simplement continuer à se déchaîner sans entrave. Les arrêter est
désormais une question de survie ». Ce qui repose donc sur un pari : celui
que le réchauffement climatique est bien réel et aussi catastrophique qu’on
veut bien l’affirmer, ce qui est loin d’être démontré quelles que soient ses
convictions à ce sujet.
Elle finit même par l’avouer :
« j’ai cru un moment que le simple fait de révéler des données
scientifiques bien comprises sur le changement climatique ferait office de
catalyseur ». Pour un changement global espéré : « j’estimais
que la crise climatique, si menaçante pour l’existence même de l’humanité
pouvait, à l’instar de ce qui s’était passé après la Grande Dépression et la
Seconde Guerre mondiale, être l’amorce du changement économique et social du
siècle », une "Révolution climatique", en quelque sorte.
Quand il ne suffit pas de dire non
Puisque dire non n’aura pas suffi à empêcher
l’élection de Donald Trump, elle conclut : « si Trump est
l’aboutissement logique du système néolibéral, ce système n’est pas le seul
aboutissement possible de l’histoire humaine. Voilà pourquoi nous ne pouvons
pas nous contenter de résister. Dire non ne suffit plus. C’est important, bien
sûr. Mais il nous faut farouchement protéger les espaces où nous pourrions
imaginer un monde meilleur et dessiner les plans pour l’obtenir. Il ne s’agit
pas de complaisance. Il s’agit de vaincre Trump ». En annexe, elle publie un
« Manifeste pour un Canada fondé sur le souci de la planète et la
sollicitude des uns envers les autres ».
Naomi Klein, Dire non ne suffit plus, Actes sud, nov. 2017, 304 pages, 21.80 €
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