Homo detritus : libérez nos ordures ! Une critique de la société du déchet.

Notre période géologique serait l’Anthropocène, qui est aussi un Poubellocène, l’âge des déchets d’Homo detritus qui envahissent la planète. Mais en quoi consiste donc la « crise des déchets » ? Quels en sont les fondements ? Les perspectives ?

Ce livre, issu d’une thèse en socio-anthropologie soutenue en 2014, cherche selon son auteur, Baptiste Monsaingeon, à interpeller le projet sous-jacent à cet effort pour éliminer et maîtriser nos déchets. Entre "le très local geste de mise au rebut et l’enjeu planétaire invoqué, un gouffre intermédiaire est laissé dans l’ombre, invitant à analyser plus précisément le lien communément admis entre gestion raisonnée des déchets et protection de l’environnement."  Une société sans reste ni trace est-elle désirable, et de quoi le "zéro-déchet" est-il le nom ? A travers ces questions, l'auteur vise à faire bouger le regard accusatoire que l’on porte sur les déchets, et à interroger le cadre moral emblématique de l’éco-citoyenneté.

Il commence par un retour historique sur l’invention des déchets, la normalisation de leur abandon (le "tout au trou"), puis leur ramassage sous couvert de l’hygiénisme urbain du XIXe siècle incarné par la préfet de la Seine, Eugène Poubelle. Notre société actuelle, où les déchets sont devenus un problème environnemental majeur, est devenue celle de leur recyclage. Passant du local au global, le déchet fait l’objet d’un "verdissement stratégique" et devient la matière non-première d’une gestion où le Waste management est l'objet d'un vaste business pour quelques grandes firmes : Veolia, Suez-Sita et TIRU. La stratégie du greenwashing s'est avérée largement profitable à ces grands acteurs économiques du déchet, alors que la logique du "pollueur-payeur"  s’étend à l’ensemble des acteurs, mais aux usagers de base surtout. Le tournant environnemental ouvre ainsi la voie à la libéralisation de la gestion des déchets.

Dès lors, "même si la plupart du temps, ce sont des discours émanant d’institutions publique qui sollicitent les usagers tantôt pour "bien jeter", tantôt pour "moins jeter", ces appels nombreux et répétés sont lourds d’une morale orientée, commandée d’abord par des impératifs économiques et techniques". Le déchet est le cheval de Troie de l’environnementalisation du quotidien, avec cependant un point qui reste aveugle : la technologie du traitement des déchets. Si, aujourd’hui, le tri à la source est privilégié, "c’est précisément pour limiter les étapes onéreuses de tri des déchets sur les tas d’ordures ou sur les lignes des usines de traitement".

L’usager se soumet de lui-même à la morale du "bien jeter", puissamment relayée par l’ADEME et les collectivités, et le problème global devient un responsabilité individuelle, dans l’indistinction totale des échelles. L’usager devient éco-citoyen par devoir. La "menace collective", où le "développement durable" tient le rôle de "mythe fondateur" conduit à une véritable "fabrique de l’usager", culpabilisé par les négligences de certains. Il y a moralisation systématisée du rapport des usagers à leurs déchets (guide et consignes de tri). Et si jeter est en-soi une faute, alors "mal jeter" devient un crime. Pourtant, selon l’auteur - qui se dit loin de défendre une posture sceptique vis-à-vis de ces enjeux - "le bien jeter peut-être assimilé à un processus de dénégation, confinant au déni, des enjeux notamment techniques, économiques et sociaux qui animent la crise écologique contemporaine".

En conclusion, Baptiste Monsaingeon plaide pour la figure du nouveau "chiffonnier" - "modèle d’un nouveau genre de savant", selon Walter Benjamin – aussi et peut-être un activiste politique. "En se saisissant physiquement des restes, en y trouvant matière à critiquer les choix qui ont fait proliférer l’insoutenable, il force à prendre position au présent, à reprendre politiquement la main sur les déchets pour bâtir une contestation collective, une mutinerie peut-être, face à ceux qui prétendent œuvrer à la maîtrise du monde en se l’appropriant". 

Un livre qui bouscule donc regards et pratiques sur les ordures, pour contribuer à l’émergence de nouvelles façons de penser nos relations avec les déchets et en faire le ferment d’une contestation. Mot d’ordre : laissez vivre les restes, nos déchets déchus. Libérez-les !

Baptiste Monsaingeon, Homo detritus, critique de la société du déchet, Anthropocène Seuil, 2017, 19 €.
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Pour le périurbain, lire : Eric Chauvier, "l'oiseau et la baie vitrée. Anthropologie des déchets dans une zone périurbaine pavillonnaire", A contrario 2013/1 (n°19, p. 17-33).
Et sur ce blog : "L’écologie en bas de chez moi" de légor Gran (2011) :  http://jym44.blogspot.fr/2011/03/lecologie-en-bas-de-chez-moi-legor-gran.html

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